Conséquences de la résiliation d’une délégation de service public sur le droit à indemnisation du candidat évincé
Lorsqu’une délégation de service fait l’objet d’une résiliation, les motifs et les effets de cette résiliation peuvent avoir une incidence sur le droit à indemnisation du manque à gagner du candidat évincé.
 
                            La commune de la Chapelle d’Abondance a lancé une procédure de passation d’une délégation de service public en vue de l’exploitation des remontées mécaniques et des pistes de ski alpin situées sur le territoire communal. Le contrat a été signé avec la société d’exploitation de la Chapelle d’Abondance le 10 novembre 2016. La société évincée, Chapelle d’Abondance Loisirs Développement, a saisi le Tribunal administratif de Grenoble d’une demande d’indemnisation de son manque à gagner ou, à titre subsidiaire, des frais liés à la présentation de son offre.
Le tribunal administratif a condamné la commune de la Chapelle d’Abondance au versement de la somme de 22 558 € à la société évincée au titre des frais de présentation de son offre. La Cour administrative d’appel de Lyon a porté le montant de la condamnation à 450 000 €, équivalent au manque à gagner de la société évincée. La commune se pourvoit en cassation.
Lien de causalité entre l’éviction irrégulière et la perte de chance de remporter le contrat
Le Conseil d’État rappelle dans un premier temps que, dans le cadre de sa jurisprudence Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe (CE 18 juin 2003, n° 249630, Lebon  ; AJDA 2003. 1676
 ; AJDA 2003. 1676  ), si un candidat évincé a la possibilité de demander la réparation du préjudice né d’une éviction irrégulière, « il appartient au juge de vérifier (…) si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat ». Ce n’est que dans la négative que la société évincée « a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ».
), si un candidat évincé a la possibilité de demander la réparation du préjudice né d’une éviction irrégulière, « il appartient au juge de vérifier (…) si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat ». Ce n’est que dans la négative que la société évincée « a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ».
Dans un second temps, le juge administratif vérifie les chances sérieuses dont disposait la société évincée de remporter le contrat litigieux : « Dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ».
Par la suite, lorsque la société évincée argue d’une irrégularité de la procédure de passation du contrat litigieux qui a provoqué son éviction, le juge recherche l’existence d’un lien de causalité entre une faute et le préjudice dont se prévaut la société évincée ; c’est ce que le Conseil d’État a notamment jugé dans sa décision Compagnie martiniquaise de transports de 2003 (CE 10 juill. 2013, n° 362777, Lebon  ; AJDA 2013. 1482
 ; AJDA 2013. 1482  ). La Haute juridiction a pu à cet égard préciser dans une décision Société Bancel de 2017 que « lorsque l’irrégularité ayant affectée la procédure de passation n’a pas été la cause directe de l’éviction du candidat, il n’y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction (…) » (CE 10 févr. 2017, n° 393720, Lebon
). La Haute juridiction a pu à cet égard préciser dans une décision Société Bancel de 2017 que « lorsque l’irrégularité ayant affectée la procédure de passation n’a pas été la cause directe de l’éviction du candidat, il n’y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction (…) » (CE 10 févr. 2017, n° 393720, Lebon  ; AJDA 2017. 317
 ; AJDA 2017. 317  ; AJCT 2017. 284, obs. S. Hul
 ; AJCT 2017. 284, obs. S. Hul  ).
).
Perte de chance de remporter le contrat en cas de résiliation
Le Conseil d’État indique qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère certain du préjudice allégué, « (…) en tenant compte notamment, s’agissant des contrats dans lesquels le titulaire supporte les risques de l’exploitation [c’est-à-dire les délégations de service public], de l’aléa qui affecte les résultats de cette exploitation et de la durée de celle-ci » (v. à cet égard, CE 10 févr. 2016, n° 387769).
Au cas d’espèce, la délégation de service public litigieuse a été résiliée, raison pour laquelle la commune de de la Chapelle d’Abondance conteste le montant de l’indemnisation prononcée par les juges du fond. Sur ce point, le Conseil d’État considère que pour apprécier le caractère direct du préjudice causé en cas de résiliation du contrat, il convient de « tenir compte des motifs et des effets de cette résiliation, afin de déterminer quels auraient été les droits à indemnisation du concurrent évincé si le contrat avait été conclu avec lui et si sa résiliation avait été prononcée pour les mêmes motifs que celle du contrat irrégulièrement conclu ».
Ainsi, en fonction des motifs et des effets de la résiliation litigieuse, cette résiliation peut avoir une incidence sur le droit à indemnisation du candidat évincé. Ce moyen, précise le Conseil d’État, « peut (…) être soulevé pour la première fois devant le juge de cassation ». La commune de la Chapelle d’Abondance est fondée à demander l’annulation de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon qui a jugé que la résiliation était sans conséquence sur le droit à indemnisation du manque à gagner de la société Chapelle d’Abondance Loisirs Développement.
CE 24 avr. 2024, Commune de la Chapelle d’Abondance, n° 472038
© Lefebvre Dalloz