Crédit à la consommation et services accessoires : attention au TAEG et aux clauses abusives !

Dans un arrêt rendu le 21 mars 2024, S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD, la Cour de justice de l’Union européenne vient apporter plusieurs précisions concernant la directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 sur les crédits à la consommation et s’agissant de la lutte contre les clauses abusives résultant de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 quand le crédit comporte plusieurs services accessoires souscrits par le consommateur.

Les renvois préjudiciels au titre de la lutte contre les clauses abusives continuent d’être aussi nombreux (v. dernièrement, CJUE 29 févr. 2024, Eventmedia Soluciones SL c/ Air Europa Líneas Aéreas SAU, aff. C-11/23, Dalloz actualité, 7 mars 2024, obs. C. Hélaine ; 25 janv. 2024, aff. C-810/21 à C-813/21, Dalloz actualité, 6 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; 23 nov. 2023, aff. C-321/22, Dalloz actualité, 4 déc. 2023, obs. C. Hélaine). La directive 93/13/CEE en ressort, à chaque arrêt de la Cour de justice, certes précisée mais surtout renforcée, rendant la protection du consommateur parfois difficile à cerner pour les spécialistes de la matière. La directive 2008/48/CE/CE génère, elle aussi, des questions préjudicielles concernant son objet, à savoir les crédits à la consommation (v. par ex., CJUE 11 janv. 2024, aff. C-755/22, Dalloz actualité, 18 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; 21 déc. 2023, BMW BANK, aff. C-38/21, C-47/21 et C-232/21, Dalloz actualité, 10 janv. 2024, obs. C. Hélaine).

L’arrêt rendu le 21 mars 2024 combine ces deux textes dans une affaire particulièrement intéressante.

À l’origine de la demande de renvoi préjudiciel, on retrouve un crédit à la consommation conclu le 10 octobre 2019 entre une banque et un consommateur bulgare pour le prêt d’une somme d’environ 5 000 Iev Bulgare (dans ce commentaire abrégé BGN, soit 2 500 €). Le prêt est prévu pour une durée de trente-six mois avec un taux d’intérêt annuel de 41 % et un taux annuel effectif global (TAEG) de 49,02 %. Par conséquent, le montant total à rembourser était de 8 765,02 BGN, soit 4 400 €. Le contrat en cause prévoyait la possibilité de souscrire plusieurs prestations accessoires, à savoir : un service « Fast » permettant une priorité dans l’examen du dossier et une mise à disposition en vingt-quatre heures des fonds et un service « Flexi » permettant de modifier le plan initial de remboursement sous conditions. L’emprunteur décide de souscrire les deux options précédemment citées pour un prix de 1 250 BGN (soit 625 €) pour le service « Fast » et de 2 500 BGN (soit 1 250 €) pour le service « Flexi ». Les montants de ces prestations ont été inclus dans les sommes à rembourser.

L’emprunteur saisit le Sofiyski rayonen sad (le Tribunal d’arrondissement de Sofia) afin de faire déclarer qu’il n’est pas redevable envers la banque d’un montant de 7 515,02 BGN (soit environ 3 775 €) dont 3 765,02 BGN (soit environ 1 900 €) qui correspondant au montant des intérêts contractuels ainsi qu’à une somme de 3 750 BGN (soit 1 875 €) pour les services accessoires « Fast » et « Flexi ».

L’emprunteur estime que les clauses visant l’obligation de régler les intérêts et ces services accessoires sont nuls car contraires aux bonnes mœurs. Il invoque à la fois la directive 2008/48/CE sur les crédits à la consommation mais également la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives telles que transposées dans le droit bulgare.

La juridiction saisie hésite quant à la réponse à donner en raison du truchement de ces services accessoires avec un crédit à la consommation. Elle estime que plusieurs clauses du contrat litigieux pourraient être abusives. C’est dans ce contexte que le Tribunal d’arrondissement de Sofia renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne pas moins de six questions préjudicielles :

1) Convient-il d’interpréter l’article 3, sous g), de la directive [2008/48/CE] en ce sens que font partie du [TAEG] les coûts relatifs aux services accessoires à un contrat de crédit aux consommateurs, tels que ceux exposés pour bénéficier de la possibilité de reporter les remboursements échelonnés et d’en réduire le montant ?

