Conditions de la poursuite pénale des étrangers s'étant opposés à une décision d'éloignement

La Cour de cassation apporte d’utiles précisions concernant la poursuite des ressortissants d’États tiers s’étant opposés à leur éloignement ; et le fondement approprié pour la poursuite de ceux ayant refusé d’exécuter une décision de transfert vers un autre État membre de l’Union européenne.

Le contentieux pénal des étrangers en France fait l’objet, depuis plusieurs législatures déjà, de profondes mutations (L. n° 2012-1560 du 31 déc. 2012 ; v. N. Catelan, Droit pénal des étrangers, RSC 2013. 421  ; R. Parizot, Loi relative à la retenue pour vérification du droit au séjour versus avis de la CNCDH : quel bilan ?, AJ pénal 2013. 8  ; L. n° 2015-925 du 29 juill. 2015, D. 2015. 1964, note S. Corneloup  ; AJDA 2015. 1857, obs. C.-A. Chassin  ; JA 2015, n° 524, p. 10, note S. Zouag  ; AJ fam. 2015. 514, obs. V. Avena-Robardet ). Pour preuve, pendant l’état d’urgence sanitaire, de nouveaux et nombreux comportements ont été incriminés (v., concernant la très controversée « soustraction aux obligations sanitaires », Cons. const. 5 août 2021, n° 2021-824 DC, Loi relative à la gestion de la crise sanitaireDalloz actualité, 6 sept. 2021, obs. E. Maupin ; AJDA 2021. 1652  ; ibid. 2610 , note M. Verpeaux  ; D. 2021. 1548, obs. C. const.  ; ibid. 2022. 808, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat  ; ibid. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot  ; JA 2021, n° 644, p. 41, étude D. Castel  ; AJ fam. 2021. 448, obs. A. Dionisi-Peyrusse  ; contra pour le droit antérieur Crim. 10 nov. 2021, n° 21-81.925, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. M. Dominati ; AJDA 2022. 613  ; D. 2021. 2049  ; ibid. 2022. 244, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot  ; AJ pénal 2021. 588 et les obs.  ; Rev. crit. DIP 2022. 273, étude T. Fleury Graff et a. la collaboration d’Inès Giauffret  ; Dr. pén., n° 1, 2021, comm. 6, obs. J.-H. Robert ; v., pour une critique, Rapport annuel des centres et locaux de rétention administrative 2020 ; v. égal. J. Fischmeister, Quand refuser un test PCR conduit en prison, OIP, 21 juill. 2021).

Depuis, si la position tenue par la jurisprudence semble claire (v. par ex. Crim. 29 juin 2022, n° 21-84.321, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. M. Dominati ; AJ pénal 2022. 375 et les obs. ), des sénateurs concèdent que le droit pénal des étrangers est « devenu illisible et incompréhensible sous l’effet de l’empilement de réformes successives, élaborées sans cohérence ni vision d’ensemble » (Sénat, rapport n° 626, 10 mai 2022, Dalloz actualité, 2 juin 2022, obs. M.-C. de Monteclerc). Par trois arrêts du 13 avril 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation apporte donc des éclaircissements sur sa jurisprudence. Plus particulièrement, elle est venue interpréter les articles L. 824-1 et L. 824-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) à la lumière du droit de l’Union européenne.

L’épuisement des moyens de contrainte administratifs : préalable à la poursuite des étrangers s’étant opposés à leur éloignement

C’est l’article 15 de la célèbre directive retour 2008/115/CE du 16 décembre 2008 qui définit la procédure applicable au retour des ressortissants des pays tiers à l’Union européenne (v. S. Humbert, Directive « retour » : quel bilan de cinq années intenses de contentieux ?, RFDA 2016. 1235 ). En substance, elle s’oppose à ce qu’un État membre adopte une sanction pénale à l’égard d’un étranger n’étant pas disposé à quitter le territoire volontairement, tant qu’il n’a pas été soumis, au préalable, aux « mesures coercitives visées à l’article 8 de [la] directive et n’a pas, en cas de placement en rétention […], vu expirer la durée maximale de cette rétention » (CJUE 6 déc. 2011, Achughabian, aff. C-329/11, Dalloz actualité, 7 déc. 2011, obs. C. Fleuriot ; AJDA 2011. 2384  ; ibid. 2012. 306, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat  ; D. 2012. 333, et les obs. , note G. Poissonnier  ; ibid. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot  ; ibid. 2013. 324, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot  ; RFDA 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier  ; Constitutions 2012. 63, obs. A. Levade  ; Rev. crit. DIP 2013. 117, note K. Parrot ).

