De la caractérisation d’un ensemble contractuel interdépendant

Dans un arrêt rendu le 5 février 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur l’exigence de caractérisation des ensembles contractuels interdépendants quand un plaideur sollicite la caducité d’un contrat inclus au sein d’un tel ensemble.

Le 5 février 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu trois décisions intéressant l’épineuse question de la caducité au sein d’ensembles contractuels interdépendants. Parmi elles, deux arrêts concernent des locations financières devenues caduques en raison d’une résolution préalable par voie de notification d’un contrat de maintenance de matériel de bureautique ou de fourniture d’un logiciel (v. dans un commentaire distinct, Com. 5 févr. 2025 n° 23-23.358 et n° 23-14.318, Dalloz actualité, 9 févr. 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 246 ). Plus spécifiquement, la troisième décision prend comme point de départ un crédit-bail dont l’interdépendance avec un contrat de service était discutée par les plaideurs. C’est cette affaire que nous étudions aujourd’hui.

Commençons par rappeler les faits ayant suscité le pourvoi. C’est le droit ancien qui est en cause car les contrats litigieux sont antérieurs au 1er octobre 2016. Une société E. décide de conclure le 26 juin 2014 un crédit-bail avec une société L. portant sur du matériel d’éclairage destiné à permettre des économies d’énergie. Il est prévu contractuellement que ledit matériel serait fourni et installé par une troisième société H. La société E. conclut également avec cette dernière personne morale un contrat de maintenance et de service pour une durée de dix ans.

La société de maintenance connaît toutefois des difficultés pécuniaires et est placée en redressement puis en liquidation judiciaires dans le courant de l’année 2017. Le juge-commissaire constate la résiliation du contrat conclu avec la société E. au 21 novembre 2017 par ordonnance du 21 mars 2019. Sans surprise, la société T. (qui vient aux droits de la E.) estime que le crédit-bail ainsi que le contrat de maintenance et de service sont interdépendants. Par conséquent, selon elle, la caducité devait être prononcée en pareille situation. En cause d’appel, les juges du fond refusent ce raisonnement en estimant, d’une part, que le contrat de maintenance n’est pas démontré par celui qui oppose la caducité. D’autre part, il est souligné par la Cour d’appel de Lyon que l’interdépendance ne concernait que le bon de commande du matériel et le crédit-bail.

Le crédit-preneur se pourvoit en cassation à juste titre. Une double cassation est prononcée par la Haute juridiction.

De l’existence d’une partie de l’ensemble contractuel

Les juges du fond avaient, en cause d’appel, estimé que la société T. n’avait pas fait la démonstration de l’existence du contrat de maintenance conclu entre la société E. et la société H. Cette question est, effectivement, cruciale car s’il n’y a pas de contrat de maintenance, toute la démonstration de la caducité s’écroule d’un coup faute d’ensemble contractuel interdépendant intéressant la cause discutée par les parties. Si le raisonnement peut se comprendre sous un angle probatoire, il vient enfreindre les règles issues du code de procédure civile en l’espèce.

La société demanderesse au pourvoi rappelait, en effet, qu’aucune des parties n’avait remis en cause ce point précis dans les différentes conclusions présentées devant la cour d’appel. C’est effectivement au visa de l’article 4 du code de procédure civile que l’arrêt frappé du pourvoi est cassé sur ce point dans la mesure où aucun plaideur ne contestait l’existence d’un contrat de maintenance. Dès lors, cette convention ne pouvait pas être remise en cause par le juge sous peine de modifier les termes du litige. Le rappel, même s’il n’est pas porté au sommaire apparaissant sur le site Judilibre, est important car il arrive assez fréquemment que les juridictions souhaitent aller plus loin que les demandes formulées par les parties non pour dénaturer le litige mais pour tenter de le traiter le plus justement en droit possible. Peut-être que le mieux reste toujours l’ennemi du bien !

En creux, la précision est assez utile pour les conseils spécialisés en la matière car la caducité peut effectivement être particulièrement délicate à prononcer si la preuve du contrat préalablement résolu n’est pas faite. Les deux autres décisions rendues le 5 février 2025 explorent, par ailleurs, une thématique connexe fondamentale concernant l’inutilité de la mise en cause du cocontractant concerné quand il s’agit d’une résolution unilatérale ou désormais dénommée par voie de notification depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (Com. 5 févr. 2025, n° 23-23.358 et n° 23-14.318, préc.).

Restait ensuite à analyser le caractère interdépendant du contrat de maintenance avec le crédit-bail.

De l’interdépendance de l’ensemble contractuel

De manière plus classique, on retrouve la caractérisation de l’ensemble contractuel interdépendant afin de jauger la pertinence de la caducité invoquée par le crédit-preneur. La motivation des juges du fond était, sur ce point, légèrement déroutante puisqu’ils avaient décidé « qu’à supposer même que la société H. se soit engagée à assurer la maintenance du matériel loué, la société T. n’apporte aucun élément de nature à caractériser le défaut de fonctionnement des équipements loués et ne prétend pas avoir été privée de leur usage ni avoir dû les faire remplacer par une entreprise tierce, et en déduit que l’interdépendance contractuelle ne concerne que le bon de commande du matériel et le contrat de crédit-bail » (pt n° 10, nous soulignons). Ce raisonnement peine, en effet, à convaincre tant la jurisprudence sur les ensembles contractuels qui présentent une interdépendance est désormais bien établie depuis au moins une dizaine d’années.

La cassation qui intervient dans l’arrêt étudié n’est toutefois prononcée que pour défaut de base légale. Il faudra vérifier devant la cour d’appel de renvoi que le crédit-bail des luminaires avec économiseur d’énergie a bien été souscrit en considération du contrat de maintenance desdits luminaires. Si c’est le cas, la résiliation du second – actée par l’ordonnance du 21 mars 2019 du juge-commissaire dans le cadre de la procédure collective de la société H. – devrait entraîner en tout état de cause la caducité du crédit-bail par interdépendance (combinaison des pts nos 9 et 11). La solution serait probablement identique à l’aune du nouvel article 1186, alinéa 2, du code civil. La marge de manœuvre de la cour d’appel de renvoi est, en apparence au moins, assez libre. On perçoit toutefois assez mal comment, en se fondant sur les faits narrés, l’ensemble contractuel ne pourrait pas être qualifié d’interdépendant sauf élément du dossier spécifique non rapporté dans l’arrêt étudié.

Cette décision ne présente donc pas de nouveauté spécifique par rapport à la ligne déjà connue de la Cour de cassation. Sa publication au Bulletin démontre, en revanche, l’importance majeure d’en rappeler de manière régulière la portée car des confusions sont rapidement possibles en raison de la technicité à l’œuvre. La cour d’appel s’était placée sur un terrain qui n’était pas au cœur de la prétention soulevée par la société crédit-preneuse. Elle aurait dû analyser si l’exécution du contrat de maintenance était ou non une condition déterminante de son consentement au crédit-bail, et ce, en raison de l’interdépendance pouvant exister entre les deux conventions.

 

Com. 5 févr. 2025, F-B, n° 23-16.749

© Lefebvre Dalloz