Contrôle des clauses abusives et déchéance du terme

Dans un arrêt rendu le 29 mai 2024, la première chambre civile vient appliquer le régime des clauses abusives du droit de la consommation à une clause d’un contrat de prêt prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise demeure de régler restée infructueuse pendant quinze jours.

Le contentieux des clauses abusives semble devenir tentaculaire, à plus d’un titre. La principale raison de ce développement massif reste une activité très soutenue de la Cour de justice que nous rencontrons très régulièrement dans ces colonnes (v. réc., CJUE 25 avr. 2024, aff. C-561/21 et C-484/21, Dalloz actualité, 3 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 821 ; en matière de TAEG, CJUE 21 mars 2024, S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD, aff. C-714/22, Dalloz actualité, 29 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 597 ). À dire vrai, le nombre d’arrêts est tel que l’on pourrait se questionner sur le caractère toujours clair et lisible de l’interprétation ainsi dessinée de la directive 93/13/CEE. Alors que le renvoi préjudiciel est censé aider à mieux appliquer le droit issu de la législation de l’Union européenne, le résultat peut, en effet, parfois sembler un peu mitigé concernant la thématique des clauses abusives. Toutefois, la ligne directrice reste encore assez claire avec, en tête de proue, la volonté d’une protection du consommateur, peut-être parfois poussée à son paroxysme. En résulte une certaine nécessité pour la première chambre civile de la Cour de cassation d’aligner sa jurisprudence. L’arrêt rendu le 29 mai 2024 continue le travail à ce sujet après deux décisions rendues au printemps 2023 sur des thématiques connexes (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et n° 21-16.044 FS-B, Dalloz actualité, 29 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 597 ; ibid. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; ibid. 1963, chron. S. Robin-Raschel, A. Daniel, I. Kloda, E. Buat-Ménard, L. Duval et V. Champ ; RTD com. 2023. 430, obs. D. Legeais ). La pratique bancaire doit être vigilante à ce sujet comme à l’accoutumée.

Les faits de l’arrêt que nous étudions aujourd’hui débutent assez banalement par un prêt immobilier consenti par un établissement bancaire le 18 juillet 2011 à un emprunteur, personne physique. Le contrat comporte, page 7, une clause permettant à la banque d’exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date convenue et ce après une mise en demeure restée infructueuse pendant quinze jours (pt n° 3 détaillant la clause). Le 30 mars 2018, l’emprunteur devenu défaillant est, dans ce contexte, mis en demeure de régulariser sa situation dans un délai de quinze jours. Le 5 juin suivant, la déchéance du terme est prononcée. Un contentieux se noue sur le paiement de l’emprunteur. Celui-ci est condamné, en appel, à verser à la banque la somme de 126 516,55 € avec intérêt au taux contractuel de 4,05 %. L’emprunteur se pourvoit en cassation en reprochant à l’arrêt de ne pas avoir considéré abusive la clause permettant d’emporter la déchéance du terme après un si court délai de préavis.

L’arrêt rendu le 29 mai 2024 couronne de succès le pourvoi en cassation. La décision rappelle des constantes connues en les appliquant à une stipulation qui se trouve dans de nombreux contrats de prêt.

Position du problème : la déchéance du terme, encore et toujours

Les établissements bancaires ont, ces dernières années, mis à profit l’ingénierie contractuelle autour des clauses de déchéance du terme. Toutefois, et assez malheureusement, l’ensemble tend à aboutir à des stipulations particulièrement agressives pour les emprunteurs. L’économie du contrat s’en retrouve donc menacé, au moins concernant le dispositif de protection contre les clauses abusives du code de la consommation, quand il est applicable. La pratique questionne également le champ de l’article 1171 du code civil mais cette dernière règle souffre d’un domaine finalement assez restreint (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 , note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ). C’est dans ce contexte que de très nombreuses actions en justice perdurent devant les juridictions françaises sur le fondement du droit de la consommation tel que transposé de la directive 93/13/CEE.

C’est donc, sans grand étonnement, que l’on retrouve citée, dans l’arrêt du 29 mai 2024, l’affaire aussi importante que connue dite Banco Primus du 26 janvier 2017 (citée au pt n° 5 de l’arrêt ; CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2017. 525 , obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron ). On peut ainsi lire l’habituelle série d’indices pour apprécier le caractère abusif dans un tel contrat de prêt d’une clause de déchéance du terme. Citons-les rapidement de nouveau, comme pour chaque arrêt traitant de cette thématique :

  • le caractère essentiel de l’obligation inexécutée par le consommateur ;
  • la gravité de l’absence d’exécution au regard de la durée et du montant du contrat de prêt ;
  • le caractère dérogatoire au droit commun applicable sans une telle clause ;
  • l’existence de moyens « adéquats et efficaces » permettant au consommateur de remédier aux effets de cette exigibilité.

