Cour d’assises : clarifications procédurales

Si, au cours d’une audience de la cour d’assises, une pièce de la procédure ou une pièce produite est arguée de faux, la cour, sans la participation du jury, décide, après avoir recueilli les observations du ministère public et des parties, s’il y a lieu ou non de surseoir jusqu’à ce qu’il ait été prononcé sur le faux par la juridiction compétente.

Par ailleurs, la feuille de motivation n’a pas à caractériser chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont l’accusé est déclaré coupable, dès lors que cette caractérisation procède des réponses affirmatives apportées aux questions posées.

Il est des affaires qui sont l’occasion de clarifier différentes règles procédurales. L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt de la chambre criminelle du 2 mai 2024 est de celles-ci.

En l’espèce, un individu avait été renvoyé devant la cour d’assises des chefs de viols et agressions sexuelles, aggravés. Il avait été déclaré coupable et condamné à dix ans de réclusion criminelle, cinq ans de suivi socio-judiciaire, quinze ans d’interdiction de détenir une arme et une confiscation. Il avait interjeté appel de cette décision et le ministère public avait formé un appel incident.

Devant la cour d’assises d’appel, l’avocat de la partie civile avait communiqué l’acte de naissance de cette dernière, certifié conforme à l’original. La défense de l’accusé avait alors déposé des conclusions faisant état de différences entre les indications de l’acte communiqué par la partie civile à l’audience et celles de l’acte figurant au dossier de l’information. Elle demandait qu’il lui soit donné acte que l’acte de naissance figurant à la procédure était un faux.

Par arrêt incident, la cour indiqua qu’elle ne pouvait se prononcer sur la qualification de faux envisagée par l’accusé et donna acte à la défense de ses protestations sur l’authenticité de l’acte de naissance contenu au dossier de l’information.

La juridiction le déclara coupable de viol aggravé et le condamna à douze ans de réclusion criminelle, outre l’interdiction d’exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs pendant dix ans et la privation du droit d’éligibilité pendant cinq ans.

L’accusé se pourvut en cassation. Au soutien de son pourvoi, il développa plusieurs moyens pouvant être regroupés sous deux axes.

Dans un premier temps, il reprochait à la cour d’assises de ne pas s’être prononcée sur le faux incident. Il arguait que, conformément à l’article 315 du code de procédure pénale, la cour d’assises était tenue de statuer sur les conclusions déposées par l’accusé au cours de l’instruction orale. Il ajoutait, sur le fondement de l’article 646, que lorsqu’une pièce produite devant une juridiction de jugement était arguée de faux, ladite juridiction devait décider s’il y avait lieu ou non de surseoir jusqu’à ce qu’il soit prononcé sur le faux par la juridiction compétente.

Ainsi, il estimait que la cour avait violé ces textes en se bornant, au vu de ces conclusions, à énoncer d’une part qu’elle ne pouvait se prononcer sur la qualification de faux envisagée par l’accusé, d’autre part à simplement donner acte à la défense de ses protestations sur l’authenticité de l’acte de naissance litigieux, sans statuer sur le faux incident.

Dans un second temps, il reprochait à la cour d’assises un défaut de motivation.

La Cour de cassation fut donc amenée à se prononcer sur la conduite à adopter par la cour d’assises en cas de faux incident et sur les exigences de motivation d’une condamnation criminelle.

Le faux incident

Par son arrêt du 2 mai 2024, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l’article 646 du code de procédure pénale que si, au cours d’une audience de la cour d’assises, une pièce de la procédure ou une pièce produite est arguée de faux, la cour, sans la participation du jury, décide, après avoir recueilli les observations du ministère public et des parties, s’il y a lieu ou non de surseoir jusqu’à ce qu’il ait été prononcé sur le faux par la juridiction compétente. Elle ajoute que cette dernière est saisie dans les conditions prévues par les articles 306 et suivants du code de procédure civile.

