Consécration et aménagement de l’extension des effets de l’extinction de l’action publique à la confiscation
Opérant un revirement de jurisprudence, la chambre criminelle juge désormais qu’en cas de décès du prévenu condamné à une peine de confiscation visant des biens placés sous main de justice postérieurement à la formation de son pourvoi, l’extinction de l’action publique s’étend à cette peine complémentaire et le pourvoi devient sans objet. Néanmoins, les ayants droit peuvent présenter une requête en restitution à la cour d’appel initialement saisie de la poursuite.
En 2013, la chambre criminelle avait jugé que la mesure de confiscation ordonnée à l’occasion de poursuites correctionnelles et visant l’instrument du délit ou la chose produite par le délit constituait une sanction à caractère réel qui survivait à l’extinction de l’action publique et que, en conséquence, il y a lieu, s’agissant de cette seule mesure de confiscation, de statuer sur le pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours (Crim. 25 juin 2013, n° 12-80.859 P). Cette décision avait été qualifiée de « prodige » par la doctrine, qui relevait que la distinction entre sanctions « personnelles » et sanctions « réelles », « d’origine prétorienne – et que valide ponctuellement le législateur – (était) cependant fort délicate à opérer », même au sein des confiscations listées par l’article 131-21 du code pénal elles-mêmes (S. Detraz, Gaz. Pal. 15 oct. 2013, n° 150a4).
L’extension des effets de l’extinction de l’action publique à la confiscation, qui prive d’objet le pourvoi en son entier
Tenant expressément compte des critiques doctrinales visant cette solution prétorienne, la chambre criminelle opère un revirement de jurisprudence dans un important arrêt du 7 mai 2024. Elle décide désormais qu’« en cas de pourvoi formé par un prévenu décédé postérieurement à la formulation de son recours, le décès entraîne l’extinction de l’action publique, laquelle étend ses effets à la peine de confiscation ». La Cour de cassation n’a donc plus à statuer sur le pourvoi formé par le prévenu décédé entre-temps, ce pourvoi devenant sans objet en application de l’article 606 du code de procédure pénale.
Il convient de signaler qu’en 2023, pour valider l’application de l’article 706-164 du code de procédure pénale (recouvrement de dommages et intérêts par les parties civiles sur les fonds gérés par l’AGRASC) dans un cas où la confiscation n’avait pas été prononcée en raison du décès d’un prévenu, la chambre criminelle avait déjà jugé que « si la non-restitution de l’instrument et du produit de l’infraction ne constitue pas une peine, dès lors que le seul objet de cette mesure est de prévenir le renouvellement d’infractions et de lutter contre toute forme d’enrichissement illicite, dans l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public, la décision de non-restitution de l’instrument et du produit prononcée par la juridiction de jugement constitue néanmoins une alternative à la confiscation, lorsque le prononcé de celle-ci est impossible en raison, comme en l’espèce, d’une circonstance personnelle à la personne poursuivie, et en partage les effets comme emportant la dévolution du bien non restitué à l’État en application du troisième alinéa de l’article 41-4 du code de procédure pénale » (Crim. 28 juin 2023, n° 21-87.417 P, Dalloz actualité, 4 juill. 2023, obs. D. Goetz ; D. 2023. 1263, et les obs.
; ibid. 2278, obs. T. Clay
).
La subsistance d’hypothèses de non-restitution
L’extinction de l’action publique étendue à la peine de confiscation n’entraîne pas la restitution automatique aux ayants droit du bien placé sous main de justice. Le principe nouvellement consacré doit en effet être concilié avec les dispositions de l’article 481 du code de procédure pénale qui prévoit que « le tribunal peut refuser la restitution lorsque celle-ci présente un danger pour les personnes ou les biens ou lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».
La Cour de cassation se réfère également à l’article 4, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 dont l’article précité constitue la transposition, selon lequel « lorsqu’il n’est pas possible de procéder à la confiscation sur la base du paragraphe 1, à tout le moins lorsque cette impossibilité résulte d’une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction pénale qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice ».
