Contestation de la rupture du contrat de travail : l’élargissement des demandes formulées en appel par le salarié

Par un arrêt du 18 septembre 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation retient expressément que la demande en paiement de dommages et intérêts formée devant la cour d’appel au titre d’un manquement à l’obligation de sécurité tend aux mêmes fins que celle présentée en première instance au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison de la violation de l’obligation de reclassement. Une telle position parachève la construction de la jurisprudence prud’homale en matière de recevabilité des demandes nouvelles en appel.

En principe, l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel

Les conditions de recevabilité des demandes nouvelles en appel ont été modifiées par la réforme issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016. L’un des objectifs poursuivis était alors de rendre le droit commun de la procédure d’appel applicable à l’instance prud’homale. Dans ce cadre, ont été abrogés les articles R. 1452-6 et R. 1452-7 du code du travail, relatifs à la recevabilité des demandes.

Depuis lors, en application de l’article 564 du code de procédure civile, le principe demeure qu’à peine d’irrecevabilité d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, « si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ».

L’exception résulte quant à elle de la combinaison des articles 565 et 566 du même code, le premier prévoyant que ne sont pas nouvelles les prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, le second ajoutant la possibilité pour les parties de compléter les prétentions soumises au premier juge avec toutes demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

L’appréciation par les juges du fond du but poursuivi par les demandes nouvelles et initiales

Les différentes décisions rendues depuis l’entrée en vigueur de la réforme démontrent que la chambre sociale adopte une conception relativement étendue de la notion de « mêmes fins ».

L’arrêt commenté en est la parfaite illustration et apporte une démonstration supplémentaire de la marge de manœuvre dont dispose le salarié pour formuler de nouvelles demandes en appel.

En l’espèce, une salariée avait été engagée le 7 mars 2013 en qualité d’aide-soignante par une association d’aide à domicile, puis avait été déclarée inapte en avril 2016 avant d’être licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le mois suivant.

La salariée avait alors saisi la juridiction prud’homale aux fins d’obtenir l’indemnisation des dommages et intérêts résultant du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement puis, en cause d’appel, avait ajouté une nouvelle demande au titre de la violation de l’obligation de sécurité, demande que les juges avaient écartée pour ne pas avoir été présentée en première instance.

Il est vrai que cette nouvelle demande présentait un fondement juridique différent – à première vue évident. La demande formée en première instance s’attachant aux conséquences de la rupture du contrat de travail alors que celle formée en cause d’appel était liée à un manquement commis au cours de l’exécution du contrat de travail.

C’est d’ailleurs en retenant cette distinction que la Cour d’appel de Douai avait refusé de constater l’existence d’une « même fin » liant ces demandes, considérant que celle formulée pour la première fois devant elle constituait une demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile, n’entrant pas dans le champ des exceptions énoncées à l’article 565 du même code.

Toutefois, la requérante avait par la suite formé un pourvoi devant la Haute juridiction en affirmant notamment que la cour d’appel aurait dû accueillir sa demande. En effet, elle soutient qu’elle demandait simplement à la cour de reconnaître que l’employeur n’avait pas respecté son obligation de sécurité, dans la perspective de démontrer que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle estimait déjà avoir formulé une demande sur ce fondement en première instance, en sollicitant l’indemnisation du préjudice subi du fait du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

Ainsi, pour la salariée, la demande relative au manquement à l’obligation de sécurité tendait aux mêmes fins que celle soumise au conseil de prud’hommes : démontrer l’absence de justification du licenciement. Peu importe, selon les moyens du pourvoi, que la demande ait pour fondement l’exécution ou la rupture du contrat de travail puisque les deux demandes convergent vers le même objectif.

La confirmation d’une appréciation extensive des demandes nouvelles tendant aux mêmes fins

L’arrêt commenté approuve l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi et retient que la salariée avait formulé devant la cour d’appel une demande aux fins d’indemnisation des conséquences de son licenciement en raison d’une inaptitude pour manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur et ajoute, que cette demande « tendait aux mêmes fins que celle, soumise aux premiers juges » qui visait à obtenir l’indemnisation de la rupture du contrat par l’employeur, pour manquement à son obligation de reclassement.

Ainsi, la chambre sociale met en évidence l’existence d’un lien entre le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur et les demandes faites en première instance par la salariée, relatives à l’indemnisation au titre de la rupture de son contrat. Un tel raisonnement permet de justifier la recevabilité de la demande d’indemnisation au titre de l’obligation de sécurité, alors même que celles formées en première instance étaient relatives à la rupture du contrat de travail.

Pour la Haute juridiction, les demandes formulées par la salariée, aussi bien devant le conseil de prud’hommes qu’au stade de l’appel concernaient toutes l’indemnisation des conséquences du licenciement pour inaptitude.

Cette décision pouvait être attendue de la part de la Cour de cassation en ce qu’elle est conforme à la construction jurisprudentielle déjà opérée et qui s’est d’ailleurs récemment accélérée.

