De la limitation de l’effet translatif de la vente d’un fonds de commerce
Dans un arrêt rendu le 25 octobre 2023, la chambre commerciale précise qu’il résulte de l’article 1690 du code civil et L. 141-5 du code de commerce qu’en l’absence de clause expresse ou d’exception légale, la cession d’un fonds de commerce n’emporte pas cession des obligations souscrites par le vendeur ou de celles détenues antérieurement à la cession.
 
                            L’effet translatif est une question essentielle dans le régime général des obligations.
Toutefois, c’est parfois dans le droit spécial que cette thématique trouve ses applications les plus importantes pour la vie des affaires. L’une d’entre-elles réside au croisement du droit des obligations et du droit commercial, à travers notamment la cession du fonds de commerce. L’arrêt rendu le 25 octobre 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation permet de souligner une solution importante sur l’intensité de cet effet translatif. La décision invite à rappeler, également, en creux la nature du fonds de commerce qui n’est pas un patrimoine autonome (Rép. com., v° Fonds de commerce, par J. Derruppé et T. de Ravel d’Esclapon, n° 169).
Les faits ayant donné lieu au pourvoi commencent par le licenciement pour faute lourde d’un salarié d’un très grand groupe français spécialisé dans la vente d’habits et de chaussures. Le salarié conteste son licenciement notifié le 11 mai 2012. Il saisit donc un conseil de prud’hommes et interjette appel puisque le jugement ne lui octroie pas gain de cause. La société qui employait le salarié a transmis son fonds de commerce à une seconde société qui est donc intervenue à l’instance en question. La cour d’appel saisie du dossier déclare recevable l’intervention volontaire de la société ayant repris le fonds de commerce aux motifs que l’acte de cession prévoyait que les opérations actives et passives seraient réputées faites pour son compte au 1er janvier 2015. Le salarié se pourvoit en cassation en estimant que la société cessionnaire n’avait pas sa place dans ce contentieux puisque les créances indemnitaires de la société cédante n’avaient pas été transmises dans l’acte constatant la cession du fonds de commerce litigieux.
La cassation intervient au double visa de l’article 1690 du code civil et L. 141-5 du code de commerce, solution dans la droite lignée de la jurisprudence constante de la Cour de cassation.
Un rappel d’une jurisprudence désormais bien établie
La chambre commerciale rappelle, au point n° 7 de son arrêt du 25 octobre 2023, qu’« en l’absence de clause expresse et sauf exceptions prévues par la loi, la cession d’un fonds de commerce n’emporte pas de plein droit celle des obligations dont le vendeur pouvait être tenu en vertu d’engagements initialement souscrits par lui ni celle des créances qu’il détenait antérieurement à la cession » (nous soulignons).
C’est un attendu désormais bien connu en matière de vente de fonds de commerce que la Cour de cassation utilise sous cette formulation exacte ou sous des avatars plus ou moins proches (v. par ex., Com. 2 févr. 2022, n° 20-15.290 et n° 20-14.635 ; 13 janv. 2009, n° 07-21.380 ; pour une application en matière d’action civile dans le cadre d’un abus de confiance, Crim. 7 mars 2023, n° 21-83.785). Sur ce point, nihil novi sube sole.
Le rappel opéré par l’arrêt du 25 octobre 2023 ne saurait donc étonner en ce qu’il est une application connue de la jurisprudence. La méthodologie reste donc simple pour la société cessionnaire. Soit celle-ci dispose dans le contrat constatant la cession d’une clause expresse lui permettant de récupérer les obligations antérieurement souscrites par la société qui détenait le fonds de commerce, soit dans le silence du contrat, lesdites obligations ne peuvent pas être transmises par le seul effet des articles 1690 du code civil et L. 141-5 du code de commerce. Ceci impose, dès lors, une certaine vigilance lors de la rédaction des contrats concernés pour éviter toute difficulté lors d’un éventuel contentieux.
La solution s’explique, en réalité, par une certaine conception de la nature du fonds de commerce qui n’est pas un patrimoine propre. Les créances détenues ne sont, en effet, pas une partie du fonds de commerce en lui-même, ce qui explique leur absence de cession automatique. Leur titulaire reste lié à l’obligation souscrite sauf en cas de volonté précise des parties de procéder autrement.
La cassation était donc fort logique dans l’affaire étudiée.
Une cassation inévitable
L’’arrêt frappé du pourvoi avait retenu que « même si les créances prétendument détenues par la société en exécution du contrat de travail et les actions qui s’y rattachent en défense et en demande ne sont pas expressément mentionnées, il résulte de ces stipulations que ces créances ont été transmises à l’occasion de cette opération d’apport du fonds » (nous soulignons). C’est précisément là où le bât blesse. En précisant de manière expresse qu’aucune clause ne venait viser les obligations considérées, on ne pouvait pas constater leur transmission par la seule opération de cession du fonds de commerce. La chambre commerciale refuse, ce faisant, d’englober les clauses concernées dans une stipulation plus générale.
La pratique l’aura compris, la seule présence d’une telle clause générale selon laquelle la société cessionnaire serait propriétaire du fonds concerné ainsi que de toutes les opérations autant actives que passives n’est pas suffisante pour prévoir le contraire. Il reste donc nécessaire de faire apparaître une stipulation très clairement pour empêcher une telle solution soit en listant les obligations antérieurement souscrites les unes après les autres soit en trouvant une formule suffisamment englobante pour éviter une telle solution. La première branche de l’option paraît nettement plus sûre en lisant l’arrêt du 25 octobre 2023 et son degré d’exigence assez haut sur la stipulation expression de la cession de l’obligation litigieuse. La responsabilité du rédacteur d’acte est alors probablement en jeu si celui-ci échoue dans le respect d’une jurisprudence désormais bien établie quand les parties, qui lui confient le projet d’acte à rédiger, souhaitent expressément une telle transmission.
Voici donc un arrêt rappelant une nouvelle fois toute la subtilité de l’effet translatif de la cession d’un fonds de commerce. Prudence est mère de sûreté dans la rédaction de l’acte de cession.
© Lefebvre Dalloz