Conséquences du statut de réfugié octroyé par un État membre
Par deux décisions, la Cour de justice de l’Union européenne précise les conséquences de l’octroi du statut de réfugié par un État membre sur une demande d’extradition formulée auprès de l’État de résidence et sur une demande d’asile formulée auprès d’un autre État membre.
La Cour de justice de l’Union européenne juge qu’un ressortissant d’un pays tiers ne peut être extradé par un État membre vers son pays d’origine lorsqu’il s’est vu reconnaître le statut de réfugié par un autre État membre (aff. C-352/22, D. 2023. 838) ; mais un État membre n’est pas tenu de reconnaître automatiquement le statut de réfugié accordé par un autre État membre (aff. C-753/22).
Dans la première affaire, la Turquie a demandé à l’Allemagne d’extrader un ressortissant turc d’origine kurde, soupçonné d’homicide. La juridiction allemande devant statuer sur cette demande se pose la question de savoir si le fait que l’intéressé s’est vu reconnaître le statut de réfugié en Italie, au motif qu’il courrait un risque de persécutions en Turquie, a un effet contraignant dans le cadre d’une procédure d’extradition menée dans un autre État membre. Elle a interrogé la Cour de justice.
La juridiction relève « que l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis ne saurait autoriser l’extradition d’un ressortissant de pays tiers s’étant vu reconnaître le statut de réfugié par un autre État membre vers ce pays tiers, lorsqu’une telle extradition méconnaîtrait [le principe de non-refoulement] ». Ainsi, « tant que ledit individu remplit les conditions pour jouir de cette qualité, l’article 18 de la Charte s’oppose à son extradition vers le pays tiers qu’il a fui et dans lequel il risque d’être persécuté ». Et « lorsque la personne visée par une demande d’extradition se prévaut d’un risque sérieux de traitement inhumain ou dégradant en cas d’extradition, l’État membre requis doit vérifier, avant de procéder à une éventuelle extradition, que cette dernière ne portera pas atteinte aux droits visés à l’article 19, paragraphe 2, de la Charte ».
Échange d’informations
Sur la base du principe de coopération loyale, « l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis doit entamer, dans les meilleurs délais, un échange d’informations avec l’autorité de l’autre État membre qui a octroyé à l’individu réclamé le statut de réfugié ». D’une part, cet échange d’informations est destiné à mettre l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis en mesure de procéder de manière pleinement éclairée aux vérifications qui lui incombent. D’autre part, il permet à l’autorité compétente de l’autre État membre de révoquer ou de retirer, le cas échéant, le statut de réfugié. Dès lors, estime la juridiction, « ce ne serait que dans l’hypothèse où l’autorité compétente de l’État membre ayant accordé à l’individu réclamé le statut de réfugié décide de révoquer ou de retirer ce statut et pour autant que l’autorité compétente en matière d’extradition de l’État membre requis parvienne à la conclusion que cet individu n’a pas ou plus la qualité de réfugié et qu’il n’existe aucun risque sérieux que, en cas d’extradition dudit individu vers l’État tiers requérant, le même individu y soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, que le droit de l’Union ne s’opposerait pas à une extradition ».
La seconde espèce concerne une ressortissante syrienne ayant obtenu le statut de réfugié en Grèce qui a ensuite demandé une protection internationale en Allemagne. En raison des conditions de vie des réfugiés en Grèce, l’autorité allemande compétente a rejeté sa demande de statut de réfugié, mais lui a accordé la protection subsidiaire. L’intéressée a introduit un recours. Le juge a saisi la Cour de justice de la question suivante : dans une telle situation, l’autorité compétente est-elle tenue de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au seul motif que ce statut lui a déjà été reconnu par l’autre État membre ou peut-elle procéder à un nouvel examen autonome de cette demande au fond.
Pas de reconnaissance automatique du statut de réfugié
La Cour constate que « le législateur de l’Union n’a pas, à ce stade, posé de principe selon lequel les États membres seraient tenus de reconnaître de manière automatique les décisions d’octroi du statut de réfugié adoptées par un autre État membre, ni précisé les modalités de mise en œuvre d’un tel principe ». Lorsque l’autorité compétente d’un État membre est dans l’impossibilité de déclarer irrecevable une demande de protection internationale dont elle est saisie, cette autorité doit procéder à un examen individuel, complet et actualisé des conditions pour l’octroi du statut de réfugié. Si le demandeur remplit les conditions pour être considéré comme étant réfugié, ladite autorité doit lui accorder le statut de réfugié sans disposer d’un pouvoir discrétionnaire. « À cet égard, si la même autorité n’est pas tenue de reconnaître le statut de réfugié à ce demandeur au seul motif que ce statut a, antérieurement, été octroyé à ce dernier par décision d’un autre État membre, elle doit néanmoins tenir pleinement compte de cette décision et des éléments qui la soutiennent. »
Compte tenu du principe de coopération loyale, il revient à la première de ces autorités d’informer la seconde de la nouvelle demande, de lui transmettre son avis sur cette nouvelle demande et de solliciter de sa part la transmission, dans un délai raisonnable, des informations en sa possession ayant conduit à l’octroi de ce statut. « Cet échange d’informations est destiné à mettre l’autorité de l’État membre saisi de ladite nouvelle demande en mesure de procéder de manière pleinement éclairée aux vérifications qui lui incombent dans le cadre de la procédure de protection internationale. »
CJUE 18 juin 2024, aff. C-352/22
CJUE 18 juin 2024, aff. C-753/22
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