Créance portée à la connaissance du mandataire : possibilité pour le débiteur de la contester ultérieurement

Bien que la créance portée par le débiteur à la connaissance du mandataire judiciaire fasse présumer la déclaration de sa créance par son titulaire, elle ne vaut pas reconnaissance par le débiteur de son bien-fondé. Par conséquent, il peut ultérieurement la contester.

En matière de procédures collectives, après l’étape clé de la déclaration des créances, vient celle de la vérification du passif qui comporte nombre de chausse-trappes procédurales pour les différentes parties à ces instances !

Un premier piège est réservé au créancier dont la créance serait contestée. Dans ce cas, le mandataire judiciaire doit l’en informer et le créancier a alors trente jours pour y répondre. Sauf exception, le défaut de réponse à cette contestation, dans le délai indiqué, va interdire toute contestation ultérieure par le créancier de la proposition du mandataire (C. com., art. L. 622-27 et L. 624-3, al. 2).

Passé ce premier temps, le mandataire judiciaire va ensuite établir la liste des créances déclarées accompagnée de ses propositions (C. com., art. L. 624-1, al. 1). C’est à ce stade que survient un second piège procédural réservé, cette fois, au débiteur, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance nº 2014-326 du 12 mars 2014, et qui est, en quelque sorte, le pendant de l’article L. 622-27 précité. En l’occurrence, il est prévu que les observations du débiteur doivent être faites dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle il a été mis en mesure, par le mandataire judiciaire, de formuler ses observations (C. com., art. R. 624-1).

Reste qu’au regard des différentes « possibilités » de déclaration des créances, une question très particulière peut ici avoir à se poser. Celle-ci est de savoir si le débiteur peut contester une créance qu’il a lui-même déclarée.

L’interrogation peut paraître surprenante, mais cette problématique n’est pas théorique. En effet, depuis l’ordonnance du 12 mars 2014, le troisième alinéa de l’article L. 622-24 prévoit que lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé sa propre déclaration de créance dans le délai prévu à l’article R. 622-24 du code de commerce.

À cet égard, bien qu’il ne s’agisse pas « d’un instrument imposé », la connaissance du mandataire des créances que le débiteur déclare pour le compte des créanciers va s’opérer d’une façon quasi systématique en raison des dispositions de l’article L. 622-6 du code de commerce.

Ledit texte prévoit en effet que le débiteur doit notamment remettre, dans les huit jours de l’ouverture de la procédure aux organes de celle-ci (C. com., art. R. 622-5), la liste de ses créanciers, du montant de ses dettes et des principaux contrats en cours. Or, puisqu’elle doit comprendre l’énumération des créanciers et du montant des dettes, il s’agit, en quelque sorte, de la toute première information dont disposeront les organes de la procédure quant à la composition du passif du débiteur.

Au demeurant, la liste de l’article L. 622-6 fait donc figure « d’instrument privilégié » pour les déclarations de créances qu’opérerait le débiteur pour le compte de ses créanciers (« instrument privilégié » seulement, car pour valoir déclaration, tout ce qui importe est que le débiteur ait porté la créance à la connaissance du mandataire peu important le moyen pour le faire, Com. 27 mars 2024, n° 22-21.016 FS-B, Dalloz actualité, 5 avr. 2024, note B. Ferrari ; D. 2024. 637 ).

Au regard de ce qui précède, est-ce à dire qu’en portant une créance à la connaissance du mandataire, le débiteur en reconnaîtrait le bien-fondé, ce qui l’empêcherait ensuite de la contester ?

C’est précisément à cette question que répond la Cour de cassation au sein des deux espèces ici commentées.

Les affaires

Les deux arrêts peuvent aisément être traités ensemble dans la mesure où les faits soumis à la Cour de cassation étaient en tous points similaires.

En l’espèce, tandis que deux sociétés étaient en procédure de sauvegarde, ces dernières avaient mentionné au sein de la liste de l’article L. 622-6 du code de commerce la créance de l’un de leurs créanciers, qu’elles avaient en commun, pour un certain montant. Dans le cadre de ces deux procédures, le créancier a procédé par la suite à sa propre déclaration de créance pour une somme supérieure à celle qu’avaient mentionnée les sociétés débitrices.

Au stade de la vérification du passif, les sociétés ont contesté les déclarations de créance effectuées par le créancier et elles obtiendront gain de cause devant les juridictions du fond.

Le créancier s’est alors pourvu en cassation pour chacune des deux affaires.

À l’appui de son pourvoi, le demandeur commençait par rappeler la règle selon laquelle lorsque le débiteur porte une créance à la connaissance du mandataire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant qu’il n’a pas adressé sa propre déclaration de créance.

Or, de cette règle, le créancier en déduisait que puisque la créance portée à la connaissance du mandataire judiciaire par le débiteur faisait présumer de la déclaration de sa créance par son titulaire dans la limite du contenu de l’information fournie au mandataire, cette démarche valait reconnaissance de la créance ainsi déclarée, et ce, peu important la déclaration de créance ultérieure par le titulaire de celle-ci. À tout le moins, le demandeur à la cassation indiquait que, malgré sa propre déclaration de créance pour une somme différente, le principe devait au moins valoir à propos du montant porté à la connaissance du mandataire par le débiteur.