2) Convient-il d’interpréter l’article 10, § 2, sous g), de la directive [2008/48/CE] en ce sens que la mention erronée du [TAEG] dans le contrat de crédit conclu entre un commerçant et un consommateur (emprunteur) doit être considérée comme une absence d’indication du [TAEG] dans le contrat de crédit et que la juridiction nationale doit y appliquer les conséquences prévues par son droit interne en cas d’absence d’indication du [TAEG] dans le contrat de crédit aux consommateurs ?

3) Convient-il d’interpréter l’article 22, § 4, de la directive [2008/48/CE] en ce sens qu’est proportionnée la sanction de nullité du contrat de crédit aux consommateurs impliquant uniquement la restitution du capital octroyé, que le législateur national prévoit en cas d’indication imprécise du [TAEG] ?

4) Convient-il d’interpréter l’article 4, §§ 1 et 2, de la directive [93/13/CEE] en ce sens qu’il y a lieu de considérer que relèvent de l’objet principal du contrat les frais d’un paquet de services accessoires prévus dans une convention accessoire à un contrat de crédit à la consommation, qui a été conclue de manière distincte et à titre accessoire au contrat principal et que ces frais ne peuvent pas, partant, faire l’objet d’une appréciation relative à leur caractère abusif ?

5) Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 3, § 1, de la directive [93/13/CEE] et du point 1, sous o), de l’annexe de celle-ci en ce sens qu’est abusive une clause figurant dans un contrat de services accessoires à un crédit aux consommateurs qui prévoit la possibilité abstraite pour le consommateur de reporter et de rééchelonner un paiement pour lequel il doit des frais, même s’il ne recourt pas à cette possibilité ?

6) L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE ainsi que le principe d’effectivité doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation qui permet de mettre une partie des frais de procédure à la charge du consommateur[, premièrement,] au cas où il est fait partiellement droit à une demande de libération de l’obligation de payer des sommes à la suite de la constatation du caractère abusif d’une clause contractuelle […], [deuxièmement,] en cas d’impossibilité pratique ou de difficulté excessive d’exercer les droits du consommateur s’agissant de préciser le montant de la demande[, troisièmement,] dans tous les cas où il existe une clause abusive, y compris lorsque l’existence de la clause abusive n’affecte pas directement le montant de la créance, en tout ou en partie, ou n’est pas directement liée à l’objet du litige ?

Nous distinguerons la réponse donnée concernant les services accessoires au prêt de celle donnée s’agissant du contrat de crédit en lui-même.

Sur le contrat de prêt

Mention erronée du TAEG

Les deuxième et troisième questions s’interrogent sur le TAEG qui n’inclut pas tous les coûts prévus à l’article 3, g), de la directive 2008/48/CE. Notons, à titre préliminaire, que la Cour de justice est contrainte d’interpréter la troisième question qui était mal formulée en confondant notamment l’article 22, § 4, avec l’article 23 de la directive. L’erreur étant minime, la Cour de justice lui restaure un effet utile afin de donner tous les éléments d’interprétation nécessaires au règlement du litige au fond (v. pt n° 48 de la décision).

L’arrêt du 21 mars 2024 commence ainsi à rappeler que le TAEG dans le contrat de crédit « revêt une importance essentielle » (pt n° 51). La raison en est simple et chacun peut en prendre conscience au moment de la conclusion d’un prêt : ce taux permet au consommateur de pouvoir connaître l’étendue du contrat qu’il souscrit. C’est autour de ce caractère essentiel que la Cour de justice se fonde pour justifier que si le TAEG ne reflète pas « fidèlement » l’intégralité des coûts, le prêteur peut très bien être déchu de son droit aux intérêts et aux frais. Pour arriver à ce résultat, l’arrêt utilise le motif bien connu des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » (pt n° 52). Ce triptyque se retrouve très bien dans la déchéance du droit aux intérêts car l’opération devient alors neutre pour l’établissement bancaire. 

Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que cette sanction soit prononcée par la juridiction de renvoi si elle observe que le TAEG n’inclut pas tous les coûts prévus par la directive. Cette interprétation ne doit pas étonner car elle reste dans la droite lignée de la jurisprudence concernant ce texte qui est largement favorable au consommateur eu égard à l’harmonisation totale opérée par la directive (pt n°51).

