De la charge de la preuve en cas de contestation de la résolution unilatérale

Dans un arrêt rendu le 22 novembre 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle, pour un contrat régi par le droit antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016, que c’est à celui qui a provoqué la résolution unilatérale de rapporter la preuve du comportement grave qui l’a conduit à choisir ce mode de terminaison du contrat.

La thématique de la résolution du contrat a donné lieu à plusieurs arrêts importants et publiés au Bulletin ces derniers mois. À ce titre, on citera volontiers une décision ayant précisé que la résolution judiciaire ne suppose pas une inexécution fautive (Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812 F-B, Dalloz actualité, 24 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 587 , note M. Garnier-Zaffagnini  ; RTD civ. 2023. 99, obs. H. Barbier ). Un second arrêt rendu il y a quelques semaines a pu préciser, pour le nouvel article 1226 du code civil, que la résolution unilatérale peut être provoquée sans mise en demeure préalable s’il s’avère que celle-ci serait vaine eu égard aux circonstances de l’espèce (Com. 18 oct. 2023, n° 20-21.579 FP-B+R, Dalloz actualité, 24 oct. 2023, obs. C. Hélaine).

L’arrêt rendu le 22 novembre 2023 a également pour objet la résolution unilatérale du contrat mais, cette fois-ci, pour des conventions conclues antérieurement à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Les rappels qu’il opère intéresseront certainement les praticiens en quête de sécurité. Les faits ayant donné lieu au pourvoi sont très simples. Une société spécialisée dans la vente de vins confie à une autre société la recherche d’investisseurs. Voici que le contrat est rompu de manière anticipée et unilatérale par l’une des deux sociétés. Son partenaire économique l’assigne alors en paiement de commissions et en réparation des préjudices subis. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que la résolution unilatérale ainsi opérée est fautive tout en rejetant la demande de résolution judiciaire du contrat. La société ayant initié ladite résolution unilatérale se pourvoit en cassation en arguant que la cour d’appel aurait dû considérer que c’est au débiteur de rapporter la preuve qu’il a rempli ses obligations conformément à l’ancien article 1315 du code civil.

Son pourvoi sera finalement rejeté dans l’arrêt du 22 novembre 2023. Nous allons examiner pourquoi une telle décision s’imposait eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Une solution conforme à la jurisprudence antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

Au paragraphe n° 5 de son arrêt, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle avec force que « la gravité du comportement d’une partie à un contrat non soumis aux dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016 peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. En cas de contestation, c’est à la partie qui a mis fin au contrat de rapporter la preuve d’un tel comportement » (nous soulignons). Un tel énoncé est bien connu des spécialistes du droit des obligations puisqu’il résulte d’une certaine évolution jurisprudentielle ayant abouti à l’arrêt Tocqueville (Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 96-21.485 P, D. 1999. 197 , note C. Jamin  ; ibid. 115, obs. P. Delebecque  ; RDSS 2000. 378, obs. G. Mémeteau et M. Harichaux  ; RTD civ. 1999. 394, obs. J. Mestre  ; ibid. 506, obs. J. Raynard ). Par cette décision, la possibilité d’une résolution de manière unilatérale aux risques et périls de la partie qui décide de l’initier ne faisait plus guère de doute.

Le moyen ne postulait pas le contraire sur le principe. Il se plaçait seulement sur le terrain de la charge de la preuve pour considérer que le débiteur devait toutefois prouver qu’il avait rempli ses obligations. Il se fondait, pour ce faire, sur le principe général de l’article 1315 ancien du code civil, à savoir que le débiteur qui se prétend libéré doit rapporter la preuve de sa libération. Mais un tel raisonnement méconnaît un point important de cette forme de résolution unilatérale. Celle-ci doit se faire aux risques et périls du créancier. Par conséquent, la contestation de cette résolution doit faire nécessairement peser sur le créancier la charge de la preuve du comportement grave ayant abouti à la décision de résoudre unilatéralement le contrat.

Il s’agit, en effet, de la seule solution conforme à l’idée que sous-tend cette forme de résolution. Celle-ci contourne les formes classiques de terminaison du contrat et, pour ce faire, le créancier doit en assumer toute la responsabilité. Si un contentieux se noue, c’est donc à lui de démontrer qu’il a actionné une telle résolution pour de bonnes raisons. Il doit, en somme, rapporter la preuve du comportement grave du débiteur l’ayant conduit à ce choix.

On l’aura compris : le créancier qui pense ne pas pouvoir rapporter la preuve du comportement grave de son débiteur, ne doit absolument pas jouer avec la résolution unilatérale ! Nihil novi sub sole.

Comparaison avec le droit nouveau

L’article 1226 du code civil inscrit dans le marbre de la loi ce que la jurisprudence a pu contribuer à forger avant l’ordonnance du 10 février 2016 (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 604, n° 653). Il faut toutefois bien remarquer que le dernier alinéa de ce texte ne laisse pas de place au doute dans la mesure où il précise directement que « le débiteur peut à tout moment saisir le juge pour contester la résolution. Le créancier doit alors prouver la gravité de l’inexécution » (nous soulignons). Cette incise dans le texte permet d’éviter le moyen porté dans le pourvoi n° 22-16.514 pour les contrats conclus après le 1er octobre 2016. Le texte règle très clairement la charge de la preuve et évite ainsi toute hésitation dans le droit nouveau.

Le texte codifiant la résolution unilatérale apparaît donc bien construit, sous cet angle-là du moins. En ce sens, l’arrêt rendu le 22 novembre 2023 est parfaitement transposable au droit positif puisque pour les contrats postérieurs au 1er octobre 2016, c’est également le créancier à l’origine de la résolution unilatérale qui doit pouvoir justifier de la raison qui l’a poussé à agir de la sorte. Cet alignement de la jurisprudence ancienne et du droit nouveau est logique dans le cadre d’une reprise de la position prétorienne du droit antérieur. Mais il faut tout de même louer une telle position car la chambre commerciale rappelle ainsi dans un arrêt publié au Bulletin que la résolution unilatérale du contrat demeure toujours envisageable pour « un contrat non soumis aux dispositions issues de l’ordonnance du 10 février 2016 » (pt 5), formulation assez rare dans une motivation en droit des contrats, du moins sous cette forme précise.

Là encore, l’arrêt commenté aurait pu faire l’objet d’un rejet non spécialement motivé. Il ne faut donc pas regretter son ampleur très réduite (un seul paragraphe de motivation). La seule existence de ce paragraphe suffit à attester son importance car par cette décision destinée au Bulletin, la chambre commerciale réaffirme avec une certaine force la possibilité de résoudre unilatéralement le contrat pour les conventions conclues avant le 1er octobre 2016 (sur cette thématique du choix de ne pas opérer un rejet non spécialement motivé et promettre un arrêt à une publication, v. nos obs. sous Com. 8 nov. 2023, n° 22-13.750 F-B, Dalloz actualité, 16 nov. 2023). Et ce faisant, la charge de la preuve qui en résulte en cas de contestation.

Nous ne doutions pas de la pérennité de ces solutions pour le droit ancien. Mais un rappel est toujours utile pour la vie des affaires !

 

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