En l’occurrence, la conséquence pour le créancier était simple : le débiteur ayant reconnu le bien-fondé de la créance en la portant à la connaissance du mandataire, il ne pouvait plus ensuite valablement la contester.

La Cour de cassation ne va pas être convaincue par l’argumentaire et va rejeter les pourvois.

La solution

Au sein des deux arrêts, la Cour de cassation pose un principe clair. Selon elle, il résulte des articles L. 622-24 et R. 622-23 du code de commerce que la créance portée par le débiteur, notamment en raison de l’obligation que lui fait l’article L. 622-6 du code de commerce, à la connaissance du mandataire judiciaire dans le délai de l’article R. 622-24, si elle fait présumer la déclaration de sa créance par son titulaire, dans la limite du contenu de cette information, ne vaut pas reconnaissance par le débiteur du bien-fondé de cette créance.

Par conséquent, le débiteur peut ultérieurement la contester dans les conditions des articles L. 624-1 et R. 624-1 du code de commerce.

De prime abord, il est vrai que cette solution pourrait surprendre. Du reste, nous allons voir qu’il a pu être soutenu qu’il serait étrange qu’une personne puisse contester ce qu’elle a elle-même déclaré. Pourtant, à bien y regarder, le principe posé par la Cour de cassation est tout à fait logique. Ainsi faut-il affirmer que la présomption de déclaration de créance par le débiteur ne peut valoir reconnaissance de dette.

L’impossibilité prétendue pour le débiteur de contester une créance dont il a lui-même mentionné l’existence

Force est de constater qu’il aurait pu être séduisant de considérer que l’information transmise par le débiteur quant à certaines de ses dettes valait reconnaissance par lui des créances en question.

À tout le moins, au lendemain de la parution de l’ordonnance du 12 mars 2014, un auteur en avait déduit que lorsque le débiteur porte à la connaissance du mandataire une créance et que, ce faisant, il la déclare pour le compte du créancier, « la logique voudrait qu’il soit privé de la possibilité de contester [par la suite] la créance » (D. Boustani-Aufan, De quelques aspects procéduraux de la contestation de créances au regard de l’ordonnance du 12 mars 2014, BJE janv. 2015, n° 111u7, p. 52, spéc. n° 13).

Poursuivant l’analyse, notre collègue indiquait au soutien de son argumentation qu’« il semble curieux que l’auteur de la déclaration et l’auteur de la contestation soient la même personne ; la déclaration de la créance par le débiteur étant constitutive d’un aveu de sa part quant à l’existence, la nature et le montant de la créance ».

Au regard de ce qui précède, les férus de procédure civile pourraient même y voir intuitivement une forme de violation du principe de l’estoppel dans la possibilité pour le débiteur de contester une créance dont il a lui-même mentionné l’existence (G. Jazottes et F. Legrand, Déclaration par le débiteur : retour d’expérience et difficultés, BJE janv. 2017, nº 114b4, p. 66).

Pour autant, il nous semble que ces arguments doivent être combattus pour affirmer, avec la Cour de cassation et certains praticiens (S. Barbot, P. Cagnoli, V. Leloup-Thomas et C. Faure, La créance déclarée, RPC 2023/3. Dossier 21, spéc. n° 15), que la présomption de déclaration de créance par le débiteur ne peut valoir reconnaissance de dette.

La présomption de déclaration de créance par le débiteur ne vaut pas reconnaissance de dette

Au demeurant, il ne faut pas perdre de vue que l’article L. 622-24 du code de commerce n’instaure qu’une présomption de déclaration par le débiteur pour le compte du créancier. Or, le texte précise bien que cette présomption ne vaut que tant que le créancier ne transmet pas sa propre déclaration de créance (F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022, n° 2770). Partant, si « déclaration » de la part du débiteur il y a, cette dernière n’est pas faite en son nom. Or, par nature, cette caractéristique empêche l’application du principe « nul ne peut se contredire au détriment d’autrui », car le débiteur n’agit pas ici pour lui, mais bien pour le créancier !

Si ce qui précède est une première raison de souscrire à la solution retenue par la Cour de cassation, un regard sur la philosophie même de la liste de l’article L. 622-6, en tant qu’instrument privilégié de déclaration des créances par le débiteur pour le compte de son créancier, permet d’assoir le raisonnement.

En l’occurrence, le fait que l’information de telle ou telle créance parvienne au mandataire par le canal de la liste de l’article L. 622-6 ne préjuge pas de la reconnaissance de son bien-fondé par le débiteur.

La raison est simple : il a l’obligation de mentionner toutes les créances, et ce, y compris, celles qui ne seraient pas certaines !