Toutefois, dans un célèbre arrêt El Dridi du 28 avril 2011, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que si de telles mesures n’ont pas permis l’éloignement de la personne, l’État membre peut adopter des sanctions à caractère pénal afin de la dissuader de demeurer illégalement sur ce territoire. Toutefois, cette réglementation ne doit pas mettre en péril l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (CJUE, 1re ch., 28 avr. 2011, El Dridi, aff. C-61/11, Dalloz actualité, 8 juin 2012, obs. C. Fleuriot ; AJDA 2011. 878  ; ibid. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat  ; D. 2011. 1880 , note G. Poissonnier  ; ibid. 1400, entretien S. Slama  ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot  ; AJ pénal 2011. 362 , note S. Slama et M.-L. Basilien-Gainche  ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier  ; ibid. 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier  ; Rev. crit. DIP 2011. 834, note K. Parrot  ; Gaz. Pal. 21-29 juin 2011, p. 17, note Chafai ; Rev. crit. DIP 2011. 834, note Parrot ; pour une confirmation de cette position, v. CJUE 7 juin 2016, Sélina Affum c. Préfet du Pas-de-Calais, aff. C-47/15, Dalloz actualité, 9 juin 2016, obs. D. Poupeau ; AJDA 2016. 1151  ; ibid. 1681, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser  ; D. 2016. 1255, et les obs.  ; AJ pénal 2016. 387, obs. C. Saas ).

À l’occasion des deux premiers arrêts du 13 avril 2023 (nos 22-81.676 et 22-85.816), la chambre criminelle s’intéresse aux manquements de l’étranger dans l’exécution de la décision d’éloignement. À la lumière de la directive du 16 décembre 2008 et de la jurisprudence de la CJUE, elle constate que l’étranger refusant de coopérer ne pourra être poursuivi tant que la procédure d’éloignement n’est pas parvenue à son terme. Autrement dit, avant toute poursuite, il faudra qu’il ait fait l’objet d’un « placement en rétention ou d’une assignation à résidence, ayant pris fin […] sans qu’il ait pu être procédé à son éloignement » (§ 17). L’expiration du délai maximal de la mesure de rétention ou d’assignation à résidence devient désormais un élément préalable à la poursuite de ce type d’infractions.

Plusieurs remarques s’imposent. D’abord, si les deux arrêts rendus ne concernent, a priori, que les articles L. 824-1 et L. 824-9, al. 3, du CESEDA, il ne faut pas s’y tromper : c’est bien l’ensemble des « délits, punis d’une peine d’emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l’entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de cette dernière à l’exécution de la décision de retour » qui sont visés (§ 18). Comme un coup de pied dans la fourmilière, cet attendu de principe va modifier drastiquement la jurisprudence du fond (v. par ex. Aix-en-Provence, 17 août 2022, n° 22/00829). Ensuite, il faut saluer la logique dont fait preuve la Cour de cassation. Jusqu’au 13 avril 2023, la pratique consistait à condamner un étranger à une peine d’emprisonnement même si la procédure visant à l’éloigner n’était pas achevée. Il était donc contraint, à l’issue de sa rétention, de demeurer dans un établissement pénitentiaire français pour exécuter sa peine. Désormais, la surenchère répressive est abandonnée, au profit du bon sens et de l’effectivité de la procédure d’éloignement (v., pour une décision quasi identique, Crim. 9 juin 2021, n° 20-80.533, AJ pénal 2021. 420, obs. M. Lacaze  ; 1er avr. 2015, n° 13-86.418, Dalloz actualité, 20 avr. 2015, obs. S. Fucini ; AJDA 2015. 1302  ; D. 2015. 806  ; v. égal. C. Saas, Les avatars de la pénalisation du droit des étrangers, AJ pénal 2011. 492 ).