L’affaire Banco Primus doit, toutefois, être conjuguée avec un second renvoi préjudiciel du 8 décembre 2022 (CJUE, 8 déc. 2022, aff. C-600/21, D. 2022. 2220 ; ibid. 2023. 1869, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2023. 406, obs. J. Bruttin ; cité au pt n° 6 de la décision étudiée) pour déterminer si ces critères précédemment rappelés doivent être considérés comme alternatifs ou cumulatifs. La première chambre civile s’était, en effet, interrogée à ce sujet en 2021 et avait décidé d’opérer un renvoi à la Cour de justice que nous avions commenté dans ces colonnes (v. en ce sens, Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154 P, Dalloz actualité, 23 juin 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1619 , note A. Etienney-de Sainte Marie ; RTD eur. 2022. 203, obs. A. Jeauneau ). La réponse apportée dans l’arrêt C-600/21 est assez claire quoique subtile. Il ne s’agit pas de critères cumulatifs ou alternatifs mais plutôt d’indices qui se conjuguent en faisceau pour vérifier si la clause considérée est abusive ou non.

Ces rappels opérés par l’arrêt du 29 mai 2024 n’étonneront guère le lecteur habitué au contentieux des clauses abusives. La rédaction est parfaitement symétrique avec les deux affaires évoquées dans l’introduction de ce commentaire (Civ. 1re, 22 mars 2023, n° 21-16.476 et n° 21-16.044 FS-B, préc.).

L’orientation choisie par la première chambre civile en est donc la conséquence parfaitement logique.

Le délai de quinze jours et le caractère abusif de la clause

La cassation pour violation de la loi opérée dans l’arrêt du 29 mai 2024 permet de déduire que le délai de quinze jours de la stipulation insérée dans le contrat de prêt objet du litige n’est pas suffisant au sens de la jurisprudence du droit de l’Union européenne. La Cour de cassation ne se hasarde pas, en ce sens, à détailler une méthodologie plus poussée d’appréciation du caractère raisonnable du délai. Pourtant, aurait-elle pu le faire car la première chambre civile ne laisse pas entre les mains des juges du fond la notion. L’arrêt étudié vient, assez brutalement, annoncer la solution en précisant de manière lapidaire que « la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur » (pt n° 8, nous soulignons) Le lecteur doit simplement déduire que le délai de quinze jours prévu à la page 7 du contrat pour la mise en demeure ne suffit pas. On pourrait penser que l’arrêt Banco Primus livre déjà une méthodologie assez claire rendant cette solution imparable. Le caractère général de la position de la Cour de justice empêche toutefois les juges du fond étatiques de pouvoir dessiner précisément ce qu’est un préavis raisonnable. La tentation pourrait être grande de se référer, peut-être, à des champs connus du droit des contrats comme la résiliation des contrats à durée indéterminée qui évoque la même expression peu ou prou (v. sur cette expression de l’art. 1211 c. civ., G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 627, n° 594).

Quoiqu’il en soit, il semble qu’un préavis d’une quinzaine de jours soit, en effet, beaucoup trop court pour pouvoir respecter la jurisprudence dite Banco Primus. L’usage d’une prérogative contractuelle qui emporte des conséquences particulièrement graves pour l’emprunteur permet, alors, sans réelle difficulté d’emporter la qualification de clause abusive et d’être ainsi réputée non écrite. Il y a, effectivement, comme l’écrit la première chambre civile, une « aggravation soudaine des conditions de remboursement » (pt n° 8, nous soulignons) puisque le débiteur ne dispose plus du terme dont il bénéficiait afin d’échelonner les remboursements du capital prêté. Là-encore, la décision vient plutôt disqualifier une clause plutôt que de donner des jalons méthodologiques supplémentaires. Peut-être que ces jalons ne sont tout simplement pas pertinents à poser pour affiner l’arrêt C-421/14.

En tout état de cause, il aurait sans doute été plus « raisonnable » au sens de cette lignée jurisprudentielle de prévoir, en l’espèce, un préavis compté en mois plutôt qu’en jours eu égard à la durée globale du contrat de prêt.

Voici donc un arrêt fort intéressant qui continue l’harmonisation des solutions après les différents renvois préjudiciels qui ont affiné la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives. La pratique bancaire des conventions de prêt en sera donc avertie. De très nombreuses clauses sont, en effet, concernées par cette jurisprudence aussi tentaculaire que délicate.

 

Civ. 1re, 29 mai 2024, F-B, n° 23-12.904

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