Contestation de crime contre l’humanité : appréciation des éléments extrinsèques

A méconnu les articles 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale la cour d’appel qui, pour relaxer le prévenu et débouter les parties civiles, a retenu au regard du contexte mais sans s’en expliquer, que les propos proférés n’avaient pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration.

Dans l’émission Face à l’info, diffusée en direct le 21 octobre 2019, sur Cnews, le chroniqueur Éric Z. fut interrogé sur des propos qu’il aurait tenus précédemment suivant lesquels Philippe Pétain aurait sauvé les Juifs ; l’intéressé précisa qu’il s’agissait des Juifs français, et affirma qu’il s’agissait d’une réalité.

Les associations Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! action internationale pour la justice (AIPJ) firent citer l’intéressé devant le Tribunal correctionnel de Paris pour contestation de crime contre l’humanité. Mais le 4 février 2021, le tribunal correctionnel, devant lequel étaient intervenues en qualité de parties civiles les associations SOS racisme – Touche pas à mon pote (SOS racisme), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), relaxa le prévenu. Les parties civiles et le parquet firent appel de ce jugement et le 12 mai 2022, la Cour d’appel de Paris confirma la relaxe. Statuant sur les pourvois formés par les cinq parties civiles et le procureur général, la chambre criminelle casse et annule l’arrêt d’appel au double visa des articles 24 bis de la loi sur la presse et 593 du code de procédure pénale, estimant que la cour d’appel n’avait pas justifié sa décision.

Contrôlant l’appréciation faite par les juge du fond du sens et de la portée des propos litigieux, la Haute Cour censure la motivation adoptée par ces derniers pour conclure à la relaxe du prévenu, renvoyant la cause et les parties devant la Cour de Paris autrement composée.

Les éléments constitutifs du délit de contestation de crime contre l’humanité

La contestation de crime contre l’humanité est incriminée à l’article 24 bis, alinéa 1er, de la loi sur la presse qui dispose que « Seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale. » Le délit, créé par la loi Gayssot du 13 juillet 1990, vise à réprimer le révisionnisme ; jusqu’en 2017, l’objet de l’infraction était limité à la contestation de la Shoah, mais le législateur a depuis étendu le champ de l’article 24 bis pour inclure la négation d’autres génocides et crimes contre l’humanité (D. 2017. 686 , note F. Safi).

Pour être punissable au titre du premier alinéa de l’article 24 bis, l’infraction implique, dans sa matérialité, de contester l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels que définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international (TMI) de Nuremberg, en mettant en doute la réalité ou l’ampleur de la déportation et de l’extermination des Juifs par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale (C. Bigot, Pratique du droit de la presse, Dalloz, 2023-2024, chap. 326.51).

Ainsi des propos minimisant la portée des actes de déportation permettent de caractériser le délit (Crim. 27 mars 2018, n° 17-82.637, D. 2019. 216, obs. E. Dreyer  ; Légipresse 2018. 253 et les obs.  ; pour le fait de qualifier de « détail de l’histoire » l’emploi des chambres à gaz ; 24 mars 2020, n° 19-80.783, Légipresse 2020. 273 et les obs.  ; ibid. 362, étude T. Hochmann  ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy  ; RSC 2021. 103, obs. E. Dreyer  ; pour le fait de qualifier la rafle du Vél d’hiv d’« épisode mineur de la déportation » ; 19 oct. 2021, n° 20-84.127, Légipresse 2021. 520 et les obs.  ; ibid. 2022. 188, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier  ; ibid. 253, obs. N. Mallet-Poujol  ; RSC 2022. 75, obs. E. Dreyer  ; pour une présentation de la contestation de la Shoah sous une forme déguisée), de même que le fait de mettre en doute les témoignages des survivants (Paris, pôle 2, ch. 7, 6 juin 2018, Légipresse 2018. 374).

Du point de vue de son élément intentionnel, le délit suppose la mauvaise foi de l’auteur des propos, généralement déduite de la constatation de l’élément matériel. Mais « si l’élément moral fait l’objet d’une présomption de très forte intensité, sa discussion n’est pas totalement exclue » (C. Bigot, op. cit., chap. 326.52). Le défaut d’intentionnalité au regard du contexte des propos a d’ailleurs été plaidée dans ce dossier, avec succès devant les juges du fond (TJ Paris, 17e ch. corr., 4 févr. 2021, n° 20023000020, Légipresse 2021. 74 et les obs.  ; ibid. 2022. 253, obs. N. Mallet-Poujol  ; Paris, pôle 2, ch. 7, 12 mai 2022, n° 21/02860, Légipresse 2022. 278 et les obs.  ; ibid. 427, étude T. Hochmann  ; ibid. 2023. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer  ; ibid. 241, étude N. Mallet-Poujol ).