Vérifiant la bonne application de ce texte en l’espèce, la Haute juridiction estime qu’en indiquant par arrêt incident qu’elle ne pouvait se prononcer sur la qualification de faux envisagée par l’accusé et en donnant acte à la défense de ses protestations sur l’authenticité de l’acte de naissance contenu au dossier de l’information, la cour d’assises, qui ne pouvait juger de l’authenticité de la pièce contestée, avait statué dans les limites de sa saisine et répondu sans insuffisance aux conclusions dont elle était saisie, sans méconnaître les textes visés au moyen.

Ainsi faut-il retenir que si au cours d’une audience d’un tribunal ou d’une cour une pièce de la procédure, ou une pièce produite, est arguée de faux, c’est la cour, sans la participation du jury, qui décide s’il y a lieu ou non de surseoir à statuer. Cette décision doit intervenir après avoir recueilli les observations du ministère public et des parties. Il convient de préciser que le sursis à statuer n’est en rien une obligation (Crim. 19 sept. 2001, n° 01-82.793) et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (Crim. 2 mai 2001, n° 00-84.722).

Parallèlement, la juridiction compétente pour statuer sur le faux doit être saisie dans les conditions prévues par les articles 306 et suivants du code de procédure civile (déclaration au greffe formalisée). Ce que n’avait, en l’espèce, pas fait la défense.

La motivation criminelle

S’agissant de l’exigence de motivation de la cour d’assises, la Cour de cassation estime qu’il se déduit des articles 349, 359 et 365-1 du code de procédure pénale que la feuille de motivation n’a pas à caractériser chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont l’accusé est déclaré coupable, dès lors que cette caractérisation procède des réponses affirmatives apportées aux questions posées.

La chambre criminelle constate qu’en l’espèce, la cour d’assises a répondu par l’affirmative aux questions portant sur la culpabilité de l’accusé d’avoir commis des actes de pénétration sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sur la victime, lorsque celle-ci était mineure de quinze ans avec cette circonstance qu’il avait autorité sur elle. Elle relève qu’aucune question n’a été posée sur une circonstance aggravante tirée de la vulnérabilité de la victime et qu’aucune déclaration de culpabilité n’a été prononcée à ce titre.

La Cour de cassation ajoute que la cour d’assises a également répondu par l’affirmative aux questions portant sur la culpabilité de l’accusé d’avoir commis des atteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace ou surprise sur une autre victime, lorsque celle-ci était mineure de quinze ans, puis lorsqu’il avait autorité sur la victime.

En outre, elle constate que la feuille de motivation énonce les principaux éléments à charge ayant convaincu la cour d’assises, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, conformément aux exigences de l’article 365-1 du code de procédure pénale et en déduit que la décision est suffisamment motivée.

La Haute juridiction fait une exacte application des exigences de motivation des arrêts criminels. Il convient de rappeler qu’à l’origine, l’exigence de motivation était étrangère au droit pénal. Il fallut attendre la loi n° 2019-22 du 23 mars 2019 pour que soit instaurée l’obligation de motivation de la culpabilité en matière criminelle. L’article 365-1 du code de procédure pénale dispose désormais qu’« en cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises et qui ont été exposés au cours des délibérations ». Comme nous le relevions dans notre thèse, le terme « élément » doit être entendu comme une « “information, donnée, fait, etc., nécessaire à la compréhension de quelque chose ” (Larousse Maxipoche, C. Girac-Marinier [dir.],  Élément). Il invite à une appréciation de la peine prononcée en fonction de l’ensemble des données dont dispose la cour d’assises, données par essence factuelles » (A. Roques, La matérialité de l’incrimination, Montpellier, 2022, § 822). La cour d’assises n’a pas à procéder à une caractérisation technique de l’infraction, mais à justifier quelles données, quels faits l’ont conduite à voter la culpabilité de l’accusé. Ainsi doit-elle justifier de ce qui à emporter son intime conviction et non caractériser chacun des éléments constitutifs de chacune des infractions dont l’accusé est déclaré coupable, dès lors que cette caractérisation procède des réponses affirmatives apportées aux questions posées. 

 

Crim. 2 mai 2024, FS-B, n° 23-82.262

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