Conditions d'exécution du marché : la préférence européenne est-elle possible ?
Selon une réponse ministérielle, l'acheteur public peut imposer que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d'un marché soient localisés sur le territoire de l'Union européenne, mais uniquement dans certaines circonstances.
À quelles conditions un acheteur peut-il imposer que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d'un marché soient localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne ? Le ministère de l'économie précise, dans une réponse ministérielle du 26 octobre 2023, les modalités de mise en œuvre de l'article L. 2112-4 du code de la commande publique.
En principe, les conditions d'exécution et les critères d'attribution des marchés relatifs à la localisation géographique des opérateurs économiques sont prohibés dès lors qu'ils sont susceptibles de méconnaître les principes fondamentaux de la commande publique, notamment le principe de non-discrimination entre les candidats et de liberté d'accès à la commande publique.
Si la préférence nationale demeure prohibée, les directives européennes, et à leur suite les textes nationaux, ont admis la possibilité de favoriser les candidatures européennes dans les clauses d'exécution d'un marché. L'acheteur peut imposer que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie d'un marché, pour maintenir ou pour moderniser les produits acquis soient localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne. Il doit bien entendu se fonder sur des motifs qui peuvent porter sur des considérations environnementales ou sociales ou avoir pour objectif d'assurer la sécurité des informations et des approvisionnements (C. commande publ., art. L. 2112-4).
Très peu utilisée par les acheteurs publics, cette disposition peut être perçue comme un puissant levier au service de la réindustrialisation et de la souveraineté économique de l'Europe.
Remarque : la direction générale de l'offre de soins (DGOS) avait recommandé l'usage de cette disposition pour l'achat de masques sanitaires en décembre 2021, considérant qu'il appartenait aux pouvoirs publics de « contribuer au développement des capacités de production européennes de masques sanitaires pour renforcer leur souveraineté et ainsi sécuriser durablement la chaîne d'approvisionnement au bénéfice des acteurs du système de santé, par la mise en place d'un dispositif de commande publique adapté. »
Mais attention, le ministère de l'économie rappelle que la mise en œuvre de cet article doit être appréciée au cas par cas.
Champ d'application
Le ministère précise, à titre d'exemple, qu'il est possible d'imposer dans les conditions d'exécution du marché que le lieu de production ou encore l'entrepôt où sont stockées les pièces ou les données, soient localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.
La réponse ministérielle soulève néanmoins deux réserves :
- l'objet de l'implantation ne peut être imposé que s'il s'agit du seul moyen de répondre aux objectifs poursuivis ;
- il n'est pas possible d'exiger une implantation géographique préexistante à l'attribution du marché. Il ne peut s'agir que d'une condition d'exécution du marché qu'un opérateur économique s'engage dans son offre à honorer après l'attribution et la signature du contrat.
Conditions de mise en œuvre
L'article L. 2112-4 du code de la commande publique ne peut être interprété comme instaurant une présomption de régularité de toute exigence d'implantation géographique sur le territoire des États membres de l'Union européenne. Il ne permet donc pas de fonder une préférence européenne qui justifierait de créer des discriminations envers les entreprises et les fournitures originaires des pays tiers à l'Union européenne lorsque celles-ci bénéficient d'un accès garanti au marché européen.
En effet, les acheteurs ne peuvent avoir recours à cette disposition que s'ils démontrent qu'elle est justifiée par l'objet du marché, nécessaire et proportionnée aux objectifs de bonne exécution du contrat (CJCE, 27 oct. 2005, aff. C-158/03 ; CE, 14 janv. 1998, n° 168688). L'acheteur doit pouvoir démontrer que seule une exigence de localisation de tout ou partie des moyens sur le territoire des États membres de l'Union européenne lui permettrait d'atteindre ses objectifs, notamment en termes de sécurité des informations et des approvisionnements ou de prise en compte de considérations sociales ou environnementales. Il lui revient donc de justifier, pour chaque marché, que seul le respect de cette exigence constitue une condition déterminante, adéquate et effective de la bonne exécution des prestations, à l'exclusion de toute autre exigence de moindre effet.
Exemples d'utilisation
Le ministère présente plusieurs cas de figure pouvant justifier la mise en œuvre de l'article L. 2112-4 du code de la commande publique. Cette disposition pourrait ainsi être appliquée :
- pour des marchés spécifiques, nécessaires au bon fonctionnement et à la continuité des missions et activités de l'acheteur. Il peut s'agir de garantir la sécurité des approvisionnements pour des produits de santé indispensables à la continuité du service public hospitalier ou à la réalisation d'actes de soin urgents et vitaux, dans le contexte de crises sanitaires ou internationales pouvant entraîner des pénuries ;
- afin de garantir la sécurité des informations. Il serait possible d'exiger l'implantation de serveurs informatiques sur le territoire de l'Union dont les données ne pourraient être extraites à distance par des entreprises installées dans des pays tiers n'apportant pas les garanties exigées par le règlement général 2016/679 sur la protection des données ;
- pour répondre à des nécessités relatives à la disponibilité dans des délais raisonnables de pièces de rechange dans le cadre de marchés relatifs à l'installation, l'entretien ou la maintenance d'installations de production d'énergie ;
- afin de répondre à des perturbations ou indisponibilités exceptionnelles sur certains segments ou secteurs industriels sous tension.
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