De la présomption de faute et de lien de causalité en matière de responsabilité du garagiste

Dans un arrêt rendu le 16 octobre 2024, la première chambre civile précise que ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté à déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions pesant sur le garagiste quand celui-ci est assigné en responsabilité contractuelle.

Le droit applicable aux garagistes donne régulièrement lieu à de beaux arrêts à l’intersection de plusieurs matières. Par exemple, en septembre dernier, la rentrée de la chambre commerciale avait pu se faire sous les auspices d’une décision ayant précisé que lorsque le contrôleur technique relève que le véhicule est dans un état de saleté empêchant le contrôle, il doit reporter la visite et renvoyer ledit véhicule. Engage par conséquent sa responsabilité, la société de contrôle violant cette règle issue de l’arrêté relatif au contrôle technique des véhicules lourds (Com. 4 sept. 2024, n° 23-13.917 F-B, Dalloz actualité, 24 sept. 2024, obs. C. Hélaine). On peut également se remémorer deux décisions importantes rendues en 2022 sur l’intensité de l’obligation pesant sur le garagiste laquelle suscitait des difficultés et des hésitations jurisprudentielles lancinantes (Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867 FS-B, Dalloz actualité, 17 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1789 , note P. Gaiardo ; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz ; RTD civ. 2022. 631, obs. P. Jourdain ). Nous retrouvons le 16 octobre 2024 un nouvel arrêt sur cette thématique. La décision est à la fois promise au Bulletin et aux Lettres de chambre.

Reprenons les faits pour mieux comprendre l’enjeu du litige. Un chauffeur de taxi décide d’acquérir un véhicule pour exercer sa profession par contrat conclu le 27 juillet 2012. Cette voiture a été entretenue par une société spécialisée en la matière pendant un certain nombre d’années. Toutefois, le véhicule connaît des dysfonctionnements « répétés et persistants en dépit des réparations effectuées » (pt n° 2, nous soulignons). Une expertise judiciaire est ordonnée pour identifier, non sans difficulté, la panne. Le propriétaire dudit véhicule décide par la suite, le 29 mars 2018, d’assigner le garagiste en responsabilité et en indemnisation de divers préjudices, notamment matériels et moraux. La cour d’appel saisie du litige rejette ses demandes en pointant le caractère fortuit de la panne affectant son véhicule. Les juges du fond estiment, en effet, que le garagiste ne pouvait pas être tenu responsable puisqu’aucune faute lui était imputable en raison de la difficulté d’identification de la panne et de l’origine de celle-ci.

Le propriétaire du véhicule se pourvoit en cassation. Il soutient que la présomption de faute du garagiste et de lien de causalité avec les préjudices subis ne pouvaient pas être écartée pour cette seule raison. Son pourvoi sera couronné de succès dans l’arrêt du 16 octobre 2024. Étudions pourquoi une telle solution permet d’asseoir les arrêts précédemment rendus en 2022.

Rappel des présomptions de faute et de lien de causalité

Pour justifier la cassation ainsi opérée, la première chambre civile commence par rappeler sa jurisprudence tirée de l’article 1147 ancien du code civil, sur la responsabilité contractuelle, combinée au principe de la charge de la preuve de l’article 1315 ancien devenu 1353 nouveau du même code. Ainsi peut-on lire que, par combinaison de ces textes, « si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n’est engagée qu’en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence d’une faute et celle d’un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées » (pt n° 9, nous soulignons). Il s’agit de la reprise pure et simple des arrêts rendus en 2022 sur cette même thématique (Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867, préc.). Nous avions souligné dans ces colonnes que ces deux décisions avaient permis de clarifier le droit applicable à la responsabilité contractuelle du garagiste. La reprise dans la décision étudiée d’une telle affirmation est, assurément, le signe d’une jurisprudence devenant constante de nos jours plus de deux ans plus tard. 

