Confirmation de revirement et revirement en matière d’incidents contentieux devant la cour d’assises

Par deux arrêts rendus en formation de section le 12 juin dernier, la chambre criminelle a confirmé un revirement relatif à l’invocation d’une irrégularité affectant la procédure suivie à l’occasion de l’examen d’un incident contentieux devant la cour d’assises, prévue à l’article 316 du code de procédure pénale, et a opéré un revirement sur la notion d’« arrêt incident » déterminant le champ d’application de cette procédure.

Au cours des débats ayant lieu devant la cour d’assises, en application de l’article 313 du code de procédure pénale, le ministère public peut prendre toutes les réquisitions qu’il juge utiles ; en application de l’article 315 du même code, l’accusé, la partie civile et leurs conseils peuvent déposer des conclusions. Lorsque les réquisitions ou les conclusions ont pour objet de faire une demande, cela donne naissance à un incident sur lequel la cour doit statuer. Si la cour ne fait pas droit ou fait partiellement droit à la demande, ou bien si une des parties s’y oppose, l’incident prend un caractère contentieux. Il doit alors être réglé selon les dispositions prévues à l’article 316 du code de procédure pénale. Ces propos valent aussi pour la cour criminelle départementale en raison du renvoi opéré par l’article 380-19 dudit code.

Par deux arrêts rendus le 12 juin dernier, la chambre criminelle a confirmé un revirement et opéré un nouveau concernant l’application de ces dispositions. Il faut souligner l’importance de ces décisions qui en plus d’être publiées, ont été rendues en formation de section.

Confirmation d’un revirement sur l’invocation d’une irrégularité affectant la procédure suivie à l’occasion de l’examen d’un incident contentieux

Dans le cadre d’un des arrêts du 12 juin (n° 23-82.728), il était question d’une personne qui avait été renvoyée aux assises du chef d’assassinat. L’intéressée avait été condamnée par la cour d’assises saisie et avait interjeté appel. Lors des débats devant la cour d’assises d’appel, la défense avait déposé des conclusions afin de s’opposer à ce qu’il soit passé outre à l’audition d’un expert et de solliciter un renvoi. Cette cour, par arrêt incident, avait décidé de poursuivre nonobstant ladite audition et avait rejeté la demande de renvoi. À l’issue des débats, la cour d’assises d’appel avait condamné la personne mise en examen qui, en conséquence, a formé un pourvoi en cassation.

Un des moyens soulevés devant la Haute juridiction contestait la régularité de la procédure suivie par la cour d’assises d’appel lors de l’examen de l’incident contentieux. Il a été soutenu que les exigences du premier alinéa de l’article 316 du code de procédure pénale, aux termes duquel « tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs avocats entendus », n’avaient pas été respectées.

La Cour de cassation s’est uniquement interrogée sur la possibilité de soulever un tel moyen devant elle, et elle a jugé qu’est irrecevable le moyen qui, pour la première fois, se prévaut « d’une irrégularité affectant la procédure suivie à l’occasion de l’examen d’un incident contentieux [devant la cour d’assises], dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article 316 du code de procédure pénale ».

La Cour a relevé qu’en l’espèce, il n’était nulle part précisé que le ministère public, les parties ou leurs avocats, avaient été entendus par la cour d’assises d’appel avant que celle-ci eût statué. Elle a néanmoins ajouté que le procès-verbal n’indiquait pas non plus que la défense, qui avait été en mesure de le faire, eût sollicité un donné acte ou déposé des conclusions pour indiquer que l’arrêt incident avait été rendu sans que la parole eût été donnée au ministère public et aux parties. Elle en a déduit que le moyen était irrecevable et a rejeté le pourvoi.

La solution retenue par la Cour régulatrice confirme et étend un revirement qu’elle a entrepris avec un arrêt du 9 mars 2022 (Crim. 9 mars 2022, nos 21-81.506 et 21-81.507 P ; Dalloz actualité, 29 mars 2022, obs. M. Recotillet ; AJ pénal 2022. 266 ; Dr. pénal 2023. Chron. 3, obs. V. Peltier et E. Bonis). Auparavant, de manière constante, la Cour admettait que la violation des dispositions du premier alinéa de l’article 316 du code de procédure pénale pouvait être alléguée devant elle, sans se demander si cette difficulté avait été soulevée au cours des débats devant la cour d’assises ayant rendu l’arrêt incident (v. not., Crim. 15 déc. 1999, n° 99-81.532, inédit ; 15 sept. 2004, n° 03-86.309, inédit ; 4 sept. 2019, n° 18-83.507, inédit). Revenant sur cette position, elle a considéré dans la décision précitée de 2022 que le demandeur au pourvoi était irrecevable à se prévaloir d’une telle irrégularité devant elle, car il ne résultait pas du procès-verbal des débats devant les juges du fond que la défense eût sollicité un donné acte ou déposé des conclusions pour indiquer que l’arrêt incident avait été rendu sans que la parole eût été redonnée au ministère public et aux parties. La différence avec la décision commentée est que l’arrêt incident sur le bien-fondé de la demande était intervenu à la suite d’un arrêt de sursis à statuer et poursuites des débats, ordonné par la cour d’assises en application de l’article 316 du code de procédure pénale.

