Danger grave et imminent : reprécisions des modalités de saisine du juge des référés

Le juge judiciaire ne peut être saisi, en application de l’article L. 4132-4 du code du travail, que par l’inspecteur du travail. Si tel est le cas, le juge judiciaire peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent.

Comment résoudre une divergence d’appréciation entre l’employeur et la majorité des membres du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)/Comité social et économique (CSE) sur l’existence d’un danger grave et imminent ? Est-ce à l’autorité administrative ou au juge judiciaire de se prononcer ? Il est constant en jurisprudence que le juge des référés peut être saisi sur le fondement des dispositions de droit commun des articles 834 et 835 du code de procédure civile, au titre de l’obligation de sécurité instaurée par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail (Soc. 7 déc. 2016, n° 15-16.769 P, Dalloz actualité, 9 janv. 2017 ; RDT 2017. 429, obs. A.-L. Mazaud  ; 14 nov. 2019, n° 18-13.887 P, Dalloz actualité, 3 déc. 2019, obs. H. Ciray ; D. 2019. 2253 ; ibid. 2020. 1136, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; RDT 2020. 48, obs. S. Ranc ), et peut ordonner notamment la suspension d’une mesure constituant un risque de danger grave et imminent (appréciant dans ce cas si les conditions exigées par les art. 834 ou 835 c. pr. civ. sont réunies). Mais quelle est la place de l’inspection du travail dans ce cadre ? C’est sur cette importante question que la chambre sociale de la Cour de cassation a été amenée à se prononcer à l’occasion d’un avis rendu le 12 février 2025 en venant interpréter l’article L. 4132-4 du code du travail.

À l’occasion d’un litige opposant des CHSCT des établissements du groupe La Poste et un syndicat, la Cour de cassation a en effet reçu, le 21 novembre 2024, une demande d’avis formée le 12 novembre 2024 par le président du Tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile.

La demande présentée aux Hauts magistrats était ainsi formulée : « L’article L. 4132-4 du code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, donne-t-il pouvoir au juge judiciaire pour statuer en cas de divergence entre l’employeur et la majorité des membres du CHSCT sur la réalité d’un danger grave et imminent ? ».

Les articles L. 4131-2 et L. 4132-2 à L. 4132-4 du code du travail étant demeurés applicables à La Poste, la question est en effet libellée sur leur fondement, mais la continuité des missions entre le feu CHSCT et le CSE invite à considérer que l’interprétation donnée des textes peut être étendue à l’actuel CSE.

La procédure de qualification du danger grave et imminent

Le code prévoit en effet à l’article L. 4131-2 du code du travail, que le représentant du personnel qui constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent en alerte immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L. 4132-2.

Ce dernier article précise alors que ce dernier consigne son avis par écrit et que l’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier.

S’il advient une divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par arrêt du travail, de la machine ou de l’installation, l’article L. 4132-3 du même code prévoit que le CSE est réuni d’urgence, dans un délai n’excédant pas vingt-quatre heures. L’employeur informe immédiatement l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1, et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie, qui peuvent assister à la réunion du CHSCT.

À défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du comité sur les mesures à prendre et leurs conditions d’exécution, l’inspecteur du travail est saisi immédiatement par l’employeur, lequel – indique l’article L. 4132-4 du code du travail – met en œuvre soit l’une des procédures de mise en demeure prévues à l’article L. 4721-1, soit la procédure de référé prévue aux articles L. 4732-1 et L. 4732-2.

L’éminente juridiction va, au terme d’un raisonnement croisant les règles régissant l’office du juge des référés et celles définies par les articles précédemment évoqués, considérer que le juge judiciaire ne peut être saisi, en application de l’article L. 4132-4 du code du travail, que par l’inspecteur du travail, et que si tel est le cas le juge judiciaire peut se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent.

