De la prescription de l’action récursoire en assurance construction
L’action récursoire d’un responsable contre l’assureur de responsabilité d’un coresponsable se prescrit selon les mêmes règles que celles applicables à l’action récursoire contre cet autre responsable. En conséquence, l’action récursoire de l’assureur d’un constructeur, subrogé dans les droits de son assuré, contre l’assureur d’un autre constructeur n’est pas prescrite tant que le délai prévu à l’article 2224 du code civil n’est pas expiré, peu important que l’assureur ainsi recherché ne soit plus exposé au recours de son assuré, en raison de l’expiration de la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances.
 
                            Les recours entre coobligés sont au cœur de la responsabilité des constructeurs pour deux raisons fondamentales. La première tient au fait que l’édification est un acte collectif, où un ensemble de constructeurs réunissent leurs actions en vue de la réalisation d’un objet commun : l’ouvrage immobilier, visé à l’article 1792 du code civil. La seconde résulte du constat que la survenance d’un dommage est, le plus souvent, la conséquence d’une pluralité de causes, de sorte que la responsabilité des constructeurs est l’épicentre de l’application de l’in solidum.
Aussi, et pour chaque affaire portée en justice, au-delà de la demande principale de la ou des victimes d’un dommage (maître d’ouvrage, acquéreur, titulaire d’un droit de jouissance), les potentiels débiteurs forment entre eux des appels en garantie, afin de préserver le risque de les voir assumer au titre de l’exécution de l’in solidum au-delà de leur part contributive fixée par le juge, part déterminée le plus souvent sans modification sur les bases du rapport d’expertise.
Le régime des délais d’action applicables à ces actions récursoires ou appels en garantie est déterminé par une règle essentielle, mais qui ne concerne à ce jour que les actions en responsabilité décennale : il n’existe pas, s’agissant de la responsabilité décennale, de subrogation possible après indemnisation du maître de l’ouvrage. La Cour de cassation a en effet, de manière critiquable selon nous, estimé que le constructeur ne pouvait pas être subrogé dans les droits du maître de l’ouvrage au titre de la responsabilité décennale, s’agissant d’une action strictement personnelle. La solution, énoncée dans un arrêt du 8 juin 2011 (Civ. 3e, 8 juin 2011, n° 09-69.894 P, D. 2011. 1682  ; RDI 2011. 574, obs. P. Malinvaud
 ; RDI 2011. 574, obs. P. Malinvaud  ), a été reprise dans un arrêt du 20 avril 2022 (Civ. 3e, 20 avr. 2022, n° 21-14.182 P, D. 2022. 793
), a été reprise dans un arrêt du 20 avril 2022 (Civ. 3e, 20 avr. 2022, n° 21-14.182 P, D. 2022. 793  ). Dès lors, le recours entre coobligés doit être analysé, sur le plan du délai d’action, en considération de la nature personnelle de l’action, c’est-à-dire une action récursoire et non subrogatoire.
). Dès lors, le recours entre coobligés doit être analysé, sur le plan du délai d’action, en considération de la nature personnelle de l’action, c’est-à-dire une action récursoire et non subrogatoire.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt commenté, rendu par la troisième chambre civile le 7 mars 2024. Cet arrêt est classique dans sa facture et applique, en définitive, des règles anciennes qu’il vient combiner. Il traite de l’action initiée par un codébiteur, non contre son coobligé, mais contre l’assureur de ce dernier. Il s’agit donc de la question de l’action directe de l’article L. 124-3 du code des assurances, appliquée au recours entre coobligés.
Si ce texte, issu de la loi de 1930, pose les règles permettant à un tiers de demander la condamnation de l’assureur de responsabilité civile de la personne qui lui a causé un dommage, elle est taisante sur la question de la prescription applicable à cette action.
La jurisprudence, qui écarte l’application de la prescription biennale, applicable aux seuls rapports entre assureur et assuré (Civ. 3e, 21 oct. 2014, n° 12-26.082), pose une double règle s’agissant d’apprécier le délai de l’action directe (arrêt de principe, Civ. 1re, 11 mars 1986, n° 84-14.979 ; application en matière de construction, Civ. 1re, 13 févr. 1996, n° 93-16.005 ; 4 févr. 2016, n° 13-17.786 ; 19 mai 2016, n° 15-16.688 ; 20 oct. 2021, n° 20-21.129) :
- première règle : l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit en principe par le même délai que l’action de la victime contre le responsable ;
- seconde règle : elle peut cependant être exercée contre l’assureur tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.
Il n’existe donc pas un délai d’action directe mais une multitude de délais possibles selon le texte de prescription applicable à l’action principale détenue par la victime contre son auteur.
C’est à propos des recours entre coobligés que cet arrêt prend son intérêt.
Appliquant la première règle de son raisonnement, la Haute juridiction retient, s’agissant des recours entre coobligés, que l’action n’est pas prescrite « tant que le délai prévu à l’article 2224 du code civil n’est pas expiré ».
