De la date raturée d’un billet à ordre et des conséquences sur l’aval le garantissant
Dans un arrêt rendu le 23 mai 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise les conséquences d’une première date raturée sur un billet à ordre, la seconde étant ajoutée par une personne différente du souscripteur. Le titre cambiaire est alors irrégulier, tout comme l’aval qui le garantit.
Le contentieux autour des effets de commerce continue d’occuper la chambre commerciale de la Cour de cassation. Nous avons croisé dans ces colonnes, durant l’année 2023, la figure de la lettre de change relevé magnétique (Com. 5 avr. 2023, n° 21-19.160 F-B, Dalloz actualité, 17 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 684
; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
) mais également des questions relevant de l’interruption de la prescription dans le contexte du billet à ordre (Com. 25 janv. 2023, n° 21-16.275 F-B, Dalloz actualité, 3 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 172
; RTD civ. 2023. 144, obs. C. Gijsbers
). Le formalisme gouvernant ces deux effets de commerce est d’ailleurs « très proche » selon les spécialistes du droit bancaire (v. par ex., N. Éréséo, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, J.-P. Kovar et M. Storck, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 1144, n° 2372). L’arrêt rendu le 23 mai 2024 que nous étudions aujourd’hui permet d’explorer la difficulté autour de ratures sur la date d’un billet à ordre et des conséquences en résultant pour l’aval qui a été conclu afin de le garantir. La décision permet de mettre l’accent sur le soin à apporter sur la rédaction des effets de commerce pour éviter leur disqualification, et in fine, toute conséquence néfaste sur les sûretés personnelles qui sont, bien régulièrement, le nerf de la guerre en cas de procédure collective du débiteur.
Les faits débutent assez classiquement autour d’une société qui remet à une banque un billet à ordre sur lequel son gérant a porté son aval. Toutefois, il faut noter que la date initiale du billet à ordre a été raturée pour être remplacée par une seconde date. Le 9 décembre 2016, la banque assigne l’avaliste en paiement du montant du billet à ordre dans la mesure où la société a été placée en liquidation judiciaire. Un contentieux se noue autour de la date du billet à ordre, l’avaliste estimant que le titre est irrégulier en raison des ratures précédemment citées. En cause d’appel, les juges du fond condamnent ce dernier à régler la banque en estimant que la seconde date portée a annulé la première sans que cette rature ne rende incertaine la date du billet à ordre. Le gérant de la société se pourvoit en cassation pour critiquer ce raisonnement sur le fondement des dispositions applicables du code de commerce.
La chambre commerciale prononce une cassation pour violation de la loi dans son arrêt du 23 mai 2024. Nous allons examiner en quoi cette solution reste dans la droite lignée de la jurisprudence de la Cour de cassation de ces dernières années.
Ratures sur la date d’un billet à ordre
La Cour de cassation combine les articles L. 512-1, 6°, et L. 512-2 du code de commerce pour préciser aussi sobrement qu’efficacement que « le titre dans lequel fait défaut l’indication de la date où il est souscrit ne vaut pas comme billet à ordre. Toute modification de la date initialement apposée, non approuvée par le souscripteur, équivaut à un défaut de date » (pt n° 5). La date de souscription est, en effet, selon l’article L. 512-1, 6°, l’une des mentions contenues dans ledit billet à ordre parmi les sept attendues par le code de commerce. D’apparence, au moins, l’affirmation paraît donc assez banale. C’est ailleurs que se cache l’originalité de l’espèce.
La véritable difficulté de l’arrêt portait donc, non sur cette affirmation connue, mais sur la méthodologie déployée pour détecter s’il y avait bien un défaut de date. En tout état de cause, une première date était portée sur le billet à ordre mais celle-ci avait été raturée pour être remplacée par une seconde. On apprend que le nouveau jour indiqué provient, par ailleurs, « d’une écriture différente » (pt n° 6 de l’arrêt). L’arrêt d’appel a relevé la difficulté sans en tirer de conséquences. Si le billet à ordre a vu sa date modifiée par un tiers, le souscripteur de celui-ci devait toutefois donner son accord pour que cette seconde date puisse produire effet. Autant dire que, en l’état de ce contentieux, l’avaliste avait toute latitude pour provoquer une cassation pour violation de la loi sans trop de difficulté. Il soutenait, en effet, ne pas avoir accepté un tel changement de date.