Mais, contrairement aux arrêts de 2022, il n’est pas question ici de rappeler l’évolution de l’obligation de résultat et de la responsabilité de plein droit qui ont pu peser tour à tour sur le garagiste (sur l’obligation de résultat, Civ. 1re, 2 févr. 1994, n° 91-18.764, RTD civ. 1994. 613, obs. P. Jourdain ; 8 déc. 1998, n° 94-11.848, D. 1999. 35 ; sur la responsabilité de plein droit, Civ. 1re, 31 oct. 2012, n° 11-24.324, Dalloz actualité, 16 nov. 2012, obs. I. Gallmeister ; D. 2012. 2659 ). Ce clair-obscur a abouti à la solution que nous connaissons aujourd’hui qui est celle d’une « obligation de résultat allégée » (F. Collart-Dutilleul, P. Delebecque et C.-E. Bucher, Contrats civils et commerciaux, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 734, n° 719, spéc. note n° 3 ; comp. Civ. 1re, 17 févr. 2016, n° 15-14.012).  On ne peut qu’accueillir avec une certaine bienveillance une telle stabilité jurisprudentielle pour un sujet qui est loin d’être anodin dans les stocks des instances enrôlées devant les différentes juridictions. Une motivation enrichie citant les arrêts de 2022 n’aurait, peut-être, pas été toutefois de trop pour lier les décisions entre elles. Ce n’est toutefois que du détail.

Le lecteur ne sera donc pas étonné par cette reprise de la jurisprudence de 2022. Le point central de la décision réside dans la mise en mouvement de la règle, ce qui est nécessairement plus délicat.

Indifférence de l’incertitude sur l’origine de la panne et sur son identification

La clef de voûte de l’arrêt repose sur la précision ainsi formulée par la première chambre civile de la Cour de cassation : « ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté à déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions pesant sur le garagiste » (pt n° 11, nous soulignons). L’affirmation est aussi sévère qu’en parfaite adéquation avec le système dégagé en 2022. Essayons de retrouver les maillons intermédiaires du raisonnement pour en justifier la portée.

La formulation ainsi dégagée par la première chambre civile rappelle le caractère seulement simple de la présomption érigée par la jurisprudence. La solution ne faisait guère de doute mais une présomption irréfragable aurait conduit à un raisonnement beaucoup plus sévère et strict. Ici, la réponse donnée laisse toute latitude au garagiste de pouvoir tenter de renverser la présomption. En l’état des données factuelles, une certaine possibilité en ce sens pouvait s’inférer du dossier selon les précisions rapportées dans l’arrêt étudié. Il avait été relevé que « l’expert judiciaire lui-même a dû procéder à plusieurs réunions d’expertise avant d’en établir la cause (ndlr : de la panne du véhicule) » (pt n° 10, nous soulignons). On peut ainsi comprendre la position des juges du fond qui ont voulu écarter la responsabilité contractuelle du garagiste en retenant une panne fortuite. Mais une telle idée ne peut pas suffire, en elle-même, à écarter la présomption dégagée par la Cour de cassation.

Tout ceci peut paraître bien sévère car si même un expert judiciaire a besoin d’un certain temps pour déterminer l’origine précise d’une panne, comment peut-on reprocher à un garagiste de ne pas l’avoir trouvée dans un temps imparti nécessairement plus court que celui de l’expertise judiciaire ? Il est très difficile d’aller plus loin en l’état du peu de données factuelles issues de l’arrêt de cassation. Le garagiste a-t-il, par exemple, conclu que la panne ne s’expliquait par aucun élément après investigation ? Ou a-t-il opéré des réparations qui n’ont pas suffi à la déceler réellement ? La seconde branche de l’option semble devoir être préférée car il est fait mention dans le moyen du demandeur de plusieurs « interventions du garagiste » (pt n° 8 à rapprocher du pt n° 2 autour des faits constants). Difficile de déterminer ainsi la solution que pourra prendre la cour d’appel de renvoi sur ce point. Seule la confrontation du rapport d’expertise à l’argumentation menée par le garagiste pourrait permettre de continuer l’analyse prospective.

Voici donc un arrêt exigeant qui continue de tisser l’œuvre prétorienne des arrêts de 2022. La responsabilité contractuelle du garagiste repose maintenant, en très grande partie, sur la présomption de faute et de lien causalité pour des désordres survenant ou persistant après son intervention. L’incertitude sur l’origine de la panne ou la difficulté à déceler celle-ci ne peuvent pas permettre de se défaire de la présomption. Dont acte, la pratique devra rechercher d’autres éléments comme l’impossibilité pure et simple de détecter la panne pour le garagiste. Mais la preuve d’un tel fait reste bien délicate à rapporter.

 

Civ. 1re, 16 oct. 2024, FS-B, n° 23-11.712

© Lefebvre Dalloz