Les modalités de saisine du juge des référés reprécisées

Se faisant, les Hauts magistrats viennent jalonner clairement l’initiative de saisine du juge judiciaire des référés en la matière, qui relève de l’autorité administrative, elle-même informée par l’employeur.

Le raisonnement tenu par la chambre sociale ne surprend pas en ce qu’il procède d’une démarche consistant à analyser en premier lieu l’objet des demandes. Aussi s’appuie-t-elle sur sa jurisprudence antérieure par laquelle elle avait pu juger que le critère principal de détermination du délai de prescription tient à l’objet de la demande dans la mesure où la distinction entre les prescriptions biennale et triennale repose sur le point de savoir si l’objet de la demande porte sur des droits acquis en contrepartie du travail ou s’ils ont une autre nature, la durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée (Soc. 30 juin 2021, n° 18-23.932 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1292 ; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue ; JA 2022, n° 665, p. 38, étude P. Fadeuilhe ; Dr. soc. 2021. 853, obs. C. Radé ; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre ; 30 juin 2021, n° 20-12.960 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1292 ; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue ; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre  ; 30 juin 2021, n° 19-10.161 P, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1293 ; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue ; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; RDT 2021. 577, obs. D. Baugard ; ibid. 721, obs. G. Pignarre ; 23 juin 2021, n° 18-24.810 P, D. 2021. 1291 ; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dr. soc. 2021. 696, étude C. Radé ; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre ; 11 déc. 2024, n° 23-10.439 P).

Or, en l’espèce, le juge des référés du tribunal judiciaire avait été saisi par les CHSCT des établissements de La Poste et par le syndicat Sud sur le fondement des articles L. 4121-1 et suivants, L. 4131-1 et suivants, L. 4132-4 du code du travail et des articles 834 et 835 du code de procédure civile, afin d’une part, de commettre un bureau d’étude spécialisé en structure de bâtiments, avec pour mission d’apprécier la capacité portante des dalles des planchers de locaux au regard d’un projet de délocalisation de sites, et d’autre part, d’ordonner à La Poste de suspendre la délocalisation des agents relevant de ces sites dans l’attente des conclusions du bureau d’étude commis et du respect des éventuelles mesures qui découleraient de ses conclusions.

Sur ce fondement, la chambre sociale va apporter une réponse sans ambages en rappelant que les contestations par l’employeur de la nécessité de l’expertise, du choix de l’expert, du coût prévisionnel, de l’étendue ou la durée de l’expertise sont de la seule compétence du président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond.

De sorte que le comité n’était pas recevable à solliciter du juge judiciaire statuant en référé une mesure d’expertise sur le fondement de l’article L. 4132-4 du code du travail.

Concernant la demande en suspension de la délocalisation, la chambre sociale va rappeler que les articles L. 4732-1 et L. 4732-2 du code du travail, auxquels renvoie l’article L. 4132-4, prévoient bien des mesures qui peuvent être décidées par le juge judiciaire statuant en référé et notamment l’arrêt temporaire d’une activité.

Et, c’est précisément l’article L. 4732-1 qui prévoit que l’inspecteur du travail saisit le juge judiciaire statuant en référé pour ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l’immobilisation, la saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un travailleur résultant de l’inobservation notamment des dispositions du code, dont celles consacrées aux droits d’alerte et de retrait, le juge pouvant également ordonner la fermeture temporaire d’un atelier ou chantier.

La lecture combinée des articles L. 4132-4 et L. 4732-1 du code du travail conduisait alors sans effort à considérer que si l’objet de la demande de suspension du projet de réorganisation entre dans le champ des mesures susceptibles d’être ordonnées par le président du tribunal judiciaire statuant en référé, celui-ci ne peut être saisi, en application de l’article L. 4132-4, que par l’inspecteur du travail. Si tel est le cas, il était naturellement conclu que le juge judiciaire pouvait se prononcer sur l’existence d’un danger grave et imminent.

 

Soc., avis, 12 févr. 2025, B, n° 24-70.010

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