De la preuve de la date d’un acte sous signature privée
Rappel sur le champ d’application de l’ancien article 1328 devenu 1377 du code civil relatif aux modalités de preuve de la date d’un acte sous signature privée : il s’applique aux tiers et non aux parties à l’acte. Par conséquent, entre celles-ci, un tel acte non daté et dont l’existence n’est pas contestée peut voir sa date être prouvée par tout moyen.
Le droit de la preuve est crucial pour tout praticien. Chacun sait l’importance fondamentale des règles gouvernant la matière et connaît donc l’intérêt essentiel d’en maîtriser tous les codes lors d’un procès. Les développements jurisprudentiels récents sont toutefois de bons exemples sur les hésitations qui peuvent exister devant le juge (par ex., très réc., concernant le droit à la preuve, Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, n° 20-20.648 B+R et n° 21-11.330 B+R, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024, 291, note G. Lardeux ; v. égal., Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.285 P, Dalloz actualité, 12 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2197 ; Com. 28 juin 2023, n° 22-11.752 P, Dalloz actualité, 7 juill. 2023, obs. F. Expert ; Soc. 8 mars 2023, n° 21-12.492 P, D. 2023. 505 ; ibid. 1443, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; Dalloz IP/IT 2023. 660, obs. G. Haas et C. Paillet ; RTD civ. 2023. 444, obs. J. Klein). Fondamentale, la matière n’en reste donc pas moins technique.
L’arrêt rendu le 20 mars 2024 par la chambre commerciale de la cour de cassation permet de revenir sur la preuve de la date de l’acte sous signature privée.
Dans cette affaire, les associés d’une société ont conclu un pacte d’associés stipulant une clause de non-concurrence au profit de cette personne morale. Toutefois, l’acte en lui-même ne comportait pas de date. Ce fût précisément le nerf de la guerre. L’un des co-signataires du pacte a perdu la qualité d’associé le 11 septembre 2017. Il a été, quelques temps plus tard, assigné en responsabilité car la société bénéficiaire de l’obligation de non-concurrence a estimé que celle-ci a été violée après son départ. En cause d’appel, les juges du fond rejettent l’intégralité des demandes présentées à l’encontre de l’ancien associé. Ils estiment que l’absence de date vide de sa substance l’obligation dès lors que l’acte sous signature privée n’a pas date certaine, sauf s’il est enregistré et que la date ne peut pas être déduite de son contexte. La société se pourvoit en cassation en estimant qu’un tel raisonnement viole les règles du droit de la preuve.
L’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation aboutit, en effet, à la cassation.
Raisons de la confusion : distinction entre parties et tiers
Le pourvoi a parfaitement dirigé sa critique vers le point posant difficulté dans la motivation employée par les juges du fond. Ceux-ci ont, en effet, vidé de sa substance l’obligation tirée du pacte d’associés faute de date inscrite sur l’acte. La cour d’appel a alors fait usage de l’article 1328 ancien devenu le nouvel article 1377 du code civil après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Or, le mécanisme de la date certaine repose sur l’idée selon laquelle « à l’égard des tiers, la date d’un acte sous signature privée n’a aucune force probante » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 2032, n° 1858). La confusion opérée réside donc dans le contexte même de l’affaire qui était soumise : la société ne faisait pas face à un tiers au pacte d’associés, mais à une autre partie à la convention. En somme, le contentieux était contractuel et inter partes.
On comprend d’ailleurs assez mal ce qui a conduit la cour d’appel à invoquer la notion de date certaine dans un tel contexte. Peut-être est-ce dû à la perte de la qualité d’associé du 11 septembre 2017. Une telle raison ne parvient toutefois pas à convaincre car celle-ci ne fait que déclencher la clause de non-concurrence sans faire perdre la qualité de partie au contrat. Autrement dit, l’ancien associé ne devient pas un tiers au sens de l’article 1328 ancien. Certes, les juges du fond avaient retenu que le pacte stipulait une obligation de non-concurrence qui devait prendre effet à la date de la signature selon le contrat. Mais ce n’est pas pour autant que l’obligation doit être vidée de sa substance, selon les termes utilisés, quand l’acte ne mentionne pas de date.
C’est la technicité des règles du droit de la preuve qui doit expliquer la méprise. En effet, aucune disposition légale ne vient clairement trancher le problème puisque c’est le droit commun qui doit être à l’œuvre ici.
La cassation opérée vise ainsi à rappeler le principe en insistant sur le domaine exact de l’article 1328 ancien devenu 1377 nouveau du code civil après le 1er octobre 2016.
Entre les parties, la preuve de la date de l’acte sous signature privée est libre
Toute l’économie de la solution réside dans le paragraphe n° 4 de l’arrêt du 20 mars 2024 qui énonce que « si un acte sous seing privé n’a de date contre les tiers que du jour où il a été enregistré, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui l’ont souscrit, ou du jour où sa substance est constatée dans un acte dressé par un officier public, en revanche, entre les parties à un acte non daté dont l’existence n’est pas contestée, la preuve de sa date peut être faite par tout moyen » (nous soulignons). Nous l’aurons compris, le raisonnement développé ci-dessus par la cour d’appel est condamné sans aucun détour. La cassation ne peut qu’intervenir pour violation de la loi.
L’arrêt étudié a pour principal intérêt de rappeler le champ d’application de l’article 1328 ancien devenu 1377 du code civil. Ce texte ne vient régir la preuve de la date qu’à l’égard des tiers. Faute d’application de cette disposition, c’est fort logiquement que la chambre commerciale bascule sur le droit commun, à savoir la liberté de la preuve. En d’autres termes, les parties à l’acte sous signature privée peuvent rapporter la preuve de la date de celui-ci par tout moyen. Ceci posera nécessairement difficulté devant la cour d’appel de renvoi car, selon les données de l’arrêt, l’acte était complètement dépourvu de date. Les avocats devront, à l’aide de pièces probantes, reconstituer la date de l’acte. Ils pourront invoquer par exemple des documents péricontractuels ou toute autre donnée qui permettraient d’emporter la conviction du juge sur le moment de la signature. Comme le rappelle la solution, la situation ne serait pas la même si l’une des parties contestait l’existence même du pacte d’associés. Il semblerait que le seul argument opposé n’ait été que l’absence de date.
Une certitude toutefois réside dans la charge de cette preuve. C’est à celui qui se prévaut de l’acte de rapporter la preuve de la date (v. en matière de liquidation d’un régime matrimonial, Civ. 1re, 11 avr. 1964 P, « il appartient à celui qui se prévaut de l’acte d’apporter la preuve de la date à laquelle il a été passé »). Ce sera donc, en l’espèce, à la société d’apporter cette démonstration devant la cour d’appel de renvoi. Reste à savoir comment les parties se saisiront de l’ensemble. Difficile de connaître le résultat par avance avec aussi peu de données utiles dévoilées par la décision examinée.
Voici donc un arrêt intéressant qui vient rappeler une constante importante pour les praticiens. Quand l’acte sous signature privée n’est pas daté, les parties peuvent librement en prouver la date entre elles. La référence au système imaginé par le législateur au profit des tiers n’a pas droit de cité ici !
Com. 20 mars 2024, F-B, n° 23-11.844
© Lefebvre Dalloz