Sur la clause permettant de reporter ou de rééchelonner les mensualités du crédit

La cinquième question portait sur une des clauses du contrat qui permettait à l’emprunteur de pouvoir reporter ou de pouvoir rééchelonner les mensualités du crédit contre un coût supplémentaire et ce alors que le consommateur n’était pas certain d’utiliser cette prérogative. Cette stipulation doit-elle présenter un caractère abusif au sens de la directive 93/13/CEE ? Le doute est permis. 

La Cour de justice commence par rappeler que l’annexe de la directive 93/13/CEE qui présente une liste indicative de clauses abusives ne mentionne pas la stipulation questionnée. Il faut donc interroger les critères connus de qualification de la clause abusive (à savoir une clause n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle et venant créer un déséquilibre significatif entre les droits des parties au contrat).

Ici, difficile de déterminer pour la Cour de justice si la clause considérée est abusive dans la mesure où c’est à la juridiction de renvoi d’étudier les circonstances qui entourent la conclusion du prêt en question. Mais une certitude se dégage à la lecture de la décision étudiée. Une telle stipulation peut être abusive au sens de la directive de 1993. L’arrêt du 21 mars 2024 rappelle donc la méthodologie à déployer par la juridiction de renvoi : à savoir vérifier la marge d’appréciation dont dispose le prêteur mais également le caractère transparent de la clause. Un autre critère utilisé en jurisprudence résulte d’un arrêt que nous avons commenté dans ces colonnes, à savoir la mise en balance des coûts supplémentaires par rapport au montant du prêt accordé (v. CJUE 23 nov. 2023, aff. C-321/22, Dalloz actualité, 4 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2012. 2383  ; RTD eur. 2013. 372, obs. L. Grard ). Tous ces éléments doivent converger en faisceau d’indices pour déterminer si la clause est abusive ou non. Nihil novi sub sole.

La lecture des faits ayant donné lieu au renvoi préjudiciel semble pouvoir donner de bonnes chances au plaideur d’obtenir le caractère abusif d’une telle clause. Il faut toutefois être prudent sans avoir accès à l’intégralité des données du contrat en question. Ce sera la disproportion entre le coût supplémentaire et le montant du prêt qui servira d’arbitre.

Sur les frais engagés par le consommateur

La sixième question est une interrogation très souvent au cœur des renvois préjudiciels ces derniers temps (et donc déjà rencontrée dans nos colonnes, v. par ex., CJUE 22 sept. 2022, aff. C-215/21, Dalloz actualité, 30 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ). Elle consiste à se demander si le consommateur peut être obligé, en vertu du droit national auquel il est soumis, de régler une partie des frais de procédure après avoir fait constater par le juge le caractère abusif d’une ou de plusieurs clauses de son contrat mais sans avoir obtenu l’intégralité des restitutions qu’il souhaitait. La juridiction de renvoi s’interrogeait sur ce point car si elle ne faisait pas droit à l’intégralité des demandes de l’emprunteur, elle devrait se prononcer sur la répartition des dépens.

Là encore, beaucoup de motifs connus sont rappelés. Au premier rang de ceux-ci, on ne pouvait qu’attendre l’autonomie procédurale des États membres. Mais une telle autonomie n’empêche pas la Cour de justice de surveiller si la répartition des dépens ne fait pas peser une charge lourde sur le consommateur qui pourrait être dissuadé d’expurger son contrat des clauses litigieuses pour cette raison pécuniaire. Est donc rappelée la règle générale que le consommateur peut supporter certains frais de justice au titre de la lutte contre les clauses abusives. Mais en raison de l’essence même de la directive (conférer un droit au consommateur de s’adresser au juge), la répartition des dépens ne doit pas être dissuasive.

Rien ne s’oppose selon la jurisprudence dégagée ces dernières années par la Cour de justice, à ce que le consommateur supporte une partie des dépens exposés quand seulement une partie de ses demandes est admise par le juge. Mais la limitation à cette règle est vite apportée par l’arrêt (pt n° 87) en précisant que si sa demande de restitution n’est que partiellement admise en raison d’une impossibilité pour le consommateur de déterminer l’étendue de son droit, lui faire supporter les dépens peut le dissuader d’agir en justice. Nous l’aurons compris, ceci vient de nouveau ajouter un maillon de complexité à la question des dépens dans le cadre d’une action au titre de la directive 93/13/CEE.

Par conséquent, dès lors que le consommateur n’obtient pas gain de cause sur sa demande de restitution car il lui est impossible en pratique ou excessivement difficile de déterminer l’étendue de son droit, le droit interne ne peut pas lui faire supporter la charge des dépens en matière de lutte contre les clauses abusives.

