Cours criminelles départementales : déclaration de constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel considère que les dispositions ayant généralisé les cours criminelles départementales ne méconnaissent ni le principe d’égalité des citoyens devant la loi, ni le principe d’égalité des citoyens devant la justice. Aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République ne rend l’intervention du jury populaire obligatoire pour juger les crimes de droit commun.

Après une phase d’expérimentation dans le ressort de quinze cours d’assises, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a étendu la compétence des cours criminelles départementales à l’ensemble du territoire national. Cinq magistrats professionnels sont désormais compétents pour juger les individus accusés d’avoir commis un crime puni de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle lorsque ceux-ci sont majeurs qu’ils ne se trouvent pas en état de récidive légale.

En ce qu’elle conduisait à évincer le jury populaire de la procédure de jugement de certains crimes, la généralisation des cours criminelles départementales a suscité une vive controverse (v. not., proposition de loi visant à préserver le jury populaire de la cour d’assises, enregistrée à la présidence de l’Ass. nat. le 10 mai 2023 ; Résol. du CNB, Opposition à la généralisation des cours criminelles départementales prévue pour le 1er janv. 2023, adoptée par l’assemblée générale du 13 janv. 2023).

Elle a été contestée devant le Conseil constitutionnel par le biais de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité des dispositions qui organisent la compétence des cours criminelles départementales (C. pr. pén., art. 380-16 à 380-22) aux principes fondamentaux reconnu par les lois de la République ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi et devant la justice (v. Dalloz actualité, 28 sept. 2023, obs. H. Diaz). Les dispositions litigieuses ont été déclarées conformes à la Constitution.

L’intervention du jury populaire exclue de la catégorie des Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République 

S’il ne nie pas l’existence d’un « principe de l’intervention du jury en matière criminelle » (consid. 15), le Conseil constitutionnel refuse de qualifier l’intervention du jury populaire dans le jugement des crimes de principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Selon lui, le principe « ne saurait être regardé comme répondant à l’ensemble des critères requis pour la reconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République » (consid. 15). La tradition républicaine dans laquelle s’inscrit cette intervention ne satisfait pas au critère de continuité posé par le Conseil. Ce dernier constate que, par trois fois au moins, le législateur a exclu le jury populaire de la procédure de jugement de certains crimes. Il cite la loi du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat et dont l’article 10 a donné compétence au Sénat, constitué en Cour de justice, pour juger les crimes commis par le président de la République, les ministres et pour juger les attentats commis contre la sûreté de l’État. Les lois du 9 mars 1928 portant révision du code de justice militaire pour l’armée de terre et du 13 janvier 1938 portant révision du code de justice militaire pour l’armée de mer ont quant à elles réservé le jugement des crimes commis par les militaires, marins ou assimilés à des magistrats professionnels. Cette application « en pointillés » du principe de l’intervention du jury populaire en matière criminelle permettrait d’en relativiser la valeur. Elle serait importante mais pas fondamentale.

Anticipant l’argument tenant à la discontinuité du principe, les requérants faisaient valoir que le principe imposant l’intervention du jury populaire ne concerne pas l’intégralité des crimes mais seulement la majorité d’entre eux, les crimes de droit commun. Le Conseil constitutionnel affirme néanmoins que les lois précitées « n’ont eu ni pour objet ni pour effet de réserver à une juridiction composée d’un jury le jugement des crimes « de droit commun » » (consid. 16). Il réfute l’existence d’une catégorie de crimes dits « de droit commun », soulignant notamment que cette « catégorie […] n’a au demeurant été définie par aucun texte » (consid. 16). En effet, ni le code pénal, ni le code de procédure pénale n’utilisent l’expression « crimes de droit commun ». Toutefois, certains textes font référence à des infractions spéciales, à l’instar de la loi du 9 mars 1928 dont l’article 3 mentionne des « infractions spéciales d’ordre militaire ». Plus globalement, force est de constater qu’à chaque fois que le législateur a réservé le jugement de crimes à des magistrats professionnels, il s’agissait de crimes spéciaux, soit en raison de leur nature, soit en raison de la qualité de leur auteur. Bien qu’elle ne soit pas citée par le Conseil, qui concède la qualification de PFRLR aux seuls principes issus d’une loi antérieure au préambule de la Constitution de 1946, la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme le confirme. Cette loi avait supprimé l’intervention du jury populaire dans le jugement des crimes terroristes, prenant acte de la crainte exceptionnelle qu’inspiraient les accusés aux jurés et du risque de représailles qui pesaient sur ces derniers (v. not., R. M. Pereira, Juger le terrorisme avec ou sans jury ? Étude de la place du jury populaire dans les procès pour terrorisme en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis, RSC 2017. 215 ). Or, si le jury populaire s’efface pour le jugement des crimes dits « spéciaux », il n’est pas interdit de considérer que son intervention demeure le principe s’agissant du jugement des crimes de droit commun.