L’appréciation du sens et de la portée des propos par les juges du fond

Saisis de l’infraction prévue à l’article 24 bis de la loi sur la presse, les juges du fond avaient pour tâche d’apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties (§ 13).

En matière de presse, outre les éléments intrinsèques, issus du propos lui-même, des éléments extrinsèques peuvent en éclairer la véritable portée (Crim. 29 janv. 2008, n° 06-88.097 ; 16 oct. 2012, n° 11-82.866 P, D. 2013. 457, obs. E. Dreyer  ; Légipresse 2012. 672 et les obs. ). Ainsi, par exemple, des termes ne présentant en eux-mêmes aucun caractère diffamatoire peuvent néanmoins caractériser une diffamation en raison de circonstances extrinsèques à l’écrit incriminé (Crim. 15 oct. 2019, n° 18-85.366, pour une diffamation publique raciale, Dalloz actualité, 14 nov. 2019, obs. S. Lavric ; D. 2019. 1993  ; Légipresse 2019. 592 et les obs.  ; ibid. 2020. 127, chron. E. Tordjman, G. Rialan et T. Beau de Loménie  ; Dr. pénal 2020, n° 8, obs. P. Conte ; 26 mai 2021, n° 20-80.884, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. S. Lavric ; D. 2021. 1083  ; ibid. 2022. 189, obs. E. Dreyer  ; AJ pénal 2021. 367, obs. J.-B. Thierry  ; Légipresse 2021. 320 et les obs.  ; ibid. 337, étude B. Ader  ; ibid. 2022. 121, étude E. Tordjman, O. Lévy et J. Sennelier  ; ibid. 194, étude N. Verly  ; RSC 2022. 71, obs. E. Dreyer  ; v. récemment, en matière d’injures et de provocations publiques à la discrimination, Crim. 21 févr. 2023, n° 21-86.068, Dalloz actualité, 17 mars 2023, obs. A. Roques ; D. 2023. 397  ; AJ pénal 2023. 144 et les obs.  ; Légipresse 2023. 142 et les obs.  ; ibid. 227, étude T. Hochmann ). Il revient ainsi aux juges du fond de relever toutes ces circonstances extrinsèques, dont l’appréciation est laissée à leur pouvoir souverain.

Pour confirmer la relaxe du prévenu, la cour d’appel a retenu que les propos litigieux avaient été tenus à la suite d’une brusque interpellation au sujet d’une affirmation prononcée dans une émission précédente, faisant référence à une opinion défendue par le prévenu dans l’un de ses livres (suivant laquelle Pétain aurait sauvé des Juifs). Ce dont elle a déduit que les propos n’avaient « pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration ».

Pour les juges du fond, il n’y avait ni contestation, ni crime contre l’humanité au sens de l’article 24 bis par ailleurs, dès lors que Philippe Pétain n’avait pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du TMI annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945 (motif erroné selon les conclusions de l’avocat général, p. 23).

Le contrôle opéré par la Cour de cassation

Rappelant qu’il lui appartient de contrôler l’appréciation du sens et de la portée des propos et de vérifier que l’analyse des éléments extrinsèques est exempte d’insuffisance comme de contradiction (§ 14), la Haute Cour rappelle, pour commencer, qu’il est indifférent que Philippe Pétain n’ait pas été lui-même condamné pour un ou plusieurs crimes tels que définis à l’article 6 du statut du TMI dès lors qu’« il suffit que les personnes désignées [par l’article 24 bis] les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers. » (Crim. 24 mars 2020, n° 19-80.783, préc.).

Ensuite, elle estime que les juges du fond n’ont pas procédé à l’analyse exhaustive des propos poursuivis, spécialement la fin de l’échange, quand le prévenu avait ajouté « c’est encore une fois le réel ».

Et elle considère pour finir qu’ils n’ont pas motivé suffisamment la conclusion qu’ils ont tirée de l’analyse du contexte des propos proférés, en particulier des éléments extrinsèques avancés par la défense tendant à faire établir que l’affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés prononcés antérieurement par le prévenu.

Les juges du fond sont censurés pour n’avoir pas analysé l’ensemble des propos visés par la prévention et pas suffisamment justifié la relaxe en considération des éléments extrinsèques apportés par la défense. La cour de renvoi devra donc reprendre l’analyse du contexte des propos de manière à établir sans ambiguïté l’absence de dessein antisémite chez leur auteur.

La tâche, assurément, ne sera pas aisée …
 

© Lefebvre Dalloz