Sur les services annexes

Sur l’inclusion du coût dans le TAEG

La première question posée visait à s’interroger sur l’insertion des coûts liés aux services accessoires du contrat de crédit dans le TAEG, ou en tout cas, dans ce que l’on dénomme le « coût total du crédit pour le consommateur » au sens de la directive 2008/48/CE.

La Cour de justice rappelle qu’en matière de coût total du crédit, le législateur de l’Union a nécessairement retenu une définition large. Il suffit donc de déterminer si ces services accessoires constituent une condition pour l’obtention du crédit ou si ceux-ci sont obligatoires en application des clauses du contrat d’une part et d’autre part si ces services sont bien accessoires et non des coûts dissimulés artificiellement par le biais d’une qualification factice de service optionnel (pt n° 42 de l’arrêt).

Là encore, c’est à la juridiction de renvoi de se prononcer eu égard à son pouvoir d’appréciation puisque la Cour de justice ne peut pas s’immiscer dans le traitement au fond. L’arrêt ne fait que de rappeler la méthodologie attendue : le tribunal saisi devra se référer à lintégralité des dispositions en cause, au contexte juridique et aux circonstances factuelles de la conclusion du contrat pour déterminer la vraie nature de ces services accessoires. Les faits énoncés par l’arrêt de la Cour de justice ne permettent pas d’aller plus loin.

Par conséquent, la réponse donnée est en demi-teinte. Les coûts liés aux services accessoires peuvent être inclus dans le TAEG quand ces services sont obligatoires pour l’obtention du crédit ou quand ceux-ci ne sont qu’un montage. La réponse donnée est tout à fait pertinente car dans un tel contexte le TAEG qui n’inclut pas de telles informations est voilé, voire faux. Il serait alors facile pour des établissements bancaires de multiplier les services accessoires pour limiter le TAEG et rendre ainsi le contrat beaucoup plus alléchant qu’il ne l’est réellement par l’adjonction de plusieurs options annexes.

Sur le contrôle des clauses abusives

La quatrième question portait sur le domaine de la directive 93/13/CEE. La juridiction de renvoi se demandait si ces clauses qui prévoient des services accessoires doivent être considérées comme relevant de l’objet principal du contrat. La réponse donnée peut exclure, en effet, le mécanisme issu de la directive.

La Cour de justice rappelle, comme toujours, le caractère strict de l’exception de l’article 4, § 2, du texte. C’est une jurisprudence constante en la matière, souvent croisée dans ces colonnes. Elle s’explique par la volonté du législateur européen d’éviter que le dispositif de lutte contre les clauses abusives soit vidé de sa substance. Difficile de voir dans les clauses considérées des services « Fast » et « Flexi » des clauses touchant à l’objet principal du contrat puisque celui-ci concerne essentiellement la mise à disposition des fonds et l’obligation de remboursement avec intérêts (pt n° 64).

Reste l’épineuse difficulté du lien entre les première et quatrième questions : si les services considérés doivent être inclus dans le TAEG, la réponse donnée doit-elle être la même ? Il y a lieu de considérer qu’en effet si ces services annexes n’en sont pas vraiment et qu’il ne s’agit que d’un montage visant à diminuer le TAEG affiché, le dispositif de lutte contre les clauses abusives viendrait peut-être s’effacer car un juge national pourrait considérer que les clauses touchent alors les deux obligations principales précédemment mentionnées. L’arrêt du 21 mars 2024 insiste toutefois sur l’absence d’automatisme de ce raisonnement qu’il conviendra de vérifier.

En somme, là-encore, la réponse dépend essentiellement de l’approche au fond même si la formulation utilisée par la Cour de justice plaide assurément pour une inclinaison orientée vers une possibilité de contrôle au sens de la directive. 

Voici donc un arrêt particulièrement intéressant et pluriel sur le droit des clauses abusives et des crédits à la consommation. Il donne peu de réponses nouvelles mais appuient celles qui sont connues en laissant la juridiction de renvoi disposer d’une marge de manœuvre très importante. La pratique bancaire des États membres en sera quoiqu’il en soit avertie, notamment sur l’inclusion parfois nécessaire des services annexes dans le TAEG.

 

CJUE 21 mars 2024, S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD, aff. C-714/22

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