Cumul d’indemnités en cas de nullité du licenciement lié à la maternité

La salariée dont le licenciement est nul au titre du non-respect de la protection liée à la maternité, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

La protection de la salariée en situation de maternité, dont le régime et les sanctions sont prévus par le code du travail (v. not., l’art. L. 1225-71 c. trav.), prévoit notamment que lorsque le licenciement est nul, l’employeur verse le montant du salaire qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité. Le régime a également pu faire l’objet de plusieurs précisions jurisprudentielles. Aussi la Cour de cassation a-t-elle pu, par exemple, reconnaître que la salariée qui refuse une proposition tardive de réintégration « a droit, outre les salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité, aux indemnités de rupture et à une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement » (Soc. 6 oct. 2010, n° 08-43.171, RJS 12/2010, n° 928 ; v. égal., Soc. 15 déc. 2015, n° 14-10.522, Dalloz actualité, 8 janv. 2016, obs. J. Cortot ; D. 2016. 82 ), l’absence de réintégration produisant quant à elle les même effets qu’une proposition de réintégration tardive (Soc. 14 déc. 2016, n° 15-21.898, D. 2017. 13 ). Mais qu’en est-il du salarié qui ne demande pas sa réintégration ? peut-il, sur le fondement de l’article L. 1225-71 du code, se prévaloir du cumul de l’indemnité d’au moins six mois de salaire prévue par l’article L. 1235-3-1 et de celle correspondant aux salaires que la salariée aurait perçus pendant la période couverte par la nullité ? C’est à cette importante question que l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 6 novembre 2024 apporte réponse.

En l’espèce, une salariée engagée en qualité de caissière employée libre-service par la société Lidl avait été licenciée pour faute grave et avait saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et la rupture de son contrat de travail, en particulier en demandant la nullité du licenciement, celui-ci étant intervenu pendant la période de protection inhérente à son état de grossesse déclaré à l’employeur.

Les juges du fond firent droit à sa demande, de sorte que l’employeur forma un pourvoi en cassation, arguant notamment du fait que la salariée ne pouvait prétendre, en sus de l’indemnisation d’au moins six mois de salaires prévus par l’article L. 1235-3-1 du code du travail, à un rappel de salaire correspondant aux salaires dus pendant la période de protection couverte par la nullité alors qu’elle n’avait pas demandé sa réintégration.

La chambre sociale de la Cour de cassation, saisie du pourvoi va toutefois rejeter le pourvoi en validant le raisonnement tenu par la cour d’appel.

Une protection européenne réaffirmée

Par une interprétation combinée des dispositions du code du travail éclairée à la lumière des articles 10 de la directive 92/85/CEE et 18 de la directive 2006/54/CE de l’Union européenne, les Hauts magistrats vont considérer que la salariée dont le licenciement est nul pour violation de la protection liée à la grossesse, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Il faut en effet considérer, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 11 nov. 2010, Danosa, aff. C-232/09, pt 59, RTD eur. 2012. 480, obs. S. Robin-Olivier ; Rev. UE 2014. 243, chron. E. Sabatakakis ), qu’un licenciement pendant le congé de maternité, mais également pendant toute la durée de la grossesse ne peut concerner que les femmes et constitue, dès lors, une discrimination directe fondée sur le sexe. Or la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que, dans l’hypothèse d’un licenciement discriminatoire, le rétablissement de la situation d’égalité ne pourrait être réalisé à défaut d’une réintégration de la personne discriminée, ou, alternativement, d’une réparation pécuniaire du préjudice subi (CJCE 2 août 1993, Marshall, aff. C-271/91, pt 25) et que lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l’objectif de rétablissement de l’égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (CJUE 17 déc. 2015, Arjona Camacho, aff. C-407/14, pts 32 et 33).

Un régime indemnitaire national conforté

La chambre sociale va faire application de la position de la jurisprudence européenne en s’appuyant sur les articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail, le premier prévoyant que la nullité du licenciement est encourue lorsque l’employeur licencie la salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.

Le second de ces textes prévoit quant à lui le versement de l’indemnité de licenciement (légale, conventionnelle ou contractuelle) sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité.

La chambre sociale en déduisit le principe selon lequel le salarié, qui n’est pas tenu de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Cette solution pourra surprendre dans la mesure où l’article L. 1235-3-1, dans son premier alinéa, dispose que l’indemnité d’un montant minimum de six mois de salaire est due lorsque « le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible », et pourrait dès lors laisser entendre que cette indemnité est alternative à l’autre, qui serait seule due en cas de demande de réintégration. La position des Hauts magistrats est toutefois fidèle à la lettre exacte du dernier alinéa de l’article qui précise bien que l’indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 […] qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement ».

La salariée victime d’un manquement au statut protecteur lié à la maternité matérialisé par un licenciement injustifié pendant sa période de protection pourra, sous cet angle, optimiser sa stratégie de demande indemnitaire en ne demandant pas sa réintégration, et ainsi prétendre à la fois aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité et à l’indemnité d’au moins six mois de salaires de l’article L. 1235-3-1, alinéa 1er

 

Soc. 6 nov. 2024, FS-B, n° 23-14.706

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