De la prescription de l’action en délivrance de legs : soumission à l’article 2224 du code civil
Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Il résulte de l’article 1004 du même code qu’à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires. L’action en délivrance du legs, qui présente le caractère d’une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 de ce code.
Dans ces colonnes, à propos d’un arrêt de la première chambre civile du 21 juin 2023 (la possession n’exclut pas l’exigence de demander la délivrance du legs, obs. ss. Civ. 1re, 21 juin 2023, n° 21-20.396, Dalloz actualité, 30 juin 2023, obs. M. Jaoul ; D. 2023. 2060, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier
; AJ fam. 2023. 464, obs. N. Levillain
; RTD civ. 2023. 950, obs. M. Grimaldi
), nous appelions de nos vœux que la Cour de cassation tranche clairement sur la prescription de la demande de délivrance du legs. Voilà qui est fait par cette décision de la première chambre civile qui a les honneurs de la publication et pour laquelle sont communiqués le rapport de la conseillère référendaire et l’avis de l’avocat général.
Dans cette affaire, la veuve et unique héritière d’un compositeur est décédée le 8 décembre 2008, en laissant pour lui succéder son fils (M. [E]), en l’état d’un testament authentique du 13 juillet 2007 instituant M. [X], légataire universel. Le 27 août 2009, l’héritier réservataire et le légataire universel saisirent conjointement le président du tribunal de grande instance afin de voir désigner un administrateur de la succession (Mme [Z] fut alors désignée). Faisant feu de tout bois, l’héritier réservataire a agi contre le légataire universel tant au pénal qu’au civil en invitant les juges à se pencher sur l’interprétation du testament daté du 13 juillet 2007. Le 12 mai 2014, le légataire universel demande à l’héritier réservataire la délivrance du legs, ce qu’il refuse expressément le 11 juin 2014. Le légataire, fort de ce refus, assigne alors l’héritier réservataire aux fins de voir ordonner l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage, désigner un notaire pour y procéder et se prononcer sur l’attribution des droits d’auteur perçus par l’héritier réservataire depuis l’ouverture de la succession. Si en première instance, les demandes du légataire universel ont été admises, il n’en fut rien en appel. La cour d’appel (Versailles, 14 juin 2022, n° 21/02443) infirmant le jugement décide que la demande de délivrance formée par le légataire universel est prescrite privant le legs de toute efficacité. Elle énonce, par ailleurs, que les frais de déménagement, de garde-meubles et d’administration pèseront sur le légataire universel.
Saisie du pourvoi, la première chambre civile était invitée à se prononcer sur deux moyens. Dans le premier moyen, le requérant invite la Cour à se prononcer sur la prescription de l’action en délivrance du legs. Le légataire universel contestait la décision de la cour d’appel considérant que la demande de délivrance d’un legs devait être soumise à la prescription décennale de l’article 780 du code civil et non à celle, quinquennale de l’article 2224 (1er moyen, 1re branche). Il invoque par ailleurs – à titre subsidiaire (1er moyen, 2e et 3e branches) – que la demande de délivrance du legs n’étant soumise à aucune forme particulière et pouvant être faite de manière implicite, on pouvait considérer que la résistance judiciaire qu’il avait opposé à l’action de l’héritier réservataire contre ses droits caractérisait bien une demande de délivrance.
Dans le second moyen, le légataire universel fait grief à l’arrêt de lui attribuer la charge des frais de garde-meubles, de déménagement et d’administration judiciaire alors que l’héritier réservataire n’en avait pas fait la demande. Il souligne que ce faisant, la cour d’appel ne s’est pas prononcée seulement sur ce qui avait été demandé violant ainsi les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
La Cour de cassation censure l’arrêt sur le fondement du second moyen mais ce n’est pas ce point qui fera couler de l’encre… c’est bien le premier moyen, pourtant rejeté, qui aura toute l’attention des commentateurs.
Avant de nous concentrer sur ce point, précisons que la censure sur le second moyen est parfaitement cohérente d’un point de vue procédural. Ce sont les parties qui doivent définir le cadre du litige et fixer, par leurs prétentions respectives, les points soumis à l’appréciation des juges. Ici, si le légataire universel avait sollicité la condamnation de l’héritier réservataire au paiement de ces frais, l’inverse n’était pas vrai. En effet, en cas de prononcé de la prescription, l’héritier réservataire ne présentait, à titre principal, aucune demande relativement à ces frais et demandait, à titre subsidiaire, qu’ils soient à la charge de la succession. La première chambre civile considère donc que la cour d’appel a modifié l’objet du litige et censure logiquement la décision.
Ceci étant précisé, il convient de s’intéresser au premier moyen et à la décision de la Haute juridiction en la matière. La première chambre civile était donc invitée à répondre à la question suivante : quelle est la prescription applicable à l’action en délivrance de legs ?
La juridiction y répond cette fois-ci de manière très claire :
« 6. Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
7. Il résulte de l’article 1004 du code civil qu’à défaut de délivrance volontaire, le légataire universel est tenu de demander en justice la délivrance des biens compris dans le testament aux héritiers réservataires.
8. L’action en délivrance du legs, qui présente le caractère d’une action personnelle, est soumise à la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du même code ».
