Contrats de capitalisation : non à la prescription biennale du code des assurances !

Seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale. Ce délai est inapplicable à des contrats de capitalisation et à une action dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance car engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable et tendant à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire.

La récente décision du Conseil constitutionnel déclarant la prescription biennale du droit des assurances (C. assur., art. L. 114-1) conforme à la Constitution (R. Bigot, La prescription biennale du droit des assurances conforme à la Constitution, ss Cons. const. 17 déc. 2021, n°Â 2021-957 QPC, in D. 2022. 1119 ; R. Bigot et A. Cayol, Constitutionnalité de la prescription biennale du droit des assurances : une solution contestable et une motivation évanescente, Dalloz actualité, 12 janv. 2022) ne manquera pas de créer un nouvel appel d'air dans la voile contentieuse du droit des assurances, déjà bien gonflée (ce que révèle un «Â contentieux pléthorique »Â : B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 4e éd., LGDJ, 2021, n°Â 595), et sur laquelle des assureurs souffleront inévitablement afin de tenter d'éviter de garantir (v. ex. multi R. Bigot, Quand tous les moyens sont bons – prescription ou exclusion – pour éviter de garantir, ss Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868, Dalloz actualité, 25 févr. 2020). Un arrêt rendu par la deuxième chambre civile le 7 juillet 2022 témoigne de cet opportunisme procédural.

En l'espèce, une personne, soutenant avoir souscrit par l'intermédiaire d'un mandataire divers contrats de capitalisation auprès d'une société d'assurance, a assigné cette dernière afin d'ordonner une expertise judiciaire destinée à vérifier la validité des contrats d'épargne au porteur qu'elle détenait, à chiffrer le préjudice résultant de la fraude dont elle déclarait avoir été victime de la part du mandataire et à condamner la société d'assurance au paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article L. 511-1 du code des assurances. La cour d'appel de Paris a déclaré son action irrecevable, comme prescrite (Paris, 8 déc. 2020), aux motifs qu'elle ne visait pas uniquement à obtenir l'indemnisation de préjudices invoqués du fait de la remise de faux bons de capitalisation, mais plus globalement à indemniser l'ensemble des actes fautifs attribués au mandataire. Les juges du fond en ont conclu que cette action dérivait ainsi d'un contrat d'assurance, au sens de l'article L. 114-1 du code des assurances.

Formant un pourvoi en cassation, la souscriptrice a soutenu, d'une part, que la prescription biennale de l'article L. 114-1 du code des assurances s'applique aux seules actions dérivant d'un contrat d'assurance. Or le contrat de capitalisation ne serait pas un contrat d'assurance. Dès lors, en appliquant la prescription biennale à son action, la cour d'appel aurait violé, par fausse application, l'article L. 114-1 du code des assurances et, par refus d'application, l'article 2224 du code civil (pt 5). D'autre part, elle a ajouté que la prescription biennale de l'article L. 114-2 du code des assurances suppose que l'action intentée mette en cause les stipulations d'un contrat d'assurance. La cour d'appel avait relevé, en l'espèce, que la souscriptrice avait engagé une action en responsabilité fondée sur l'article L. 511-1 du code des assurances, dans sa version résultant de l'ordonnance du 10 février 2016, contre l'assureur en tant que civilement responsable du dommage causé par la remise de faux bons de capitalisation et du détournement des sommes remises par son mandataire agissant en cette qualité. Selon elle, une telle action trouve sa source dans une tromperie du mandataire et ne met pas en cause les stipulations du contrat d'assurance. Par conséquent, en décidant que son action dérivait d'un contrat d'assurance, la cour d'appel aurait violé, par fausse application, l'article L. 114-1 du code des assurances et, par refus d'application, l'article 2224 du code civil (pt 5).

Par un arrêt en date du 7 juillet 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation suit l'argumentation de la demanderesse au pourvoi et casse la décision des juges du fond en rappelant, au visa de l'article L. 114-1 du code des assurances, que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale (pt 6). Ainsi, la cour d'appel de Paris a violé l'article L. 114-1 du code des assurances alors, d'une part, qu'elle constatait que certains des contrats en cause étaient des contrats de capitalisation, et non des contrats d'assurance et, d'autre part, que l'action engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable, qui tendait à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire, était dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance (pt 10).

