Contrats interdépendants et caducité : les restitutions en question
Dans un arrêt rendu le 13 mars 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation revient sur l’interdépendance contractuelle d’un contrat d’assurance-vie et de différents prêts pour déterminer si des restitutions doivent être ordonnées en cas de caducité de ces derniers.
La caducité est à l’honneur en ce début d’année 2024 ! En moins de deux mois, la Cour de cassation a, en effet, rendu deux décisions publiées au Bulletin sur cette question subtile du droit des contrats. Un premier arrêt important a été, dans ce contexte, publié le 10 janvier 2024 par lequel la chambre commerciale a confirmé sa jurisprudence sur les locations financières et les clauses de divisibilité en appliquant le nouvel article 1186 du code civil. Aujourd’hui, nous étudions un second arrêt mis à disposition le 13 mars 2024 qui approfondit la question sous l’angle, notamment mais pas seulement, des restitutions consécutives à la caducité dans un montage contractuel bien connu mêlant un contrat d’assurance-vie avec la combinaison d’un ou de plusieurs crédits in fine dans le but de financer l’opération.
Les faits sont assez complexes, comme souvent dans ce type d’ingénierie contractuelle. Tout débute autour de l’adhésion le 21 octobre 2004 d’une personne physique à un contrat collectif d’assurance-vie souscrit par son établissement bancaire auprès d’un assureur. L’emprunteur se voit consenti un prêt in fine d’un montant de 20 millions d’euros pour une durée d’un an, renouvelable trois fois, afin d’abonder cette somme sur le contrat d’assurance-vie. Le prêt est garanti par une délégation de créance sur ladite assurance-vie ainsi que par un gage sur compte d’instruments financiers. Le contrat d’assurance-vie se voit abondé pour un nouveau montant de 14 500 000 € entre 2005 et 2009. Plusieurs prêts sont ensuite consentis par la banque à la même personne physique le 21 juillet 2006 (un crédit relais de 20 millions d’euros), le 20 février 2009 (un crédit de 32 500 000 €) et le 3 mars 2010 (un crédit de refinancement du même montant que précédemment). Le 25 mai 2011, l’emprunteur exerce sa faculté de renonciation prévue à l’article L. 132-5-1 du code des assurances. Par assignation du 19 juillet 2011, il assigne l’assureur en restitution des capitaux placés sur le contrat d’assurance-vie tout en dirigeant une action vers la banque en nullité du contrat de prêt et en remboursement de toutes les sommes réglées à ce titre. Le 5 juin 2014, un jugement décide que l’emprunteur a pu valablement exercer sa faculté de renonciation au contrat d’assurance-vie. Il condamne la société en restitution de la somme litigieuse. L’emprunteur n’interjette appel de ce jugement qu’envers la banque. En cause d’appel, le seul point faisant débat reste alors le sort des contrats de prêt. Les juges du fond considèrent toutefois l’appel irrecevable en raison de l’indivisibilité de l’objet du litige. Cet arrêt sera plus tard cassé par la deuxième chambre civile le 5 janvier 2017 aux motifs qu’« il n’existait aucune impossibilité d’exécuter à la fois les dispositions du jugement concernant le contrat d’assurance-vie liant l’assureur à M. X… et l’arrêt à intervenir concernant le prêt liant ce dernier à la banque » (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-28.356).
L’arrêt frappé du pourvoi dans l’affaire examinée aujourd’hui est la procédure sur renvoi après cassation de cette décision de la deuxième chambre civile de 2017. Dans un arrêt rendu le 28 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a décidé que les contrats d’assurance-vie et de crédits étaient interdépendants, peu important que ceux-ci soient exécutables indépendamment les uns des autres. Les juges du fond ont également prononcé la caducité avec effet rétroactif du prêt du 26 octobre 2004 et des différentes conventions de crédit du 21 juillet 2006, du 20 février 2009 et du 3 mars 2010. La banque a été condamnée, dans ce contexte, à restituer l’intégralité des sommes réglées soit 4 854 819,17 €. Précisons que l’appel provoqué par la banque contre la société d’assurance a été déclaré irrecevable par un arrêt qui est, quant à lui, devenu irrévocable.
L’établissement bancaire s’est donc pourvu en cassation. L’arrêt du 13 mars 2024 rendu par la première chambre civile aboutit à une cassation mais seulement sur une partie du raisonnement déployé confirmant le haut degré de technicité de la caducité en droit français.
Sur l’interdépendance des contrats en question
En l’absence de certitude autour de l’indivisibilité d’une opération, les parties peuvent remettre en question l’interdépendance des contrats conclus dans un montage juridique. Il s’agit d’un contentieux récurrent qui implique une recherche très fine dans les pièces du dossier pour comprendre si ledit montage doit être considéré comme un tout ou comme l’adjonction de pièces indépendantes. Le résultat est crucial en pratique car il commande alors l’application ou non des règles gouvernant les ensembles contractuels interdépendants.
Dans les deux premières branches de son premier moyen, la banque demanderesse à la cassation reprochait aux juges du fond d’avoir considéré qu’il existait un lien d’indivisibilité entre le contrat d’assurance-vie et les contrats de crédit successivement conclus avec la personne physique. Elle indiquait dans son argumentation notamment que les contrats pouvaient être exécutés indépendamment les uns des autres et que ceux-ci n’étaient pas liés « de manière indissociable ». L’argumentation ne permettra toutefois pas de trouver un cas d’ouverture à cassation.