En effet, se prononçant régulièrement sur les demandes nouvelles, la chambre sociale de la Cour de cassation a récemment eu l’occasion, le 10 juillet 2024, de rendre cinq arrêts sur la possibilité d’ajouter des demandes à la demande initiale, aussi bien au stade de la première instance qu’en cause d’appel (v. J.-M. Albiol et H. Ahtouch, Demandes nouvelles et effet interruptif de la prescription : nouveaux éclaircissements donnés par la Cour de cassation en matière prud’homale, Dalloz actualité, 13 sept. 2024).

Dans l’une des espèces concernant le stade de la première instance, la salariée avait saisi le conseil de prud’hommes pour harcèlement et ajouté en cause d’appel une demande de paiement en rapport avec le non-respect de la classification conventionnelle. La cour d’appel avait alors jugé ces dernières demandes irrecevables, estimant qu’elles ne présentaient pas un lien suffisant avec la demande initialement formulée, ne portant pas sur un rappel de salaire.

La Cour de cassation avait censuré ce raisonnement considérant que la salariée invoquait le non-respect de la classification conventionnelle comme élément suggérant le harcèlement moral et qu’ainsi une demande en rappel de salaire au motif du non-respect desdites dispositions conventionnelles n’était pas une demande nouvelle, et présentait bien un « lien suffisant avec les demandes originaires ».

C’est d’ailleurs également ce concept de « lien suffisant » et d’inclusion de la nouvelle demande dans l’objet de la première que reprend la Cour de cassation le 18 septembre 2024, en retenant que l’indemnisation du licenciement en raison du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur tendait à obtenir l’indemnisation de la rupture du contrat de travail, de la même façon que la demande présentée en appel, relative à l’indemnisation du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

Ainsi, l’arrêt commenté poursuit l’élaboration de la jurisprudence prud’homale, qui semble désormais largement achevée, suggérant aux juridictions du fond de s’attarder sur les raisons d’être des demandes formulées à l’aide d’une appréciation in concreto.

En effet, celle-ci avait auparavant jugé recevable la demande en nullité du licenciement formée en cause d’appel pour la première fois au motif que la demande initiale portait sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse, laquelle tendait aux mêmes fins puisqu’elles visaient à obtenir l’indemnisation des conséquences du licenciement qu’un salarié estime injustifié (Soc. 1er déc. 2021, n° 20-13.339, Dalloz actualité, 4 janv. 2022, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 2238 ; RDT 2022. 55, obs. F. Guiomard ; RTD civ. 2022. 204, obs. N. Cayrol ). Une telle solution se rapproche donc aisément de celle retenue dans l’arrêt du 18 septembre 2024, qui déduit de l’ensemble des demandes formulées une seule et même finalité : celle de la réparation des conséquences de la rupture du contrat de travail.

Pour parvenir à une telle conclusion, la Cour de cassation s’était référée de manière explicite au but poursuivi par le requérant.

En outre, la chambre sociale a retenu que la demande de dommages-intérêts formée devant la cour d’appel par le salarié aux fins d’indemnisation des conséquences de son licenciement en raison d’une inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, tendait aux mêmes fins que celle soumise aux premiers juges qui visait à obtenir le paiement des indemnités légales propres à la rupture du contrat par l’employeur à raison de son inaptitude au poste, de sorte que, la demande d’indemnité spéciale de licenciement était recevable (Soc. 13 mars 2024, n° 21-25.827, Dalloz actualité, 28 mars 2024, obs. S. Bloch et O. Seydi ; RDT 2024. 347, chron. F. Guiomard ).

L’édification de l’ensemble de la jurisprudence prud’homale concernant les demandes nouvelles « tendant aux mêmes fins » intervient alors, en toute logique, dans la continuité du cadre posé préalablement par les chambres civiles qui s’attachaient à analyser les demandes afin de rechercher si celles-ci avaient le même objet ou pour objectif de tendre vers la même finalité (Civ. 1re, 10 mai 2005, n° 02-21.412).

Toutefois, malgré l’adoption acquise de cette position permissive, il est néanmoins important de rappeler, que si le fait que les demandes tendant aux mêmes fins les rendent recevables en cause d’appel, cela ne dispense pas les parties d’en faire état dès le premier jeu de conclusions. La chambre sociale a eu l’occasion de le rappeler au début de l’année 2024 (Soc. 28 févr. 2024, n° 23-10.029), à l’appui de l’article 910-4 du code de procédure civile.

En conclusion, la Cour de cassation semble poursuivre le déclin de la distinction entre les demandes relatives à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail pour l’appréciation de la recevabilité des demandes formulées pour la première fois au stade de l’appel.

De sorte que, l’arrêt commenté permet de s’interroger sur ce qui pourrait désormais être considéré comme une demande nouvelle par les juridictions sociales. À ce jour, la question demeure en suspens tant la Haute juridiction invite les juges du fond à exercer une appréciation subjective.

 

Soc. 18 sept. 2024, F-B, n° 22-17.737

Lefebvre Dalloz