Si des magistrats se trompent parfois concernant l'application de la prescription biennale – ce dont témoigne la présente affaire –, seuls les avocats ayant recommandé cette stratégie sont susceptibles d'engager leur responsabilité civile professionnelle (R. Bigot, L'avocat confronté aux évolutions jurisprudentielles de la prescription biennale du Code des assurances, note ss Civ. 1re, 17 janv. 2018, n°Â 16-29.070, bjda.fr 2018, n°Â 56). Malheureusement, ces auxiliaires de justice cèdent encore trop souvent, sous la pression des compagnies mandantes. Il est vrai que, dans ce domaine, la complexité peut inciter des parties en ayant les moyens – de temps et d'argent – à tenter de jouer avec l'interprétation de la règle.

Le législateur leur a, en effet, offert un terrain de jeu de prédilection. En application de l'ancien droit commun, l'action en justice s'est longtemps prescrite par trente ans. Des clauses dérogatoires ont rapidement été stipulées par certains assureurs dans les polices, leur permettant de se réserver de longs délais pour agir tout en réduisant fortement le temps d'action de l'assuré. La loi du 13 juillet 1930 a mis un terme à ces abus par l'instauration d'une prescription biennale d'ordre public, commune à toutes les parties. Sa durée n'est donc plus modifiable, même d'un commun accord (C. assur., art. L. 114-3). Désormais, «Â toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans » (C. assur., art. L. 114-1, al. 1). La brièveté du délai biennal instauré par le législateur en 1930 n'a cependant pas freiné les ardeurs contentieuses des assureurs. Il s'est révélé, de facto, des plus avantageux pour ces spécialistes du procès, lesquels sont souvent des tiers singulièrement intéressés au résultat de l'action (Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, 14e éd., Dalloz, 2017, n°Â 732). Dès lors, une doctrine autorisée prône un retour au délai de droit commun – désormais quinquennal, depuis la réforme de 2008 (D. Noguéro, Provocation à la réforme de la prescription biennale au sujet de l'article R. 112-1 du code des assurances. Au-delà d'un nouvel arrêt de la Cour de cassation, RRJ 2016-2, XLI-162, p. 725 s., spéc. p. 753) –, voire l'adoption d'un double délai de prescription : un plus long pour l'assuré (quatre, voire cinq ans, pour harmoniser avec le nouveau droit commun), et un court délai pour l'assureur ne dépassant pas un an (G. Durry, Trente ans après ! (Ou l'évolution d'une discipline à l'aune de celle d'un ouvrage), in Mélanges Y. Lambert-Faivre et D.-C. Lambert, Dalloz, 2002, p. 165).

Comme dans l'affaire sous commentaire, certaines actions échappent néanmoins à la prescription biennale prévue par l'article L. 114-1 du code des assurances. En effet, si ce texte d'ordre public s'impose désormais aux deux parties, encore faut-il que l'action intentée dérive d'un contrat d'assurance. Autrement dit, il convient de vérifier si elle concerne les conditions de formation, d'exécution ou d'opposabilité d'un tel contrat. «Â La jurisprudence fourmille d'exemples où l'action échappe de la sorte à la prescription biennale. Le plus souvent, ces actions impliquent un tiers au contrat d'assurance. Ainsi en va-t-il de l'action menée par une victime, tiers au contrat, à l'encontre de l'assuré, auteur du dommage. À l'évidence, cette action en responsabilité ne dérive pas du contrat d'assurance. De même, l'action directe introduite par une victime contre l'assureur de responsabilité échappe à la prescription biennale. Les actions intentées par des cautions, tiers au contrat d'assurance, à l'encontre de l'assureur, ne dérivent pas plus du contrat d'assurance. L'action de l'assureur, subrogé dans les droits de son assuré, contre un tiers responsable, y échappe tout autant. Dans d'autres hypothèses, l'action oppose bien l'assureur et le souscripteur, sans dériver toutefois véritablement du contrat d'assurance. Elle se prescrit alors selon le délai de droit commun. L'action engagée contre l'assureur par l'assuré réclamant la restitution des primes, consécutivement à l'annulation du contrat, échappe naturellement à la prescription biennale (elle ne peut dériver d'un contrat réputé n'avoir jamais existé !). De même, pour l'action indemnitaire intentée par l'assuré contre l'assureur en raison d'un manquement à une obligation précontractuelle d'information » (G. Guerlin, «Â La prescription », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, Ellipses, 2020, p. 202).

La solution retenue par la deuxième chambre civile en l'espèce n'est donc guère surprenante : la prescription biennale du code des assurances ne saurait concerner, d'une part, des contrats de capitalisation – lesquels ne sont pas des contrats d'assurance – et, d'autre part, une action dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance car engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable et tendant à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire.

 

Civ. 2e, 7 juill. 2022, F-B, n° 21-11.601

Rodolphe Bigot et Amandine Cayol

© Lefebvre Dalloz