Cotisations/contributions de sécurité sociale, contrôle comptable d’assiette et droit de la défense : quand l’administration tient le juge en l’état ?

L’arrêt rendu le 4 septembre 2025 livre un modus operandi relativement aux pièces justificatives susceptibles d’être fournies par un cotisant exposé à l’épreuve du contrôle comptable d’assiette. 1- Interdiction de produire judiciairement des pièces expressément demandées et non remises lors du contrôle. 2- Obligation de produire les pièces dès le contrôle dans certaines matières à charge probatoire renforcée. Et à la question de savoir si le tout est compatible avec les exigences du droit au procès équitable, la Cour de cassation répond par l’affirmative : « principe du contradictoire administratif » obligerait.

En l’espèce, un cotisant fait l’objet d’un contrôle de l’application de la législation sociale. À l’analyse, le régime de retraite à prestations définies (dit « retraite de raccordement »), qui a été mis en place par accord d’entreprise pour les collaborateurs proches de l’âge du départ à la retraite, n’est pas conforme. L’URSSAF considère que le dispositif ne répond pas aux exigences de l’article L. 137-11 du code de la sécurité sociale, en ce que l’accord ne conditionne pas expressément la constitution des droits à prestations à l’achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l’entreprise. Une lettre d’observation est en conséquence notifiée dont le chef de redressement critiqué porte sur les cotisations et contributions dues sur la participation patronale au régime de retraite complémentaire. La régularisation, qui consiste à réintégrer dans l’assiette ladite participation au financement du régime – i.e. les cotisations versées par l’employeur à la Caisse mutuelle d’assurance sur la vie –, est chiffrée à plus de 4 millions d’euros.

Le cotisant conteste devoir quoi que ce soit et saisit la commission de recours amiable. Il est soutenu que le chef de redressement est entaché d’une erreur matérielle manifeste dans la détermination de l’assiette des cotisations car, vérification faite, aucune cotisation n’a été à proprement versée à l’assureur pour le financement du régime sur la période contrôlée (1er juill. 2008 – 31 déc. 2010). Et le cotisant de fournir une première attestation rédigée en ce sens par la Caisse mutuelle d’assurance sur la vie et une seconde établie par le commissaire aux comptes de cette dernière : aucune cotisation n’a été payée par l’employeur. La conclusion paraît s’imposer à l’esprit : faute pour ce dernier d’avoir contribué au régime, aucune cotisation n’est due (faute de fait générateur).

C’est à se demander alors comment la situation a-t-elle pris une telle tournure ? Eh bien parce que l’employeur a, d’une part, attiré l’attention des inspecteurs chargés du contrôle comptable d’assiette en passant une provision dans les écritures comptables et qu’il a, d’autre part, rapporté la preuve du défaut de contribution trop tard !

La saisine de la Commission de recours amiable, la saisine de la Cour d’appel de Lyon, la saisine de la Cour de cassation n’aura rien changé à son sort bien qu’un avis de cassation fût rédigé par l’avocat général.

Ceci pour souligner que la solution était loin d’aller de soi. Au fond, il est fait interdiction de rapporter la preuve d’un fait nécessaire au succès d’une prétention ; il est donc porté une limitation au droit de la preuve. Sous la technicité apparente de l’affaire, qui peut donner le tournis, il est question de droit des grands jours. La publication de l’avis et du rapport, qui sont de nature à expliciter la décision rendue par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, sont appréciables de ce point de vue.

En substance, et après avoir affirmé que « le droit au procès équitable n’est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même » (pt 6), la Cour de cassation considère que la production d’une pièce complémentaire ne saurait être empêchée – principe du contradictoire oblige –, simplement lorsqu’elle est demandée, il importe de la remettre et ce dans les trente jours qui suivent la notification des observations formulées par l’URSSAF (pt 7 ; art. R. 243-59 CSS) sans quoi le cotisant ne sera plus jamais recevable à la présenter pour la première fois devant le juge (pt 16).

La Cour de cassation ne se limite pas à cette hypothèse de travail et profite en quelque sorte de l’arrêt pour ramasser en quelques points sa jurisprudence en la matière, quitte à se départir du strict objet du litige (…). En ce sens, il est rappelé que toutes les fois qu’il importe au cotisant de démontrer que les informations qu’il a déclarées sont conformes à la législation de sécurité sociale – ce qui n’était pas le cas en l’espèce car il importait aux inspecteurs chargés du contrôle comptable de caractériser l’erreur commise par le cotisant –, les pièces probantes doivent être fournies pendant le contrôle ou la phase contradictoire (pt 17). Tel est notamment le cas de l’application des règles de déduction des frais professionnels (Civ. 2e, 24 nov. 2016, n° 15-20.493), de l’application de la tolérance administrative d’exclusion de l’assiette de cotisations (Civ. 2e, 7 janv. 2021, n° 19-20.035 et n° 19-19.395), en matière de taxation forfaitaire (Civ. 2e, 14 mars 2019, n° 17-28.099), ou d’évaluation forfaitaire des cotisations et contributions dues par une société ayant fait l’objet d’un contrôle de l’inspection du travail en matière de travail dissimulé (Civ. 2e, 9 nov. 2017, n° 16-25.690, Dr. soc. 2018. 187, étude R. Salomon ).

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la décision. On se contentera de suggérer combien le curseur est difficile à positionner entre l’effectivité du contrôle juridictionnel et la loyauté du contradictoire administratif.

En pratique, et pour conclure, on mesurera plus encore combien il est important de tracer les demandes formulées par les inspecteurs et les pièces mobilisées pour y répondre (via l’ouverture d’un registre interne renseignant notamment la date à laquelle la réponse a été fournie) ; combien il est nécessaire de pointer les domaines dans lesquels la charge probatoire de la conformité des informations déclarées au droit de la sécurité sociale repose sur le cotisant ; combien il importe de veiller à la concordance documentaire stricte des pièces fournies.

 

Civ. 2e, 4 sept. 2025, FS-B, n° 22-17.437

par Julien Bourdoiseau, Professeur des Universités et avocat (assurance/distribution – santé – sécurité sociale)

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