Contrôle coercitif et imprescriptibilité : l’Assemblée planche sur une copie bâclée

Ce mardi, dans le cadre de ses semaines transpartisanes, l’Assemblée nationale étudie une courte proposition de loi du groupe Renaissance. Elle porte sur la prescription en matière de crimes sexuels et l’instauration de la notion de contrôle coercitif dans le droit pénal. En commission, le texte a été très contesté.

Les sujets des violences sexuelles et sexistes mobilisent fortement le Parlement depuis plusieurs années. Et déjà d’autres textes sont annoncés, notamment pour réécrire la définition pénale du viol (Dalloz actualité, 22 janv. 2025, obs. P. Januel).

La proposition de loi étudiée ce mardi dans l’hémicycle de l’Assemblée, mêle les deux questions. Elle a été déposée par la députée Aurore Bergé, depuis devenue ministre déléguée de l’égalité entre les femmes et les hommes. S’il est court, le texte est composite, puisqu’il évoque, dans ses deux premiers articles, la prescription des crimes sexuels et dans son troisième, le sujet du « contrôle coercitif », en matière de violences conjugales.

Toutefois, l’insuffisante préparation du texte, qui n’a pas été précédé d’une mission d’information, l’a fragilisé, au point que deux des trois articles ont été supprimés. Le temps d’audition ayant été réduit, le rapport de la députée Maud Bregeon évoque peu les implications du texte. Mais si la proposition de loi est mal partie, les débats dans l’hémicycle pourraient donner un résultat différent.

Vers une imprescriptibilité civile ?

Depuis vingt ans, la question de la prescription des crimes sexuels ne cesse d’être réformée, ce qui indique qu’elle est remise en cause dans son principe même. La loi Tourret-Fenech de 2017 a prévu une prescription pénale de vingt ans pour la majorité des crimes. Pour les crimes sexuels sur mineur, ce délai passe à trente ans à compter de la majorité de la victime. Mais, en matière civile, le délai de prescription des actions en responsabilité d’un événement ayant entraîné un dommage corporel est de dix ans. Il passe à vingt ans en cas de préjudice causé par des tortures, violences ou agressions sexuelles commises contre un mineur.

L’article premier de la proposition de loi visait à prévoir dans ce cas l’imprescriptibilité civile. Un délai justifié par la difficulté à dénoncer ces crimes, notamment lorsqu’ils sont commis sur des enfants. L’action de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE, sur les abus sexuels dans l’Église) a montré qu’il était nécessaire de s’interroger sur la réparation de crimes commis il y a plusieurs décennies.

Toutefois, plusieurs députés se sont interrogés sur les conséquences. Cela n’allait-il pas renvoyer à la justice civile déjà exsangue la responsabilité de juger des crimes prescrits, sans aucun moyen d’enquête ? D’autres députés souhaitaient au contraire aller plus loin, avec une imprescriptibilité pénale. L’article a finalement été supprimé.

L’extension de la prescription glissante

La prescription glissante a été instaurée en 2021 pour les crimes et agressions sexuels sur mineurs. L’objectif était d’étendre la prescription en cas d’auteurs en série, afin que l’ensemble des victimes puissent agir en justice. Les articles 7 et 9-2 du code de procédure pénale prévoient que si l’auteur commet un nouveau viol, une agression ou une atteinte sexuelle sur un autre mineur, le délai de prescription du premier viol est prolongé jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction.

L’article 2 propose d’élargir aux victimes majeures de viol ce principe de prescription glissante. Il a été validé par la commission des Lois.

Le contrôle coercitif

Si notre droit définit la notion d’emprise depuis 2020, il ne prévoit rien sur le « contrôle coercitif ». Cette notion a émergé ces dernières années (M. Chollet, Comment mieux lutter contre les féminicides ? Libres propos sur le contrôle coercitif, Le droit en débats, 4 oct. 2023 ; Y. Muller-Lagarde et A. Gruev-Vintila, Violences au sein du couple : pour une consécration pénale du contrôle coercitif, AJ pénal 2022. 251 ), au point qu’en janvier 2024, cinq arrêts de la Cour d’appel de Poitiers ont confirmé des condamnations pour violences au sein du couple en analysant les faits dans leur ensemble « comme la mise en place d’un contrôle coercitif ». Ce contrôle vise « à piéger la femme dans une relation où elle doit obéissance et soumission à un individu qui s’érige en maître ».

L’article 3 de la proposition de loi insère à l’article 222-14-3 du code pénal le fait que « les manœuvres délibérées et répétées de déstabilisation psychologique, sociale et physique ayant pour effet de diminuer la capacité d’action de la victime et de générer un état de vulnérabilité ou de sujétion constituent des violences psychologiques. » La notion reste néanmoins contestée (P.-G. Prigent et G. Sueur, Le contrôle coercitif : intérêts d’une notion, limites de l’incrimination, AJ pénal 2024. 444 ) : difficile à circonscrire, elle risquerait même d’aboutir à la pénalisation de victimes.

La rapporteure a reconnu que la rédaction initiale était inaboutie, à la fois « ni suffisamment claire, ni suffisamment complète ». Elle a reconnu que la commission aurait « gagné à disposer de davantage de temps pour réfléchir, échanger et auditionner ». La Cour de cassation, qui a ouvert un atelier sur le contrôle coercitif, doit présenter ses conclusions d’ici juin. Cela pourrait aider le législateur. Dans l’attente, la commission a supprimé l’article 3. Plusieurs députés souhaitent cependant le rétablir en séance.

 

Rapport visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants

© Lefebvre Dalloz