En tout état de cause, la généralisation des cours criminelles départementales bouleverse les classifications habituelles. La cour criminelle départementale constitue une sorte de juridiction hybride, empruntant à la juridiction correctionnelle.

Ainsi, l’article 380-19 du code de procédure pénale prévoit que les magistrats qui la composent délibèrent en possession de l’entier dossier de procédure, comme cela est le cas pour les magistrats siégeant au sein du tribunal correctionnel. Dans le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice, la garde des Sceaux employait d’ailleurs l’expression de « tribunal criminel départemental » pour désigner les juridictions qui furent ensuite nommées « cours criminelles départementales ».

L’absence d’atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant la justice

Alors qu’il refusait de reconnaître toute distinction entre les crimes de droit commun et les crimes spéciaux, le Conseil constitutionnel est en revanche forcé d’admettre que les individus sont placés dans des situations différentes selon qu’ils sont jugés par une cour criminelle départementale ou par une cour d’assises. Il constate cependant que ces différences ne sont pas dénuées de justification puisqu’elles découlent de critères objectifs, qui tiennent à la nature des faits, aux circonstances qui entourent leur renvoi devant la juridiction de jugement ou à la nature de la juridiction de jugement.

Deux éléments posent néanmoins difficulté ici. Le Conseil estime que les garanties offertes aux justiciables sont « équivalentes » (consid. 23) devant une cour d’assises et devant une cour criminelle départementale. Se pose la question de savoir si l’absence de méconnaissance du principe d’égalité des citoyens devant la loi et devant la justice peut être motivée par une simple équivalence de garanties. Surtout, l’intervention du jury populaire est vue comme une simple exception à cette équivalence procédurale. Dire cela revient à couper le lien qui pourrait exister entre intervention du jury populaire et égalité et à rendre les derniers honneurs à un pan entier de l’héritage révolutionnaire (A. Giglio et A. Jellab, Des citoyens face au crime, Presses Universitaires du Midi, coll. « Socio-logiques », 2012, p. 89 s.).

La généralisation des cours criminelles départementales invite à s’interroger sur le mouvement de simplification dans lequel elle s’inscrit. Les objectifs affichés sont louables : une simplification de la procédure pénale permettrait de rendre la justice plus efficace, plus rapide et moins chère. Pourtant, la simplification, notion dont certains auteurs ont relevé l’ambiguïté (C. Saint-Didier, Propos introductifs, in La simplification de la procédure pénale, Y. Carpentier et A. Giudicelli [dir.], PUAM, 2019, p. 16), n’est pas sans risques. Elle ne doit pas occulter l’intensité du bouleversement que crée la commission d’un crime. La démarche de simplification ne doit pas non plus éclipser la quête de légitimité qui anime l’institution judiciaire, et dont le jury populaire peut être le vecteur. Si certains remettent en cause la légitimité démocratique actuelle du jury populaire (v. not., B. Barraud, La justice au hasard de quelques raisons juridiques de supprimer les jurys populaires, RIDP 2012. 377), le jury populaire est un symbole qu’on aurait tort de sacrifier sur l’autel de la simplification (M.-S. Baud, La réduction du champ de compétences du jury populaire : une simplification discutable, in La simplification de la justice pénale, Dalloz, coll. « Les sens du droit », 2022, p. 97).

 

© Lefebvre Dalloz