Pour ce faire, la première chambre civile rappelle les éléments qui convergeaient vers une indivisibilité de l’ensemble contractuel assurance-vie/contrats de crédit qui avaient été égrenés par les juges du fond :
- L’interlocuteur exclusif de l’assuré était la banque et celle-ci agissait en qualité de courtier ;
- Le logo de la banque apparaissait sur le bulletin d’adhésion signé par l’assuré ;
- Le prêt destiné à abonder l’assurance-vie a été consenti dans le même trait de temps et pour la même durée en visant la délégation de créance garantissant l’opération.
Ces trois éléments s’ajoutent à un contexte assez connu de ces montages contractuels, à savoir que l’excédent des produits d’assurance-vie devait permettre de rembourser le capital emprunté par rachat dudit contrat d’assurance-vie. C’était probablement, par ailleurs, le motif impulsif et déterminant de l’opération globale. Les juges du fond avaient utilisé l’expression bien connue de la « commune intention des parties » pour justifier l’interdépendance de ces contrats. On comprend parfaitement cette orientation et il faut bien avouer que le tracé contractuel est assez fin pour déterminer que les conventions étaient intimement liées les unes avec les autres. Si les montages juridiques les plus complexes impliquent parfois que l’on distingue assez mal si les contrats peuvent être interdépendants entre eux, ce n’était pas le cas en l’espèce. En droit nouveau issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la commune intention des parties est d’ailleurs reprise comme méthodologie de l’interprétation du contrat quand il existe une ambiguïté dans les termes de celui-ci. Le résultat serait donc sans doute le même si les contrats avaient été rédigés après le 1er octobre 2016.
Cette interdépendance entre les deux types de contrats (assurance-vie/crédit) nécessite une recherche factuelle millimétrée où chaque détail peut compter comme en témoignent les éléments listés plus haut. On retrouvera dans la motivation de la première chambre civile la précision « peu important qu’elles (ndlr, les conventions) fussent matériellement exécutables indépendamment les unes des autres » qui trouve toute son importance eu égard à l’argumentation du pourvoi. Ce critère de l’exécution indépendante est, en effet, complètement indifférent car le règlement pratique des contrats peut très bien s’effectuer de manière cloisonnée sans pour autant remettre en question l’interdépendance contractuelle souhaitée par les parties dès le départ.
Le point central concernant l’effet de la caducité dans cet arrêt se retrouve aux points suivants. Nous passerons donc sur l’appel provoqué et sur les effets de l’irrecevabilité prononcée par décision irrévocable (pt n° 10).
Caducité et restitutions
La question de la rétroactivité de la caducité, tout comme celle des restitutions consécutives à celle-ci, peut poser difficulté (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 444, n°498). Dans le droit ancien, il était déjà admis que la caducité pouvait emporter des restitutions. On retrouve ainsi au point n° 12 la précision suivante tirée de l’article 1134 ancien du code civil : « lorsqu’un contrat d’assurance-vie et des prêts sont interdépendants, la renonciation au premier entraîne, à la date à laquelle elle produit ses effets, la caducité des seconds. Celle-ci ne peut donner lieu à des restitutions que si les contrats caducs n’ont pas été entièrement exécutés à la date d’exercice de la faculté de renonciation » (nous soulignons). La portée de cette jurisprudence n’a pas été codifiée en ces termes par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 dans le droit nouveau, et donc dans l’article 1187 du code civil, mais nous verrons que la solution peut sans doute être transposable.
La méthodologie utilisée par la première chambre civile ne permet pas de faire résister l’arrêt d’appel puisque celui-ci avait considéré qu’en formant un ensemble contractuel indivisible, l’anéantissement rétroactif du premier contrat emportait la caducité de tous les prêts conclus et ainsi la restitution de tous les montants réglés par l’emprunteur. La cassation ne peut même pas être pour défaut de base légale seulement puisque l’arrêt avait bien remarqué que tous les contrats de prêt avaient été « entièrement exécutés » (pt n° 14) sauf celui du 3 mars 2010. Par conséquent, impossible de considérer que des restitutions puissent être ordonnées dans la mesure où l’utilité économique des opérations s’est pleinement déployée. Le droit nouveau devrait, en tout état de cause par ailleurs s’inspirer de cette utilité économique selon plusieurs auteurs (v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 688, n° 595, comparant la solution avec celle retenue en matière de résolution).
Nous l’aurons compris, c’est un deuxième renvoi sur cassation qui est ordonné dans l’arrêt du 13 mars 2024 devant la Cour d’appel de Paris, une seconde fois autrement composée. Cette succession de cassations témoigne probablement du haut degré de technicité de la caducité dans l’ingénierie contractuelle. Devant la cour d’appel de renvoi, la solution devrait être assez facile à dégager puisqu’il ne reste plus beaucoup de zones d’ombre (les restitutions étant impossibles pour la majorité des contrats de prêt) sauf concernant le crédit du 3 mars 2010 qui devrait pouvoir se démarquer puisque non exécuté intégralement. Encore faut-il le vérifier dans l’argumentation qui sera déployée par les avocats des parties. Affaire à suivre !
Voici donc un arrêt important et intéressant qui vient confirmer toute l’ampleur des restitutions consécutives à une caducité. En pareille situation et devant le silence du droit ancien (comme du droit nouveau ?), la jurisprudence décide de faire dépendre celles-ci de l’exécution intégrale ou non des contrats, ici à la date d’exercice de la faculté de renonciation qui est à l’origine de la caducité du prêt. La pratique saura utilement se saisir de ce rappel salutaire dans ce contexte de complexité.
Civ. 1re, 13 mars 2024, FS-B, n° 22-21.451
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