En effet, le délai principal découle de la nature du lien unissant celui qui agit contre l’autre coobligé. Il peut être de nature contractuelle, lorsqu’il existe entre eux un rapport de sous-traitance direct. Il peut être de nature extracontractuelle dans tous les autres cas. Dans les deux hypothèses désormais, depuis la loi du 17 juin 2008, mais surtout depuis son interprétation par la Cour de cassation, l’action est soumise à l’article 2224 du code civil (Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915, Dalloz actualité, 10 févr. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 466  , note N. Rias
, note N. Rias  ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau
 ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau  ; 1er oct. 2020, n° 19-21.502, RDI 2020. 609, obs. C. Charbonneau
 ; 1er oct. 2020, n° 19-21.502, RDI 2020. 609, obs. C. Charbonneau  ). Désormais, et par suite d’un revirement opéré le 14 décembre 2022 (Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305, Dalloz actualité, 12 janv. 2023, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2023. 8
). Désormais, et par suite d’un revirement opéré le 14 décembre 2022 (Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-21.305, Dalloz actualité, 12 janv. 2023, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2023. 8  ; RDI 2023. 190, obs. C. Charbonneau
 ; RDI 2023. 190, obs. C. Charbonneau  ), confirmé depuis (Civ. 3e, 11 mai 2023, n° 21-24.967 ; 19 oct. 2023, n° 22-15.947), on sait aussi que ce délai de cinq ans ne court pas à compter de l’assignation en référé expertise, mais à compter de la demande comportant la reconnaissance d’un droit ne serait-ce que par provision (notons qu’il existe sur ce point une incertitude tenant à l’effet interruptif d’une action en référé provision qui serait écartée par le juge au regard de l’art. 2243 nouv. du c. civ.), soit le plus souvent une action au fond.
), confirmé depuis (Civ. 3e, 11 mai 2023, n° 21-24.967 ; 19 oct. 2023, n° 22-15.947), on sait aussi que ce délai de cinq ans ne court pas à compter de l’assignation en référé expertise, mais à compter de la demande comportant la reconnaissance d’un droit ne serait-ce que par provision (notons qu’il existe sur ce point une incertitude tenant à l’effet interruptif d’une action en référé provision qui serait écartée par le juge au regard de l’art. 2243 nouv. du c. civ.), soit le plus souvent une action au fond.
Qu’en est-il de l’action de l’assureur du coobligé ? La Cour de cassation applique ici la logique de la subrogation, découlant soit de l’article L. 121-12 du code des assurances, soit de la subrogation conventionnelle, et retient que « l’action récursoire de l’assureur d’un constructeur, subrogé dans les droits de son assuré, contre l’assureur d’un autre constructeur n’est pas prescrite tant que le délai prévu à l’article 2224 du code civil n’est pas expiré ».
Reste à déterminer l’incidence de la seconde règle de la jurisprudence traditionnelle. L’arrêt énonce ici que l’expiration du délai biennal applicable au rapport entre l’assuré responsable et son assureur de responsabilité est indifférente (« peu important que l’assureur ainsi recherché ne soit plus exposé au recours de son assuré, en raison de l’expiration de la prescription biennale de l’article L. 114-1 du code des assurances »).
Ce motif est de pure logique : l’action initiée étant lié au rapport fondamental de droit existant entre les deux assurés, c’est la prescription de ce rapport qui détermine le délai applicable, que ce soit pour le coobligé ou son assureur subrogé dans ses droits pour avoir payé les condamnations en ses lieux et place, en application de la police d’assurance de responsabilité. Autrement dit, le délai de l’action de l’assureur contre l’assureur du coobligé est au minimum de cinq ans.
En revanche, et sans présager de ce qui sera jugé par la Cour de cassation lorsque le litige lui sera présenté sur ce point, il nous semble que l’application de la seconde règle précitée pourrait permettre un allongement du délai d’action du coobligé contre l’assureur du coobligé dont il a payé tout ou partie de la part contributive.
Ainsi, si le recours entre coobligés (recours en contribution) était introduit au-delà du délai de trois ans après la demande au fond formée par le maître de l’ouvrage, l’assureur du coobligé poursuivi serait exposé à un recours de son assuré pendant encore deux ans.
Il nous semble que, dans ce cas, le principe posé dans les arrêts précités devrait s’appliquer et l’assureur serait alors exposé dans un délai de deux ans à compter de cette action.
On peut résumer les règles exposées par les formules mathématiques suivantes :
D = X+2, avec D = délai de l’action de l’assureur d’un coobligé contre l’assureur, X = date du recours du coobligé (s’il n’a pas subrogé son assureur) ou de son assureur subrogé dans ses droits ou au titre de son action ante-subrogatoire.
Civ. 3e, 7 mars 2024, FS-B, n° 22-20.555
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