Confirmation du renvoi du ministre de la Justice devant la CJR pour prise illégale d’intérêts
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation confirme le renvoi du garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République pour y être jugé du chef de prise illégale d’intérêts.
Pour rappel, la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) a été saisie pour enquêter sur des faits de prise illégale d’intérêts imputés au ministre de la Justice. Dans ce cadre, elle a procédé à plusieurs actes d’investigation, et notamment à une perquisition au sein du ministère durant laquelle des saisies ont été réalisées (Dalloz actualité, 12 avr. 2023, obs. A. Bloch). Mis en examen pour prise illégale d’intérêts, le ministre de la justice a à plusieurs reprises – mais toujours en vain - contesté la régularité de cette procédure, et en particulier le déroulement de cette perquisition (Cass., ass. plén., 17 févr. 2023, Dalloz actualité, 7 mars 2023, obs. T. Scherer). Il a également dû faire face à des refus de la commission d’instruction de procéder à des actes d’enquête qu’il sollicitait, notamment des auditions de témoins. In fine, la commission d’instruction de la CJR a ordonné son renvoi devant la formation de jugement. Le garde des Sceaux a formé un pourvoi en cassation pour contester son renvoi devant la Cour de justice de la république (P. Januel, Éric Dupond-Moretti, avocat, ministre et renvoyé, Dalloz actualité, 4 oct. 2022). Les décisions de caractère juridictionnel rendues par la commission d’instruction, juridiction collégiale unique, qui exerce à la fois les fonctions d’instruction et de contrôle de l’instruction, sont des arrêts qui ne peuvent faire l’objet que de pourvois en cassation portés devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation (Cass., ass. plén., 21 déc. 2021, Dalloz actualité, 26 janv. 2022, obs. S. Fucini). En l’espèce, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière a rejetté son pourvoi.
Par cet arrêt très attendu, les hauts magistrats ont répondu à trois questions aux enjeux procéduraux importants.
Premièrement, l’Assemblée plénière était sollicitée sur la régularité de la saisie de la commission d’instruction de la CJR
Pour conclure à la régularité de cette saisie, les hauts magistrats affirment que le ministère public pouvait valablement saisir d’office la commission d’instruction et que son réquisitoire introductif pouvait être signé par un avocat général désigné pour l’assister dans ses fonctions auprès de la CJR. Le communiqué qui accompagne l’arrêt précise que « puisque la commission d’instruction de la CJR a été saisie d’office par le ministère public, dans le respect des règles, il n’est pas nécessaire de vérifier si les plaintes, qui ont été parallèlement déposées par une association et par deux syndicats, sont ou non régulières ». D’un point de vue pratique, les hauts magistrats confirment ainsi que le procureur général pouvait demander que lui soient transmises des pièces établies dans une autre procédure. Cette précision est importante dans la mesure où, pour apprécier la suite à donner au signalement initial et décider de saisir la commission des requêtes de la CJR, le procureur général avait sollicité la transmission de pièces relatives à une autre procédure. Pour l’Assemblée plénière, cette transmission de pièces correspond à des « vérifications sommaires ».
Deuxièmement, l’Assemblée plénière était questionnée sur la saisie de certains documents lors de la perquisition
Sur cet aspect, les hauts magistrats rappellent qu’aucun texte ne permet au juge d’instruction de déléguer à un greffier tout ou partie de ses pouvoirs d’investigation. En l’espèce, un greffier ne pouvait donc pas valablement trier les documents découverts au cours de la perquisition, tâche qui incombait au seul magistrat instructeur. Pour cette raison, la saisie des documents est annulée. Cette nullité reste toutefois sans incidence sur le renvoi du ministre devant la CJR, le dit renvoi reposant, pour les hauts magistrats, sur d’autres éléments (D. 2023. 582
; D. 2023. 787
).
Troisièmement, l’Assemblée plénière a dû répondre à la question de savoir si la commission d’instruction devait informer le ministre de son droit de se taire lors de l’audience à l’issue de laquelle son renvoi devant la CJR a été décidé
Pour les hauts magistrats, la réponse est négative. L’Assemblée plénière considère en effet que les juges, qui avaient déjà informé le ministre de son droit de se taire lors de son interrogatoire de première comparution, n’avaient pas à réitérer cette notification lors de l’audience subséquente. En d’autres termes, la notification du droit de se taire lors du premier interrogatoire vaut pour toute la durée de la procédure diligentée par la commission d’instruction.
En conséquence, la Cour de cassation confirme la validité du renvoi du ministre de la Justice devant la Cour de justice de la République pour y être jugé pour des faits de prise illégale d’intérêts. Le 8 septembre 2023, lors de l’audience d’installation du nouveau procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz, Éric Dupond-Moretti était absent. Situation juridique inédite, en conclusion de son discours d’installation, le haut magistrat a courageusement indiqué que : « en tant que procureur général, je me vois confier l’exercice du ministère public devant la Cour de justice de la République. J’exercerai ces fonctions de procureur, accompagné de l’avocat général délégué à cette fin, avec l’exigence d’impartialité, d’indépendance et de justice qui a jusqu’alors guidé chacune de mes décisions de magistrat » (allocation du procureur général lors de son audience de présentation accessible sur le site internet de la Cour de cassation).
NDLR: Le procès devant la Cour de justice de la République (CJR) du ministre de la justice Éric Dupond-Moretti est prévu du 6 au 17 novembre, a annoncé jeudi 14 septembre le procureur général près la Cour de cassation dans un communiqué.
© Lefebvre Dalloz