Créance douanière : compétence du juge de l’exécution pour constater sa prescription

Le juge de l’exécution, qui connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, ce qui n’est pas le cas en matière d’affaires de douane, est fondé à se prononcer sur la prescription de la créance douanière litigieuse, quand bien même elle n’aurait pas été soulevée au cours de la phase pré-contentieuse.

Les personnes, quelle que soit leur nationalité, qui disposent d’une résidence principale en France et sont propriétaires et/ou utilisateurs d’un navire de plaisance ou de sport battant pavillon étranger, doivent être titulaires d’un passeport, traditionnellement délivré par le chef du bureau de douane du port d’attache de leur choix, moyennant le paiement, annuellement, d’un droit de passeport (C. douanes, art. 238, anc.). Depuis le 1er janvier 2022, et en application des articles L. 423-1 et suivants du nouveau code des impositions sur les biens et services, le droit annuel de francisation et de navigation (qui concerne, lui, les navires de plaisance sous pavillon français) et le droit de passeport ont été regroupés sous la taxe annuelle sur les engins maritimes à usage personnel (TAEM) et c’est la Direction des affaires maritimes qui est compétente pour la collecter. Toutefois, compte tenu de leur nature distincte, le droit annuel de francisation et de navigation et le droit de passeport subsistent. Regroupement ne signifie donc pas fusion.

Le contentieux dont la chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à connaître, dans cet arrêt du 29 mai 2024, a été rendu sous l’empire du droit qui préexiste à cette réforme, mais la solution qu’elle rend n’en conserve pas moins toute sa valeur au regard du droit positif. Les faits de l’espèce méritent d’être exposés. Le 10 mai 2010, un receveur régional des douanes a notifié au propriétaire d’un navire de plaisance un avis de mise en recouvrement (AMR) pour obtenir le paiement du droit de passeport pour les années 2007 à 2009. Un arrêt irrévocable du 16 mai 2013 a rejeté la contestation élevée contre cet AMR. Le 19 novembre 2016, l’administration des douanes a notifié à la caisse de retraite à laquelle est affilié l’intéressé un avis à tiers détenteurs puis a fait procéder, le 21 octobre 2020, à deux saisies administratives à tiers détenteurs. Le 18 mars 2021, l’intéressé a assigné la Direction générale des douanes devant un juge de l’exécution afin d’obtenir l’annulation des saisies administratives à tiers détenteurs ainsi que la restitution des sommes saisies.

La Cour d’appel de Dijon a accueilli cette demande : elle a déclaré recevable la demande de mainlevée des saisies administratives à tiers détenteurs litigieuses, constaté la prescription de l’action en recouvrement de la créance objet d’une des saisies administratives à tiers détenteur et condamné l’État à restituer les sommes perçues en exécution de cette saisie. L’administration des douanes forme alors un pourvoi en cassation, dans lequel elle conteste la compétence du juge de l’exécution en matière de contestation relative à la prescription de l’action en recouvrement d’une créance douanière, mais qui est rejeté.

La chambre commerciale cite d’abord les deux textes dont la violation, par les juges d’appel, est avancée par le pourvoi. Aux termes de l’article 239 du code des douanes, alors applicable, le droit de passeport est perçu comme en matière de douane, les infractions sont constatées et punies, les poursuites sont effectuées et les instances sont instruites et jugées comme en matière de douane (pt 6). Elle poursuit en affirmant qu’il résulte de l’article 349 nonies du code des douanes que toute contestation relative au recouvrement des sommes effectué en application de ce code est, en cas de rejet ou de décision implicite de rejet par le comptable chargé du recouvrement, portée devant le juge de l’exécution (pt 7).

Ensuite, elle considère que la cour d’appel a exactement retenu que le juge de l’exécution était compétent pour connaître des contestations relatives à la prescription de l’action en recouvrement. Ce dernier, juge-t-elle, est compétent pour connaître de toute action en recouvrement de dette douanière. Ubi lex non distinguit… Elle affirme que « c’est sans méconnaître les textes dont la violation est invoquée que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait, l’article 349 nonies du code des douanes ne distinguant pas, contrairement à l’article L. 281 du livre des procédures fiscales, les contestations relatives au recouvrement des contestations portant sur l’obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués ou encore sur l’exigibilité de la somme réclamée » (pt 8). Pour rappel, l’article L. 281 du livre des procédures fiscales est le siège textuel de la procédure de recouvrement de la dette fiscale, cette procédure comprenant deux phases successives, l’une administrative, l’autre juridictionnelle.

La chambre commerciale poursuit dans la même veine en affirmant que « l’article 349 nonies précité du code des douanes ne fait référence ni aux dispositions de l’article L. 281 du livre des procédures fiscales ni à l’article R. 281-5 du même code, pris pour son application, de sorte que ces textes, qui ne renvoient pas d’avantage à cet article du code des douanes, ne trouvent pas application s’agissant de dettes douanières » (pt 11). Il en résulte, ajoute-t-elle, procédant par substitution de motifs, que « le juge de l’exécution qui, en application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, ce qui n’est pas le cas en matière d’affaires de douane, était fondé à se prononcer sur la prescription de la créance douanière litigieuse, quand bien elle n’aurait pas été soulevée au cours de la phase pré-contentieuse » (pt 12).

 

Com. 29 mai 2024, F-B, n° 22-21.890

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