Du reste, c’est ce qu’a déjà eu l’occasion d’affirmer la Cour de cassation. Selon la Haute juridiction, l’article L. 622-6 « impose au débiteur de remettre à l’administrateur et au mandataire judiciaire une liste qui comporte les nom ou dénomination, siège ou domicile de chaque créancier avec l’indication du montant des sommes dues au jour du jugement d’ouverture, des sommes à échoir et de leur date d’échéance, de la nature de la créance, des sûretés et privilèges dont chaque créance est assortie. Ce dernier texte ne distinguant pas entre les créances certaines et exigibles ou non, rend obligatoire pour le débiteur l’information sur toute créance, serait-elle incertaine dans son montant » (Com. 2 févr. 2022, n° 20-19.157, RTD com. 2022. 375, obs. A. Martin-Serf ).

Autrement dit, le fait que le contenu de la liste imposée par l’article L. 622-6 du code de commerce puisse in fine valoir déclaration de créance pour le compte du créancier est presque fortuit pour le débiteur, car bien que bénéficiant d’une présomption, c’est au créancier qu’il incombe de procéder à sa propre déclaration de créance dans les délais ! De surcroît, il paraîtrait assez incongru de voir dans la liste de l’article L. 622-6 un mécanisme de reconnaissance de dettes, là où le débiteur a même l’obligation de mentionner les créances qui seraient, par exemple, incertaines ! Au vrai, il y a même une certaine antinomie avec la figure de la reconnaissance de dette qui est toujours un acte volontaire.

Relevons que quand bien même cette version du texte n’était pas applicable au sein des deux espèces commentées, la loi nº 2022-172 du 14 février 2022 est venue apporter une précision intéressante quant à la vocation de la liste prévue à l’article L. 622-6 du code de commerce. Désormais, le texte précise que l’obligation faite au débiteur de remettre certaines informations dès l’ouverture de la procédure aux organes de cette dernière s’inscrit « dans les besoins de l’exercice de leur mandat ».

En soi, la « nouvelle » rédaction du texte ne change rien au droit positif, car aujourd’hui comme hier, l’essence de l’article L. 622-6 est de permettre aux organes de la procédure d’avoir une première idée sur l’étendue du passif et de l’actif du débiteur dans les liens de la procédure collective. Cela étant, la précision apportée permet de se convaincre qu’il est impossible de voir dans la mention d’une créance au sein de la liste, une quelconque reconnaissance de dette de la part du débiteur. Le but est simplement « de faciliter la vie » des mandataires de justice…

Dans la même veine, lorsque l’information sur la créance parvient au mandataire par le biais de l’article L. 622-6 du code de commerce, il est intéressant de relever qu’aucune marge de manœuvre n’est octroyée au débiteur. Si nous formulons cette remarque, c’est que le débiteur a tout intérêt à mentionner toutes les créances – même s’il envisage de les contester – puisque s’il est de mauvaise foi, l’article L. 653-8 du code de commerce sanctionne ce défaut de mention par une interdiction de gérer.

Partant, voir dans la liste de l’article L. 622-6 un mécanisme de reconnaissance de dette reviendrait à encourager le débiteur à prendre le risque du prononcé d’une sanction professionnelle : ce dernier pouvant être plus réticent à mentionner, dès l’ouverture de la procédure, l’existence de telle ou telle créance.

Suivant la même logique, ce serait aussi participer à l’explosion des actions en relevé de forclusion, ralentissant le déroulement de la procédure, sur le motif d’une omission du créancier de la liste de L. 622-6, motif que l’on sait désormais « automatique » quant à l’obtention d’un relevé de forclusion (Com. 16 juin 2021, n° 19-17.186 FS-P, Dalloz actualité, 28 juin 2021, obs. B. Ferrari ; D. 2021. 1183 ; ibid. 1736, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; ibid. 2262, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus ; Rev. sociétés 2021. 551, obs. F. Reille ; Rev. prat. rec. 2021. 71, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; RTD com. 2021. 919, obs. A. Martin-Serf ).

Au regard de ces derniers inconvénients, la solution posée nous paraît donc parfaitement respectueuse des intérêts en présence.

Pour finir, relevons toutefois que le principe établi pourrait ne pas emporter une pleine adhésion, et ce, notamment du point de vue des créanciers. Ce faisant, si le législateur entendait se saisir de la question, l’on pourrait imaginer qu’au sein de la liste de l’article L. 622-6 le débiteur soit obligé de préciser, d’emblée, quelle créance est ou non contestée. Dès lors, la qualité du débiteur à contester la créance, par la suite, serait fonction de cette mention « spéciale » au sein de la liste.

Cela étant, ce serait là peut-être trop en demander au débiteur et, en tout état de cause, l’on perdrait ici la philosophie inhérente au mécanisme de présomption de déclaration des créances qui n’est qu’une faveur faite au créancier et n’a aucunement vocation à se substituer à sa propre déclaration.

 

Com. 23 mai 2024, FS-B, n° 23-12.133

Com. 23 mai 2024, FS-B, n° 23-12.134

© Lefebvre Dalloz