Convention tripartite de mobilité temporaire du joueur de rugby
Le contrat par lequel un joueur est « transféré » temporairement, moyennant rémunération, d’un club à un autre constitue un contrat de travail qui, en vertu de l’article L. 222-2-3 du code du sport, est à durée déterminée. Fait une exacte application de la loi la cour d’appel qui requalifie la relation contractuelle entre le joueur et le club bénéficiaire du transfert en contrat de travail à durée indéterminée, en l’absence d’établissement d’un écrit.
Le monde du sport est loin d’être rétif au droit du travail. On a pris l’habitude, en règle générale, de distinguer le sport en tant que loisir du sport professionnel, au sein duquel uniquement les joueurs travaillent pour le club. C’est la raison pour laquelle, et l’arrêt rendu le 19 juin 2024 par la chambre sociale de la Cour de cassation le dépeint, le monde du sport professionnel connaît bien les problématiques liées au contrat de travail et à sa qualification.
En fait, un joueur de rugby professionnel a été prêté à un autre club de rugby en qualité de joker médical moyennant le versement d’une contrepartie mensuelle, d’une prime d’objectif, d’une prime de jeu et le remboursement des vacances ainsi que la prise en charge du logement. Une fois la saison close, le joueur est réintégré dans son club d’origine.
Il a saisi le conseil de prud’hommes aux fins notamment de requalification de la relation entre lui et le second club de rugby en contrat de travail à durée indéterminée, laquelle juridiction l’a débouté de ses demandes. La cour d’appel a infirmé le jugement au motif que la relation triangulaire ayant existé entre les deux clubs et le joueur s’analyse non comme un prêt de main d’œuvre mais comme une mutation temporaire au moyen d’un nouveau contrat de travail à durée déterminée. Or, aucun écrit n’étant versé au débat, alors que le joueur communiquait des pièces probantes telles que des bulletins de paie, la cour d’appel a requalifié logiquement le contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée.
Le second club de rugby, contestant la mutation et, par voie de conséquence, sa qualité d’employeur du joueur, se pourvoit en cassation. Il fait valoir que la convention conclue entre le joueur et lui constitue une convention tripartite sui generis.
Ce moyen n’a toutefois pas convaincu la Cour de cassation. Celle-ci, en rejetant le pourvoi, rappelle que la qualification « contrat de travail » est indépendante tant de la volonté des parties que de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention. Or, la convention par laquelle le joueur d’un club est temporairement engagé et rémunéré par un autre club constitue un contrat de travail qui entre dans les prévisions de l’article L. 222-2-3 du code du sport, c’est-à-dire un contrat de travail à durée déterminée. La cour d’appel ayant constaté l’absence d’écrit, elle a parfaitement décidé que le contrat devait être requalifié en contrat à durée indéterminée.
Modalités de mise en œuvre du prêt de joueur à but lucratif
En matière sportive, les joueurs sont embauchés par des contrats de travail à durée déterminée successifs, pratique autorisée par la jurisprudence comme CDD d’usage (Soc. 20 juin 2001, n° 99-44.061, inédit). Afin de réduire les risques de requalification en contrat de travail à durée indéterminée, le régime des contrats de travail à durée déterminée successifs a été ensuite fixé par la loi n° 2015-1541 du 27 novembre 2015, suivant une proposition du rapport Karaquillo. Cette loi, en introduisant un article L. 222-3 dans le code du sport, a également permis le prêt de main-d’œuvre à but lucratif dans le domaine du sport professionnel.
Ces prérequis posés, le prêt de main-d’œuvre peut en pratique s’opérer de deux manières. Tantôt, le joueur conclut un nouveau contrat de travail avec le second club, ce qui suppose la suspension de son contrat de travail initial et la conclusion, entre les deux clubs, d’une convention de mise à disposition. Ces modalités étaient au demeurant usuelles sous l’empire du régime antérieur à la loi de 2015. Tantôt, le joueur et les deux clubs concluent une convention tripartite, à l’instar de la convention tripartite de mobilité intra-groupe. C’est ce modèle qu’ont choisi les parties en l’espèce, ce qui compliquait précisément l’affaire. En effet, nul doute, on l’a dit, qu’un contrat de travail aurait été conclu entre le joueur et le second club si les partenaires avaient mis en œuvre le prêt suivant la première modalité. En choisissant à l’inverse une convention tripartite, la question restait donc entière de savoir si le joueur est devenu, fût-ce temporairement, salarié du second club.
L’alternative posée par la cour d’appel nous paraît alors inexacte. Le transfert du joueur constituait, en tout état de cause, un prêt de main d’œuvre entre deux sociétés différentes et nullement une mutation. Ceci dit, cela ne répond pas, pour le moment, à la question de la nature juridique de la relation existant entre le joueur et le second club.
Convention tripartite et qualification « contrat de travail »
Pour savoir si la convention tripartite a entraîné l’existence entre le joueur et le second club d’un contrat de travail, il faut, ainsi que le rappelle justement la Cour de cassation, appliquer les critères classiques du contrat de travail sans avoir égard à la volonté, expresse ou tacite, des parties, la qualification « contrat de travail » étant indisponible (v. pour la première occurrence, Soc. 19 déc. 2000, n° 98-40.572 P, D. 2001. 355, et les obs.
; Dr. soc. 2001. 227, note A. Jeammaud
).
Le joueur de rugby, en l’espèce, était assez nettement un salarié : il travaillait pour le second club qui lui versait une rémunération. Si un doute peut surgir à l’égard de la subordination, celle-ci n’était en réalité pas contestée en cause d’appel. Au surplus, le salarié a pu bénéficier, selon les juges du fond, d’une apparence de contrat de travail, validée par la Cour de cassation. Plusieurs documents permettent d’établir cette apparence, tels le bulletin de paie (Soc. 21 janv. 2015, n° 13-25.778, inédit) et le certificat de travail (Soc. 11 févr. 2015, n° 13-28.224, inédit). En produisant ces documents, ainsi qu’une attestation Pôle Emploi, le salarié caractérisait sans difficulté cette apparence de contrat de travail que le second club de rugby ne pouvait anéantir qu’en démontrant l’absence de réunion des critères du contrat de travail, et particulièrement le défaut de subordination. Cela lui étant difficile dans l’affaire, le club a alors tenté de démontrer que la convention tripartite interdisait la reconnaissance d’un contrat de travail. Mais la Cour de cassation a réfuté cet argument et a considéré finalement qu’un contrat de travail à durée déterminée a été conclu, contrat qui doit, en raison du défaut de production d’un écrit exigé par l’article L. 222-2-5 du code du sport, être requalifié en contrat à durée indéterminée.
En définitive, le rejet du pourvoi est, semble-t-il, parfaitement justifié tant l’arrêt d’appel est fort bien motivé.
Soc. 19 juin 2024, FS-B, n° 22-18.022
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