Contrôle des prestations, restitution de l’indu et confirmation de l’existence d’un régime exorbitant du droit commun des obligations

En conformité avec sa jurisprudence, la Cour de cassation interdit au juge chargé du contentieux de la sécurité sociale d’appliquer l’article L. 1302-3 du code civil qui dispose « (la restitution de l’indu) peut être réduite si le paiement procède d’une faute » de l’organisme de sécurité sociale à raison du caractère exclusif de l’action en restitution de l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, une caisse primaire notifie un indu d’indemnités journalières à un assuré social. Saisi, le Tribunal judiciaire de Blois, s’il constate le service de prestations indues, réduit de moitié la dette de remboursement de l’assuré. En droit commun des quasi-contrats, l’article 1302-3, alinéa 2, du code civil dispose en ce sens : « (la restitution) peut être réduite si le paiement procède d’une faute ». Le taux de ressort n’étant pas atteint dans cette affaire au sens de l’article R. 211-3-24 du code de l’organisation judiciaire, un pourvoi en cassation est formé par la caisse.

Il est soutenu par l’organisme de sécurité sociale que son droit à remboursement du trop-versé est exclusivement organisé par l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale, qui ne donne aucun pouvoir au juge de réduire la dette de l’accipiens.

La cassation est prononcée : « l’action engagée par la caisse relevait exclusivement de l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale » (pt 6). Un renvoi devant le Tribunal judiciaire d’Orléans est prononcé.

Notons d’emblée que la solution est en tout point conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 2e, 7 nov. 2019, n° 18-21.329 P), qui a déjà eu l’occasion de souligner le caractère exclusif de l’action ouverte aux organismes de sécurité sociale par le code de la sécurité sociale.

Indiquons qu’une toute autre interprétation de l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale aurait pour effet de créer, d’une part, un effet d’aubaine bien compris, les assurés sociaux ayant aussitôt le loisir de discuter non plus le principe de l’indu mais son étendue et de provoquer, d’autre part, une majoration franche du coût environné des services en charge du contrôle des prestations sociales. Au vu de l’importance de la dette sociale, qui se chiffre à quelque 290 milliards d’euros (2025-T1), il serait des plus regrettables d’aggraver les coûts de fonctionnement au préjudice des prestations à servir.

Cette jurisprudence, dont l’économie générale est entendable, interroge néanmoins.

Les organismes de sécurité sociale sont des opérateurs d’assurance. À ce titre, et comme n’importe lequel de leurs homologues – on songe ici plus particulièrement aux organismes d’assurance chargés de couvrir les risques santé et incapacité –, il leur importe de protéger leurs revenus et de veiller à une allocation scrupuleuse des prestations sociales. Les erreurs et fautes en tout genre représentent plusieurs milliards d’euros par an. Dans le cas particulier, la caisse commet une sacrée erreur en allouant un double paiement des indemnités journalières. En l’espèce, les juges du fond sanctionnent à juste raison la caisse, qui a fait preuve d’un manque de diligence regrettable. Il faut bien voir de surcroît que les revenus de remplacement sont très rarement thésaurisés ; qu’ils sont par voie de conséquence consommés ou saisis à peine sont-ils versés sur le compte en banque de l’assuré. Où l’on constate que le jugement prévient en quelque sorte les difficultés à venir de l’accipiens aux fins de remboursement…

Quant au fondement de la solution, on est tout de même très loin d’une décision rendue à la manière du bon juge Magnaud du Tribunal de Château-Thierry. Car le droit des obligations et le droit de la restitution de l’indu plus particulièrement ont vocation à régir n’importe quelle relation de créancier à débiteur qu’aucun texte spécial ne régulerait pas expressément (source autonome d’obligations à vocation supplétive). Or, l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale se contente d’ouvrir aux caisses un droit en remboursement forcé sans rien mentionner plus particulièrement. Aussi, aux fins de comblement du régime applicable, c’est tout naturellement vers les règles de droit commun qu’il convient de se tourner. Et, en la matière, tout est dit : c’est à celui qui est tenu au paiement – le solvens – de s’enquérir de l’étendue de son obligation, non pas au créancier-accipiens.

Il y a plus : le texte dont le régime est discuté en l’espèce (pris dans son premier alinéa) renferme une prérogative supplémentaire, qui est ouverte aux organismes de sécurité sociale ; qui justifie du reste (et notamment) qu’une disposition spéciale ait été introduite dans le code éponyme, à savoir : « (…) en contrepartie des frais de gestion qu’il engage lorsque le versement indu est le résultat d’une fraude de l’assuré, l’organisme d’assurance maladie recouvre auprès de ce dernier une indemnité équivalant à 10 % des sommes réclamées au titre des remboursements intervenus à tort (…) ».

Voilà une bien singulière dissymétrie…

Accordons néanmoins pour terminer que si la faute joue un rôle perturbateur en droit des quasi-contrats tout particulièrement dans le jeu de l’action de in rem verso, c’est qu’elle est présentée en doctrine comme une cause justificative de l’appauvrissement avec cette idée au fond que l’équité se mérite ; que la personne qui s’appauvrit par sa propre faute ne semble pas en être digne (Rép. civ., Quasi-contrat, par P. le Tourneau, n° 36).

Serait-ce trop sévère de recommander que l’assureur public soit sanctionné pour son manque de diligence ? Peut-être bien. Mais une sévérité l’autre alors : en refusant au juge de réduire la créance de remboursement de la caisse en raison de la faute commise, on condamne possiblement l’assuré à devoir contracter un emprunt pour rembourser le trop-perçu, qui a pu transiter sur son compte bancaire sans qu’il ne s’en soit jamais rendu compte… pour avoir été saisi tout simplement. Or, en droit commun, voilà un fait générateur de responsabilité (Civ. 1re, 27 févr. 1996, n° 94-12.645, RTD civ. 1997. 427, obs. J. Mestre ; Com. 13 mars 2011, n° 98-12.438, D. 2001. 3113 , note V. Saint-Gérand ; RTD com. 2001. 744, obs. M. Cabrillac ) qui, s’il était sanctionné, pourrait exonérer l’accipiens pour peu que le montant du préjudice soit égal à la dette de restitution.

 

Civ. 2e, 4 sept. 2025, F-B, n° 23-15.180

par Julien Bourdoiseau, Professeur des Universités et avocat (assurance/distribution – santé – sécurité sociale)

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