Le fondement des poursuites contre les étrangers s’étant opposés à leur éloignement vers un autre État membre de l’Union européenne

La directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 se révèle être l’un des piliers de la procédure d’éloignement des étrangers, tant pour leur protection que pour la réalité de leur retour dans leur pays d’origine. Mais quels pays ? La directive « retour » est-elle applicable à tous les étrangers, au sens du droit français comme du droit international ? Dans un troisième arrêt du 13 avril 2023 (n° 22-84.426), la Cour de cassation s’est penchée sur la procédure d’éloignement d’une personne de nationalité angolaise, ayant formé une demande d’asile en Allemagne, puis étant entrée irrégulièrement sur le territoire français. Placée en rétention en France dans l’attente de son retour en Allemagne, elle avait refusé de se soumettre à un test de dépistage de la covid-19, ce qui pouvait s’analyser, selon le parquet, comme une opposition à sa décision de transfert. Elle était donc poursuivie sur le fondement de l’article L. 824-9 du CESEDA. Au soutien de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008, la cour d’appel avait accueilli l’exception de nullité soulevée par la prévenue, qui faisait valoir que la poursuite dont elle faisait l’objet avait été exercée alors que le délai maximal de rétention n’avait pas expiré (à ce propos v. supra, s’agissant de l’arrêt n° 22-81.676).

La Cour de cassation nous rappelle ici que la directive retour 2008/115/CE règle les procédures communes applicables dans les États membres de l’Union au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Or, selon l’article 3 de cette directive, le retour doit s’entendre comme « le fait, pour le ressortissant, de rentrer dans son pays d’origine ou dans un pays de transit, lequel s’entend d’un pays tiers à l’Union européenne » (§ 14). En l’espèce, la prévenue était originaire d’Angola, et devait être transférée vers un État membre de l’Union européenne (Allemagne). Elle ne pouvait donc se voir appliquer les prescriptions issues de cette directive. Selon la Cour, les poursuites dont elle faisait l’objet auraient donc dû relever des dispositions du règlement UE 604/2013 du 26 juin 2013, qui établit les mécanismes et les procédures de transfert entre les États membres de l’Union (v. not. Rép. pén.,  Étranger : contentieux de l’asile, par C. Pouly, n° 126 ; v. égal. § 15).

Pourtant, la Cour de cassation refuse donc de casser l’arrêt attaqué. Elle constate que l’article L. 824-9 du CESEDA n’est pas applicable à la situation de la prévenue (§ 17). En effet, le fondement de ses poursuites ne peut viser qu’une soustraction à une interdiction administrative du territoire ou à une obligation de quitter le territoire (§ 17). Or elle s’est opposée à une décision de transfert, ce qui exclut l’applicabilité de cette disposition. Par ailleurs, le deuxième alinéa de l’article L. 824-9, qui réprime le refus de se soumettre aux modalités de transport pour l’exécution de la mesure d’éloignement, semble viser le refus d’embarquement (§ 18). Un tel refus ne peut donc être poursuivi qu’au titre de l’article L. 824-10 du CESEDA. Mais ce texte n’incrimine pas le fait de se soustraire aux obligations sanitaires indispensables à l’exécution d’une décision de transfert (§ 19). Il s’en déduit donc que l’article L. 824-9 du CESEDA est inapplicable au refus de transfèrement vers un État membre de l’Union européenne ; tout autant que l’article L. 824-10 du CESEDA ne peut justifier des poursuites en cas de soustraction aux obligations sanitaires (§ 19). Dès lors, la Cour de cassation rejette le pourvoi.

L’intégration d’une incrimination en lien avec les obligations sanitaires dans le CESEDA laisse encore, deux ans plus tard, des remous dans son sillage. D’une part, parce que les tribunaux lui accordent un champ d’application bien plus large que la seule assise offerte par le législateur. D’autre part, car la soustraction aux obligations sanitaires ne constitue un comportement prohibé que dans certaines situations. Dans l’arrêt soumis à l’étude, on comprend que l’étranger s’étant opposé à l’exécution de la décision de transfert sur le fondement du règlement du 26 juin 2013 n’est pas tenu de se soumettre à un test de dépistage de la covid-19 (car c’est bien cela dont il est question : Cons. const. 5 août 2021, n° 2021-824 DC, préc.).

Au-delà d’une seule rupture d’égalité entre les ressortissants de l’Union européenne et les étrangers provenant d’un pays tiers, cette décision se révèle être le témoignage d’une réforme prise à la hâte durant l’épidémie. Mais aujourd’hui, en 2023, le sens même de l’obligation sanitaire interroge. Les compagnies aériennes au départ du territoire français ne requièrent plus la présentation d’un test PCR négatif pour voyager. Alors pourquoi réprimer pénalement le refus, pour un étranger amené à être éloigné, de s’y soumettre ? Il semble que seule une intervention du législateur pourra résoudre cette incohérence et replacera les ressortissants des États membres de l’Union, les étrangers provenant de pays tiers et les nationaux sur un pied d’égalité.

 

© Lefebvre Dalloz