Les jeux sont faits ! L’action en délivrance du legs est une action personnelle laquelle est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Ce faisant, la cour d’appel a exactement déduit que la demande de délivrance du legs était prescrite et que son legs était privé de toute efficacité (§ 10). En effet, les juges du fond ont justement relevé que, d’une part, « le point de départ de la prescription de l’action en délivrance du legs universel […] devait être fixé au 8 décembre 2008, date du décès de [l’autrice du legs] » et que d’autre part, « aucune demande formée par [le légataire universel] lors du litige tendant à l’interprétation du testament, tranché par l’arrêt du 30 janvier 2014, ne pouvait s’analyser en une demande reconventionnelle aux fins de délivrance de son legs, et que cette procédure n’avait pas suspendu la prescription de l’action en délivrance du legs » (§ 9).
L’enseignement à tirer est donc double.
Sur le délai de prescription, d’abord. Ce que nous présentions dans l’arrêt de juin 2023 est bien confirmé : la Cour de cassation retient l’application du droit commun de la prescription, désormais enfermé dans le délai de cinq années. Là où elle l’avait admis implicitement, la Cour de cassation l’énonce clairement mettant ainsi fin aux débats doctrinaux. Pour rappel, ce débat opposait trois courants (sur le détail des débats, v. Dalloz actualité, 30 juin 2023, obs. M. Jaoul, préc.) : le premier postulant d’une prescription décennale de l’article 780 (M. Nicod, Prescription de l’action en délivrance du legs, Dr. fam. 2015, n° 6, comm. 168), le deuxième d’une prescription trentenaire lorsque le legs portait sur un immeuble (Rép. pr. civ., v° Recueil de la succession, par V. Egea, n° 134 ; C. Jubault, Droit civil. Les successions. Les libéralités, 2e éd., Montchrestien, 2010, n° 903) et le dernier de l’application de la prescription quinquennale (M. Grimaldi, Droit des successions, 8e éd., LexisNexis, 2020, n° 436 ; P. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions et des libéralités, 10e éd., LGDJ, 2022, n° 419). La Cour de cassation se range donc à l’avis de ceux qui voient dans l’action en délivrance de legs une action personnelle et ce faisant, la soumettent à la prescription de l’article 2224 du code civil. Comme le soulignait le professeur Grimaldi, il semble cohérent d’appliquer la prescription de droit commun « car une chose est la délivrance, autre chose est l’option : en demandant la délivrance, le légataire demande aux héritiers saisis la reconnaissance de son droit ; en exerçant l’option, il consolide ou il abdique son droit. Il n’y a rien de contradictoire à lui donner dix ans pour confirmer ou abandonner un droit dont il doit demander la reconnaissance dans les cinq ans » (M. Grimaldi, RTD civ. 2020. 931
).
Sur la mise en œuvre de cette prescription, ensuite. La cour d’appel a rappelé que le point de départ de la prescription devait être fixé au jour où le bénéficiaire a eu ou aurait dû avoir connaissance de son droit, c’est-à-dire au moment où il a pris connaissance de l’existence du testament en sa faveur. En l’occurrence, dans l’affaire qui nous intéresse la juridiction a fixé ce point de départ au jour de décès de telle sorte que, sauf à pouvoir invoquer une interruption de la prescription, l’action se retrouvait prescrite à compter du 8 décembre 2013. Or, la Cour considère que le requérant n’a pas interrompu le cours de la prescription faute d’avoir engagé cette action avant cette date. C’est ce point que le légataire universel a tenté de contrer en arguant qu’il avait demandé implicitement la délivrance du legs. En effet, même si la demande de délivrance judiciaire nécessite de respecter les formes procédurales, la jurisprudence semble avoir admis qu’elle n’était soumise à aucune forme particulière (Civ. 1re, 15 juill. 1993, n° 91-11.728 ; 10 mai 2006, n° 03-19.097, D. 2006. 1484
). De ce fait, le légataire a donc tenté de convaincre les juges que constituait une demande implicite en délivrance du legs la résistance judiciaire qu’il avait opposée à l’action par laquelle l’héritier avait tenté de remettre en cause ou de réduire son legs. Dit autrement, se défendre dans le contentieux en interprétation du testament qui l’opposait à l’héritier réservataire (et demander la reconnaissance de son statut de légataire universel) était selon lui constitutif d’une demande implicite de délivrance du legs. La cour d’appel comme la Cour de cassation n’y voient pas un acte interruptif de prescription. Une demande implicite implique tout de même une demande ! Et en l’espèce ce n’est pas le cas.
Cette décision invite donc les légataires à formaliser dans les plus brefs délais, en cas de refus des réservataires, la demande de délivrance afin de s’assurer de ne pas perdre tous droits sur le legs ! Diligence est donc mère de vertu.
A noter : il semble que dispositif soit entaché d’une erreur car il prononce à une cassation totale au lieu d’une cassation partielle sur le seul second moyen. Il est probable qu’un arrêt rectificatif intervienne prochainement afin de modifier le dispositif.
Civ. 1re, 23 oct. 2024, FS-B, n° 22-20.367
© Lefebvre Dalloz