On pourrait objecter que l’assimilation de la date raturée à un défaut pur et simple de date (pt n° 7 de l’arrêt) peut paraître bien sévère, surtout quand la première date était celle d’un jour « non ouvré ». Mais l’argument ne semble pas déterminant dans la mesure où même si cette dernière n’était pas cohérente, le souscripteur devait en approuver le changement en tout état de cause. Il y aurait, sinon, des possibilités de manipulation qui viendraient donner droit de cité à des comportements que le droit cambiaire réprouve. La solution reste ainsi sévère mais elle jugule la possibilité de détournements.
Notons une coïncidence intéressante. Le 23 mai 2024, la première chambre civile a également publié un arrêt relatif à la reconstitution de la date du testament, motif classique du droit patrimonial de la famille à des fins de préservation de la volonté du défunt (Civ. 1re, 23 mai 2024, n° 22-17.127). En tout état de cause, profitons de ce hasard pour mettre en perspective que dans cet arrêt de droit des successions, le chiffre « 9 » n’avait, lui aussi, pas été écrit par le rédacteur de l’acte pour former l’année de rédaction du testament soit « 2009 ». Or, la première chambre civile opte pour la même conséquence que l’arrêt que nous étudions aujourd’hui en rappelant que le défaut d’écriture d’un seul chiffre de la date équivaut également à une absence pure et simple de datation. Les ressemblances s’arrêtent évidemment ici. La différence fondamentale est qu’en droit patrimonial de la famille, la date du testament peut être reconstituée au moins depuis la jurisprudence dite « Sauviat » grâce à des éléments intrinsèques et des éléments extrinsèques. D’où l’on voit l’importance fondamentale des développements sur la date, que ce soit en droit civil comme en droit commercial.
Revenons-en à notre arrêt de droit cambiaire. La conséquence de la discussion autour de la rature de la date est particulièrement grave pour la banque puisqu’elle perd l’efficacité de son instrument. Mais ce n’est pas tout.
L’irrégularité du titre… et de l’aval !
L’arrêt du 23 mai 2024 n’étonne pas, là-encore, puisque le défaut de date doit logiquement aboutir à rendre le titre irrégulier. Il y a là un cas de « disqualification du titre » (N. Éréséo, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, J.-P. Kovar et M. Storck, op. cit., p. 1144, n° 2374), sans réelle possibilité de sauvetage en l’espèce. Cette disqualification implique une funeste difficulté pour la banque qui perd ainsi le titre cambiaire dont elle disposait. Mais, en tout état de cause, la société qui avait rédigé le billet était en liquidation judiciaire, ce qui rendait cette désactivation peut-être peu importante pour le créancier.
C’est au niveau de l’aval que la véritable conséquence de l’arrêt apparaît pour l’établissement bancaire. Puisque le titre cambiaire est irrégulier en raison du défaut de date, l’aval porté sur ledit titre l’est tout autant (pt n° 7 de l’arrêt étudié). C’est une conséquence tout à fait logique du caractère de l’aval, lequel n’est qu’une variété cambiaire du cautionnement et donc une sûreté personnelle accessoire (sur ce caractère de variété du cautionnement, P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 12, n° 9). On a pu étudier toutefois l’année dernière, dans ces colonnes, qu’un aval sur lettre de change peut être un commencement de preuve d’un cautionnement solidaire si les conditions de l’opération en droit des sûretés sont réunies (Com. 5 avr. 2023, n° 21-19.160, préc.).
On perçoit, de l’arrêt étudié, toute l’importance de la date sur cet effet de commerce. Cette importance se projette évidemment en premier lieu sur le titre mais, en second lieu, sur la sûreté qui peut le garantir. Dans cette optique, la pratique doit être particulièrement vigilante aux ratures qui peuvent paraître de l’ordre du détail en amont du contentieux. Ici, le piège se referme toutefois sur la banque puisque son billet à ordre est disqualifié tandis que sa sûreté personnelle devient également irrégulière. Dès lors que la date est remplacée par une autre, encore faut-il se ménager la preuve que le souscripteur du billet accepte ledit changement, quitte à devoir remplacer le titre par un nouveau expurgé de la rature. La conséquence sur les garanties comme l’aval est beaucoup trop importante pour laisser échapper ce détail.
Voici donc un arrêt qui intéressera nécessairement la pratique bancaire. La vigilance, voire la plus grande prudence, implique d’être précautionneux sur la rédaction de l’effet de commerce. L’irrégularité du titre rebondit, sinon, sur l’aval donné.
Com. 23 mai 2024, FS-B, n° 22-12.736
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