Confiscation : un pas important pour la définition de l’objet de l’infraction
L’immeuble dont la propriété a été frauduleusement transférée à un tiers ne constitue pas l’objet du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité par diminution de l’actif du patrimoine de son auteur, dès lors que ce bien n’est pas un élément constitutif du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité.
Une occasion bienvenue de clarifier la notion d’objet de l’infraction
Bien davantage que l’instrument de l’infraction (ce qui permet de la réaliser) ou son produit (ce qu’elle crée comme avantage pour son auteur), l’« objet » de l’infraction constitue une notion que l’appel au bon sens ne permet pas toujours de déterminer avec évidence, et dont les contours sont peu définis par la jurisprudence. Ces trois notions sont pourtant au cœur du dispositif pénal de confiscation prévu à l’article 131-21 du code pénal (biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre à l’alinéa 2, et biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction à l’alinéa 3). Cet arrêt marque un pas important pour cette définition de l’« objet » par le prisme confiscatoire, à travers une application spécifique au délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité, mais un recours général à l’idée selon laquelle pour être l’objet de l’infraction, un bien ou un droit devrait en être un élément constitutif.
Les faits de l’espèce et la thèse retenue par la cour d’appel
En l’espèce, un individu est mis en cause dans le cadre d’une enquête pour avoir organisé son insolvabilité en procédant à la donation à deux de ses enfants de la nue-propriété d’un immeuble lui appartenant, dans la perspective de son éventuelle condamnation de nature patrimoniale au terme d’une procédure pénale distincte. Le juge des libertés et de la détention, compétent à ce stade de la procédure, ordonne la saisie de l’immeuble litigieux, dont le suspect n’était plus qu’usufruitier aux côtés de son épouse. Tant les nus-propriétaires que les usufruitiers forment appel de cette ordonnance, qui est confirmée par la chambre de l’instruction. Cette juridiction retenait des indices de la participation du suspect à l’infraction en l’état d’un appauvrissement de son patrimoine dans l’intention d’échapper à son obligation à réparation à la suite de sa mise en cause dans une affaire distincte. La chambre de l’instruction estimait par ailleurs que son épouse et ses enfants ne pouvaient ignorer son intention, au travers de la donation consentie, d’échapper à son obligation, pour exclure leur bonne foi.
La question ne s’était donc pas directement posée, pour les juges du second degré, de savoir si l’immeuble était ou non l’objet de l’infraction. D’ailleurs, dans une hypothèse similaire, où un immeuble avait été confisqué en répression d’un délit d’organisation d’insolvabilité, la chambre criminelle semblait avoir validé ce raisonnement en considérant que le grief pris d’une insuffisance de motivation de la peine complémentaire de confiscation était « inopérant s’agissant de la confiscation d’un bien qui est l’objet de l’infraction » (Crim. 25 mars 2020, n° 19-81.719).
Le bien qui sort du patrimoine n’est pas l’objet de l’organisation frauduleuse d’insolvabilité
Le suspect et sa fille forment un pourvoi, en présentant un moyen dont l’une des branches est examinée par la chambre criminelle. S’opposant à l’arrêt ayant considéré l’immeuble dont la nue-propriété avait été transférée aux enfants comme « objet » du délit, les demandeurs au pourvoi estiment quant à eux que l’objet de ce délit correspond à son « produit », lequel « consiste dans l’économie que sa commission a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui de la condamnation patrimoniale à laquelle son auteur a été condamné ». Au-delà de l’assimilation discutable faite par le moyen entre l’objet et le produit, la critique tendant à réorienter la saisie vers ce qui est éludé, plutôt que ce qui est dissimulé en vue d’éluder, est séduisante. Il aurait pu également être souligné que l’objet ne pouvait être ici, en tout état de cause, que la nue-propriété du bien immobilier ayant été transférée.
Parce qu’il s’agissait en l’espèce d’une saisie immobilière, la Cour de cassation rend son arrêt de cassation au visa des articles 131-21, alinéas 1 et 3, du code pénal et 706-150 du code de procédure pénale, en rappelant en substance le principe fondamental selon lequel ne peut être saisi que ce qui peut être confisqué.
Mais le cœur de l’argumentation se situe ici sur le terrain du droit pénal substantiel, ou sur ce qu’on pourrait qualifier de droit général de la confiscation. La chambre criminelle censure ce qui constitue à ses yeux une erreur de qualification du bien confisqué, en jugeant que « l’immeuble dont la propriété a été frauduleusement transférée à un tiers ne constitue pas l’objet du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité par diminution de l’actif du patrimoine de son auteur, dès lors que ce bien n’est pas un élément constitutif du délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité ».
Le fait qu’au sens des dispositions sur la confiscation, l’objet de l’infraction doive correspondre à un élément constitutif de l’infraction est un principe inédit dans la jurisprudence de la chambre criminelle, dont il faut imaginer diverses applications. Cette solution était néanmoins proposée par le conseiller-rapporteur faisant partie de la formation de la Cour ayant eu à connaître de la présente affaire, dans un important article consacré à ce sujet (L. Ascensi, À la recherche de l’objet de l’infraction. Réflexions sur le troisième alinéa de l’article 131-21 du code pénal, La lettre juridique, juill. 2020).
Une cassation avec renvoi et invitation (critiquable) à saisir sur un autre fondement
La chambre criminelle aurait pu se borner à censurer cette erreur de qualification et à renvoyer la cause et les parties devant une chambre de l’instruction autrement composée ou différente, qui aurait rempli son office comme elle en a le devoir. Mais elle ajoute que la chambre de l’instruction « aurait dû rechercher si l’immeuble était saisissable à un autre titre, notamment en tant qu’instrument de l’infraction, comme ayant permis sa commission ». Il paraît pourtant difficile de voir dans l’élément patrimonial dissimulé l’instrument même de la dissimulation, dès lors que celle-ci résulte d’une opération juridique (ici le transfert de la nue-propriété) qui n’apparaît pas saisissable.
Crim. 7 mai 2024, FS-B, n° 23-82.628
© Lefebvre Dalloz