Contrôle du juge sur les actes d’investigation : précisions par la Cour de cassation
La chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur le contrôle du juge s’agissant de divers actes d’investigation dont la requête en nullité avait été rejetée par la chambre de l’instruction.
La chambre de l’instruction a rejeté les demandes d’annulation de pièces de la procédure de plusieurs prévenus, dans le cadre d’une information pour vols et escroqueries aggravés en récidive et associations de malfaiteurs. Les requérants ont alors formé un pourvoi en cassation.
Nécessaire contrôle du juge
Il résulte des articles 224 et suivants du code de procédure pénale que la chambre de l’instruction exerce un contrôle sur l’activité, notamment, des officiers et agents de police judiciaire.
En l’espèce, des réquisitions afin de connaître le détail géolocalisé du trafic de boîtiers téléphoniques n’ont pas été préalablement autorisées par une juridiction ou une entité administrative indépendante. Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, invoquée par les requérants, que l’absence de cette autorisation entache les réquisitions d’irrégularité et fait nécessairement grief au requérant. Pourtant, en l’espèce, si la chambre de l’instruction a reconnu l’irrégularité des réquisitions effectuées sans autorisation préalable, elle a cependant estimé que les requérants ne démontraient pas l’existence d’un grief.
La chambre criminelle rappelle que de telles réquisitions ne sont possibles que si les nécessités de la procédure l’exigent, et dans certains cas seulement.
Toutefois, le juge reste tenu, malgré le respect de ces exigences, de contrôler que les faits relèvent bel et bien de la criminalité grave, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice, et selon la méthodologie de la Cour de cassation. La Cour invoque ici un arrêt de sa jurisprudence.
En l’espèce, la chambre de l’instruction a appliqué cette jurisprudence en retenant que l’accès aux données a été effectué dans le cadre d’une procédure visant des faits « d’une particulière gravité ». En l’espèce, ces faits étaient constitués de vols aggravés, commis en grand nombre et à l’encontre de personnes vulnérables.
Contrôle préalable d’une juridiction ou entité administrative indépendante aux réquisitions d’accès aux données
La Cour rappelle ici la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle l’accès aux données ne peut être autorisé que s’il est soumis à un contrôle préalable d’une juridiction ou d’une entité administrative indépendante.
En l’espèce, la chambre de l’instruction a reconnu l’irrégularité des réquisitions, dès lors qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un tel contrôle.
Toutefois, la jurisprudence interne impose la démonstration d’un grief par le requérant, lequel doit apporter la preuve d’une ingérence injustifiée dans sa vie privée et dans ses données à caractère personnel. Cette ingérence doit être telle que l’accès aurait dû être prohibé.
La chambre de l’instruction a appliqué cette jurisprudence et a retenu que les requérants ne démontraient pas une ingérence injustifiée dans leur vie privée et leurs données à caractère personnel. Les juges ont estimé que l’accès n’avait pas excédé les limites du strict nécessaire, « compte tenu de l’extrême prudence des auteurs, du ciblage des lieux concernés par les investigations et de la faible durée de ces dernières ». Les juges ont donc examiné les conditions exactes dans lesquelles se sont déroulées les réquisitions.
Portée de réquisitions d’opérations de géolocalisation
En l’espèce, les lignes téléphoniques des requérants avaient fait l’objet de mesures de géolocalisation. Pourtant, l’autorisation de la mesure de géolocalisation par le procureur de la République ne portait que sur les boîtiers IMEI, et non sur les lignes téléphoniques.
La chambre de l’instruction a néanmoins rejeté les requêtes en nullité de ces opérations de géolocalisation des lignes téléphoniques. Elle a considéré que l’autorisation du procureur de la République de mesures de géolocalisation sur les boîtiers IMEI emportait « nécessairement » l’autorisation de géolocalisation des lignes téléphoniques associées aux boîtiers lors de la connexion. La Cour de cassation juge dans le même sens, considérant que les lignes téléphoniques en question étaient liées aux boîtiers IMEI dont la géolocalisation avait été autorisée.
De plus, la Cour retient que le seul objectif de la demande de géolocalisation des lignes téléphoniques était de pouvoir mettre en œuvre la géolocalisation des deux boîtiers.
En outre, la chambre de l’instruction a rejeté les demandes de nullité des requérants sollicitant l’annulation de la mesure de géolocalisation d’un véhicule. Elle a jugé que les requérants n’avaient pas qualité à agir, considérant qu’il n’était pas allégué que les policiers aient eu recours à un procédé déloyal.
La Cour de cassation estime que les juges de la chambre de l’instruction ont justifié leur décision, compte tenu du fait que les requérants ne justifiaient pas être propriétaires ou possesseurs du véhicule en question, et le détenaient manifestement de manière frauduleuse.
Vérification des juges de l’habilitation d’un l’agent à consulter un fichier
Les requérants ont requis l’annulation de l’acte de consultation compte tenu de l’absence de précision quant aux fichiers consultés, et de l’absence d’identification de l’agent expressément habilité à effectuer cette consultation. La chambre de l’instruction a rejeté cette requête en nullité, relevant que le procès-verbal ne renvoie à aucun fichier spécifique, et que seul le fichier dénommé « système d’immatriculation des véhicules » a été consulté. Les requérants estiment que la chambre de l’instruction aurait dû vérifier quel était le fichier consulté et l’identité de l’agent ayant procédé à la consultation.
En l’occurrence, la Cour de cassation a jugé que c’est à tort que la chambre de l’instruction a refusé de vérifier la réalité de l’habilitation de l’agent, au besoin en ordonnant un supplément d’information.
En effet, l’article 593 du code de procédure pénale dispose que les arrêts de la chambre de l’instruction sont nuls s’ils ne contiennent pas des motifs ou si les motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d’exercer son contrôle, ou lorsqu’il a été omis ou refusé de prononcer sur une demande des parties ou sur des réquisitions du ministère public.
Pour autant, la Cour ne casse pas l’arrêt de la chambre de l’instruction sur ce point, procédant elle-même à ladite vérification et s’étant assurée que l’habilitation de l’agent ayant procédé à la consultation était expressément mentionnée dans un autre procès-verbal.
Dans cet arrêt, la chambre criminelle a donc précisé la portée du contrôle du juge sur les actes d’investigation dont la nullité est requise. Ce contrôle du juge est nécessaire, et l’on peut noter une place importante à son appréciation.
Crim. 28 mai 2024, FS-B, n° 23-85.848
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