Cette évolution de la jurisprudence laisse penser qu’il pèse sur les parties un devoir de vigilance lors des débats devant la cour d’assises. En ce sens, dans un autre arrêt de 2022 (Crim. 6 avr. 2022, no 21-82.360, inédit), la chambre criminelle a pu déclarer irrecevables, du fait de l’absence d’observations faites devant les juges du fond, les moyens fondés sur le non-respect des dispositions de l’article 331 du code de procédure pénale relatives à la prestation de serment des témoins.

La solution analysée ne semble toutefois pas valoir lorsque l’arrêt statuant sur un incident contentieux met fin à la procédure. Dans cette hypothèse, les parties se trouvent en pratique dans l’impossibilité de solliciter un donné acte ou déposer des conclusions pour indiquer qu’elles n’ont pas été entendues.

Revirement sur la notion d’« arrêt incident » déterminant le champ d’application de la procédure devant être suivie à l’occasion de l’examen d’un incident contentieux

Au sein du second arrêt rendu le 12 juin 2024 (n° 24-81.175) s’agissant des incidents contentieux, une cour criminelle départementale avait rendu un arrêt dans lequel elle avait constaté la prescription de l’ensemble des faits dont elle était saisie et l’extinction de l’action publique. La partie civile, le procureur de la République et le procureur général compétents avaient interjeté appel de cet arrêt.

L’affaire s’est retrouvée devant la Cour de cassation qui s’est interrogée sur la recevabilité de l’appel. Elle a, en opérant un revirement de jurisprudence, opté pour la recevabilité et a désigné une cour d’assises afin de statuer en appel.

Plus précisément, la Cour a cité l’article 316 du code de procédure pénale, applicable devant la cour criminelle départementale, qui dispose que : « Tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs avocats entendus. Ces arrêts ne peuvent préjuger du fond. […] Lorsque la cour d’assises examine l’affaire en premier ressort, ces arrêts ne peuvent faire l’objet d’un recours, mais, en cas d’appel de l’arrêt sur le fond et de réexamen de l’affaire devant une autre cour d’assises, ils n’ont pas autorité de la chose jugée devant cette cour ».

La Cour a aussi rappelé sa jurisprudence selon laquelle « le pourvoi contre un arrêt de cour d’assises statuant sur un incident contentieux est recevable lorsque celui-ci, non susceptible d’appel, met fin à la procédure et que son examen fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation » (Crim. 2 sept. 2009, n° 09-83.008, inédit, RTD civ. 2010. 763, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2010. Comm. 120, obs. I. Maria ; 10 juin 2009, n° 09-81.902 P, Dalloz actualité, 8 juill. 2009, obs. C. Girault ; D. 2009. 2238, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2009. 414, obs. G. Royer ; 26 avr. 2017, n° 16-86.326 P).

La Cour a indiqué qu’elle souhaitait revenir sur cette jurisprudence parce que « les dispositions de l’article 316, alinéa 3, du code de procédure pénale ne concernent pas les arrêts qui, accueillant une exception d’extinction de l’action publique, mettent fin à la procédure » ; et elle a ajouté qu’« en pareil cas, dès lors qu’aucune autre décision ne sera rendue par la juridiction criminelle, l’arrêt ne constitue pas un arrêt incident au sens des dispositions de l’article 316 précité et l’appel formé conformément à l’article 380-2 du même code peut être jugé recevable ».

En accord avec les dispositions de l’article 380-2, la Cour en a déduit l’irrecevabilité de l’appel de la partie civile, puisque l’arrêt concerné statuait sur l’action publique, et la recevabilité de l’appel du ministère public.

Il convient donc de retenir que les arrêts par lesquels la cour d’assises juge que l’action publique est éteinte et qui mettent ainsi un terme à la procédure ne peuvent désormais pas être qualifiés d’« incidents ». Il en ressort notamment que, n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 316 du code de procédure pénale, ils peuvent faire l’objet d’un appel conformément au droit commun lorsqu’ils sont rendus en premier ressort.

Quelle est la portée exacte de ce revirement de jurisprudence ? La solution est-elle limitée aux arrêts accueillant une exception d’extinction de l’action publique, telle que la prescription, la chose jugée, l’abrogation de la loi pénale, etc. ? Dans ce cas, elle pourrait être justifiée par l’idée qu’un tel arrêt statue sur l’action publique et donc au fond. La solution s’étend-elle à tous les arrêts rendus par la cour d’assises mettant un terme à la procédure ? Il en serait par exemple ainsi, lorsque cela est permis, des arrêts prononçant l’annulation de la procédure antérieure ou de l’ordonnance de mise en accusation. Cette fois-ci, la solution pourrait s’expliquer parce que l’arrêt, étant le dernier pouvant être rendu, devient un arrêt devant être qualifié de « principal ». À la lecture de la décision retenant notre attention, la chambre criminelle paraît s’orienter vers la seconde branche de l’option. Il sera cependant relevé que la manière dont elle a articulé son raisonnement peut surprendre (§§ 5 et 6 de l’arrêt), car elle appuie son revirement sur une situation particulière (exception d’extinction de l’action publique) avant d’exposer une des conséquences de celle-ci qui le justifie (la cour d’assises ne pourra rendre aucune autre décision).

 

Crim. 12 juin 2024, FS-B, n° 23-82.728

Crim. 12 juin 2024, FS-B, n° 24-81.175

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