Sur ce point, la nouvelle directive (UE) 2024/1260 du Parlement européen et du Conseil du 24 avril 2024 relative au recouvrement et à la confiscation d’avoirs prévoit désormais, en son article 15, la possibilité de procéder à la confiscation des instruments et des produits tirés de la commission de l’infraction, en nature ou en valeur, des produits ou des biens transférés à des tiers, lorsqu’une procédure pénale a été engagée mais n’a pu être poursuivie en raison notamment du décès du suspect ou de la personne poursuivie.
Le recours ouvert aux ayants droit
Ces derniers ont une possibilité d’action dont la chambre criminelle définit les contours. Procéduralement, les ayant droit peuvent alors « présenter à la cour d’appel initialement saisie de la poursuite une requête aux fins de restitution des biens placés sous main de justice en application des articles 479 et suivants du code de procédure pénale ». Ainsi, aux termes de l’arrêt commenté, la chambre criminelle précise dans son dispositif que les parties peuvent agir en ce sens.
L’office de la cour d’appel saisie d’une requête par les ayants droit et les garanties accordées à ces derniers
Quel est le rôle de la cour d’appel saisie d’une telle demande ? La Cour de cassation précise qu’il appartient notamment à cette juridiction, le cas échéant, « de se prononcer sur la caractérisation objective de l’infraction, sans imputer celle-ci à la personne décédée, ni se prononcer sur la culpabilité de cette dernière ».
Pour justifier cette voie, la chambre criminelle rappelle que le droit français reconnaît déjà la possibilité de caractériser objectivement les éléments constitutifs de l’infraction sans déclarer le prévenu coupable de l’infraction constatée. Tel est le cas des articles 470-2 et 706-133 du code de procédure pénale qui permettent au tribunal correctionnel de relaxer le prévenu en raison d’une cause d’irresponsabilité pénale. Elle rappelle, en outre, que la décision de non-restitution ne constitue pas une peine. La non-restitution est une mesure préventive qui vise « à prévenir le renouvellement d’infractions et à lutter contre toute forme d’enrichissement illicite » (Cons. const. 3 déc. 2021, n° 2021-951 QPC, Dalloz actualité, 10 déc. 2021, obs. D. Goetz ; D. 2021. 2181
). Elle poursuit un « objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public » (même décision).
Toutefois, pour ne pas risquer de contrarier la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui « juge que, tant par le langage utilisé que par son raisonnement, le juge national ne peut, sans méconnaître le droit à la présomption d’innocence garanti par l’article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, déclarer une personne coupable d’infraction, alors même que l’action publique est éteinte du fait de son décès et que sa culpabilité n’a pas été établie par un tribunal de son vivant (CEDH 12 avr. 2012, Lagardère c/ France, n° 18851/07, Dalloz actualité, 23 avr. 2012, obs. O. Bachelet ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2012. 1708, obs. O. Bachelet
, note J.-F. Renucci
; AJ pénal 2012. 421, obs. S. Lavric
; Rev. sociétés 2012. 517, note H. Matsopoulou
; RSC 2012. 558, obs. H. Matsopoulou
; ibid. 695, obs. D. Roets
) » (arrêt commenté, § 10). Ainsi, les ayants droit de la personne décédée peuvent, d’une part, contester la caractérisation de l’infraction (ce qui, en cas de succès, suffirait à justifier la restitution) et, d’autre part, défendre que les biens dont ils sollicitent la restitution ne sont ni l’instrument ni le produit de cette infraction (soit les deux cas où la non-restitution peut leur être opposée).
La chambre criminelle tient en outre à ce que soit respecté le principe tiré du droit à un procès équitable selon lequel les ayants droit de la personne décédée doivent être mis en mesure de défendre leur cause, qui découle également de cette jurisprudence Lagardère contre France.
Crim. 7 mai 2024, FS-B, n° 22-81.344
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