Constitutionnalité du régime de mise en vente par l’AGRASC des biens saisis et aliénés

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause l’absence d’encadrement légal des conditions de mise en vente des biens saisis et aliénés, et de participation du propriétaire à cette phase de la procédure, le Conseil constitutionnel écarte toute atteinte tant au droit de propriété qu’au droit à un recours effectif.

Le Conseil constitutionnel a examiné la constitutionnalité des mots « s’il est procédé à la vente du bien » figurant au deuxième alinéa de l’article 41-5 du code de procédure pénale, dans sa version résultant de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011. Il a eu à apprécier la conformité au droit de propriété, ainsi qu’au droit à un recours effectif, de l’absence de tout encadrement spécifique et de toute possibilité de recours au stade où l’aliénation du bien préalablement saisi devient effective, c’est-à-dire au moment où il est vendu par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). La question essentielle étant celle de la fixation du prix de vente, décidée unilatéralement et souverainement par l’État, sans ligne directrice légale ni recours possible de la part du propriétaire du bien.

La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lui était transmise par le conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris, puis par la première chambre civile de la Cour de cassation exerçant son rôle de filtre, dans un litige opposant à l’agent judiciaire de l’État au propriétaire de véhicules saisis, puis aliénés, qui s’était vu restituer le produit de la vente à la suite de sa relaxe partielle. Ce dernier avait engagé une action en responsabilité et en indemnisation sur le fondement d’un dysfonctionnement du service public de la justice, résultant de « la vente injustifiée et à vil prix des véhicules saisis ».

La question avait été jugée sérieuse par la Cour de cassation, statuant par arrêt du 4 juin 2025 (Crim. 4 juin 2025, n° 25-40.007), qui avait estimé que « si l’aliénation du bien saisi est soumise à l’autorisation du juge dont la décision est susceptible d’un appel suspensif et si la vente n’est possible qu’à la condition que le maintien de la saisie soit de nature à diminuer la valeur du bien dans l’intérêt même du propriétaire lorsque la restitution du produit de la vente est ordonnée à l’issue de la procédure, aucun recours juridictionnel n’est prévu permettant au propriétaire de contester, en cas de vente par adjudication, la mise à prix fixée par l’AGRASC ». Selon la Haute juridiction, cette carence était susceptible de méconnaître des droits constitutionnellement garantis.

Assurément, la question se posait de savoir s’il était légitime que le législateur se soit arrêté à ouvrir un recours et une discussion possible sur le principe même de la vente du bien saisi, sans fixer ni règles ni recours au stade de la mise en vente du bien. Le Conseil constitutionnel a estimé que le droit positif n’était pas de nature à contrarier les exigences constitutionnelles.

Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété

S’agissant de la qualification à donner d’une aliénation du bien en cours de procédure (malgré l’absence de décision de confiscation), le Conseil constitutionnel juge qu’elle entraîne pour son propriétaire une véritable privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789. Toutefois, pour démontrer l’existence d’un motif de nécessité publique, c’est-à-dire d’un but légitime poursuivi par le législateur, le Conseil rappelle, d’une part, qu’une telle décision intervient lorsque la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien, et que le produit de la vente est restitué au propriétaire à l’issue de la procédure en cas de mise hors de cause (ce qui avait été précisément rappelé par la Cour de cassation dans son arrêt de transmission). Ainsi, cette alinéation revêt un « caractère conservatoire » (consid. 10). Elle est prise « dans l’intérêt tant de la partie poursuivante que du propriétaire des biens saisis ». D’autre part, le Conseil estime à la lecture des travaux parlementaires que « le législateur a entendu prévenir la dépréciation de ces biens y compris dans l’éventualité du transfert de leur propriété à l’État et limiter les frais de leur stockage et de leur garde ». Ainsi, ces dispositions poursuivent les objectifs de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et de bon emploi des deniers publics.

La mise en avant de l’intérêt de l’État d’éviter la dépréciation du bien dans l’éventualité où celui-ci se voit confisqué peut-il être considéré comme une garantie de défense du juste prix de vente ? Force est de constater qu’au moment de la décision d’aliénation puis, en principe, de l’exécution de cette décision, les chances que le bien revienne à l’État ou à son propriétaire initial sont censées être équivalentes, de sorte qu’il n’apparaît pas justifié que seul le premier décide souverainement des conditions de la vente.

Pour écarter ensuite toute méconnaissance du droit à une indemnisation juste de la privation de propriété telle que prévue par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel rappelle, en premier lieu, que la décision d’alinéation est prise par un juge à la seule fin d’éviter une dépréciation de ce bien, de sorte que – selon lui et sans que cela ne ressorte de quelconques dispositions légales ou règlementaires – « lorsque l’agence procède à l’aliénation des biens qui lui ont été remis à cette fin, il lui appartient de procéder à leur vente et, le cas échéant, à la fixation du montant de leur mise à prix dans des conditions propres à s’assurer que le produit de cette vente corresponde à leur valeur ». Cette dernière précision, qui consacre quasiment l’obligation de l’AGRASC de fixer le prix dans de justes conditions, est importante et pourrait presque s’analyser comme une réserve d’interprétation. Elle pourra être utilement mobilisée dans le cadre de futurs contentieux en responsabilité de l’État.

En second lieu, par un considérant 14 dont le sens est un peu difficile à saisir puisque n’évoquant pas le but premier des saisies pénales spéciales qui est de garantir la confiscation, le Conseil constitutionnel juge que même si l’article 17 de la Déclaration de 1789 évoque le versement préalable d’une indemnité, cela n’empêche pas que « celle-ci soit retenue à titre conservatoire en vue du paiement des amendes pénales auxquelles la personne mise en cause pourrait être condamnée ou en vue de l’indemnisation des victimes ». Par conséquent, le produit de la vente peut être rendu indisponible durant le temps de la procédure.

Sur le grief tiré de l’atteinte au droit à un recours effectif

Le Conseil constitutionnel oppose deux arguments pour justifier la mise à l’écart du propriétaire au stade de la mise en vente du bien.

D’une part, il est de nouveau rappelé que le propriétaire peut « contester la décision de saisie » et solliciter la restitution du bien, mais également contester l’éventuelle décision de non-restitution. Autant de recours prévus par la loi qui apparaissent intervenir bien trop en amont de la mise en vente pour pouvoir constituer des arguments utiles dans le cadre de l’examen de la présente QPC.

D’autre part, est opposé le droit d’exercer un recours contre la décision d’aliénation, recours qui présente certes un caractère suspensif. Le Conseil constitutionnel constate que « dans ce cadre, la juridiction se prononce sur la nécessité de conserver le bien pour la manifestation de la vérité et sur le risque de dépréciation de la valeur de ce dernier. Le propriétaire du bien est ainsi mis en mesure de contester le fait que son aliénation serait de nature à en préserver la valeur ». Toutefois, ce rappel de l’état du droit positif encadrant l’étape consistant à décider de la vente du bien n’apparaît pas de nature à expliquer ou à compenser l’absence d’encadrement de la phase consistant à y procéder en en fixant le prix. C’était pourtant bien là la seule question posée.

En réalité, le seul argument consistant, bien que peu satisfaisant comme ne répondant qu’à une logique de réparation exceptionnelle, réside en l’existence d’un recours en responsabilité de l’État pour tout dommage causé par un fonctionnement défectueux du service public de la justice, « auquel participe l’agence ».

 

Cons. const. 12 sept. 2025, n° 2025-1156 QPC

par Cloé Fonteix, Avocat au Barreau de Paris, Cabinet Haïk et associés

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