De la qualité de professionnel du créancier en matière de disproportion du cautionnement

Dans un arrêt rendu le 21 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que la cession par un associé des droits qu’il détient dans le capital d’une société ou le remboursement des avances qu’il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée.

Si la qualité de consommateur a pu ces derniers mois être au cœur de plusieurs arrêts intéressants autour de l’acquisition de parts sociales (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-19.043 F-B, Dalloz actualité, 11 mai 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 789  ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud  ; RTD com. 2022. 579, obs. A. Lecourt  ; ibid. 632, obs. D. Legais ) ou de formations suivies auprès de Pôle emploi (Civ. 1re, 9 mars 2022, n° 21-10.487, Dalloz actualité, 17 mars 2022, obs. C. Hélaine ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. R. Bouniol ), celle de créancier professionnel n’en est pas en reste avec l’arrêt rendu le 21 juin 2023 par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Promise aux honneurs d’une publication au Bulletin, la décision est importante dans le contentieux de la cession de droits sociaux quand le vendeur est également le dirigeant.

Les faits ayant donné lieu au pourvoi débutent par la cession le 21 novembre 2014 de 194 actions d’une société de forage détenues par une personne physique à une société d’investissement. Le prix est payable à hauteur de 300 000 € dans les trois jours ouvrés à compter de la cession puis par mensualités de 50 000 € pendant deux ans, et ce à compter du 1er avril 2015. Le représentant de la société acquéreuse se porte caution solidaire pour garantir le paiement du prix de cession. La société ayant acquis les parts sociales considère que son consentement a été donné en raison d’un dol et assigne donc le vendeur pour le voir condamner au paiement de dommages-intérêts. Reconventionnellement, ledit vendeur sollicite le paiement du prix de cession des actions à la caution personne physique. Un débat s’ouvre également sur la disproportion de l’engagement de la caution à titre subsidiaire. Un jugement du 23 mars 2016 a placé la société acquéreuse sous sauvegarde de justice en désignant un mandataire judiciaire, mais ce renseignement ne nous sera que peu utile en l’espèce. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que les dispositions de l’article L. 341-4 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, étaient pertinentes puisque le créancier est un professionnel. Le cautionnement devait donc être proportionné aux biens et revenus de la caution. Le vendeur se pourvoit en cassation en reprochant une violation de la loi à ce raisonnement. Selon lui, l’associé-cédant qui consent un crédit-vendeur au cessionnaire n’est pas nécessairement un professionnel dans la mesure où la cession d’actions ne signe pas en elle-même l’exercice d’une activité professionnelle.

L’arrêt du 21 juin 2023 conduit à une cassation pour violation de la loi aux motifs que « la cession par un associé des droits qu’il détient dans le capital d’une société ou le remboursement des avances qu’il a consenties à la société ne caractérisent pas en eux-mêmes l’exercice d’une activité professionnelle, même si le cédant a été le gérant de la société cédée ».

Le principe : l’absence d’automatisme de la qualification

La qualité de professionnel du créancier est cruciale dans la rédaction de l’article L. 341-4 ancien du code de la consommation sur la disproportion du cautionnement qui visait déjà une telle qualité du cocontractant de la caution. L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a conservé une telle exigence de qualification pour le droit nouveau à l’article 2300 du code civil (v. L. Bougerol et G. Mégret, Le guide du cautionnement 2022/2023, Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2022, p. 212, n° 22.212), de sorte que la précision donnée par l’arrêt du 21 juin 2023 pourra utilement être réutilisée dans le futur. Il est vrai que ces articles ne livrent pas réellement de définition de ce qu’est un créancier professionnel. C’est donc à la jurisprudence de combiner les constantes en la matière pour tenter de trouver une piste de définition.

Nous ne serons donc pas étonnés de lire au paragraphe n° 7 de l’arrêt commenté que « le créancier professionnel s’entend de celui dont la créance est née dans l’exercice de sa profession ou se trouve en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même si celle-ci n’est pas principale » (nous soulignons).

Cette définition est issue d’une jurisprudence constante depuis un peu plus de dix ans maintenant. Le cœur de la difficulté reposait sur cette situation tout à fait particulière où le gérant cédait des parts de sa société. Est-ce bien suffisant pour signer que le créancier bénéficiaire du cautionnement garantissant le prix de vente est alors un professionnel au sens des textes sur la disproportion ? On sait que la jurisprudence avait tendance, à l’époque des textes du code de la consommation, à légèrement étirer le tissu de la loi sur la conception qu’elle retenait du créancier professionnel, et ce afin d’attirer toujours plus de situations dans le giron de la proportionnalité du cautionnement.

On comprend de l’arrêt du 21 juin 2023 que la chambre commerciale de la Cour de cassation refuse tout automatisme entre cession de droits sociaux et qualité de professionnel. Pourtant, la situation se prêtait plutôt bien à une telle possibilité en raison de l’entrecroisement entre la cession elle-même et la qualité de gérant du vendeur. Le paragraphe n° 8 de la décision rappelle bien que dans la situation où l’associé cède ses droits ou rembourse les avances consenties par la société, la qualité de professionnel du créancier n’est pas acquise automatiquement. Tout au plus s’agira-t-il d’un indice qu’il faudra combiner avec d’autres éléments pour démontrer la qualité de créancier professionnel. La casquette de gérant est insuffisante pour aboutir à une telle qualification, ce qui peut étonner en raison de cette quête d’extension du domaine de ces dernières années. On remarquera que la décision commentée pourra utilement se combiner avec un arrêt rendu en 2022 sur la qualité de consommateur de l’acquéreur de parts sociales (Civ. 1re, 20 avr. 2022, F-B, n° 20-19.043, préc.).

La conséquence : l’absence d’application du régime de la disproportion

Les plaideurs doivent être particulièrement vigilants au moment de l’étape de qualification des parties pour appliquer les textes sur la disproportion du cautionnement, et ce pour les contrats conclus avant ou après le 1er janvier 2022. Dès lors que le créancier n’est pas considéré comme professionnel, l’ancien article L. 341-4 du code de la consommation, tout comme le nouvel article 2300 du code civil, ne trouvent aucune application. C’est le cas ici de cet arrêt de cassation dans la mesure où la créance du vendeur « n’était pas née dans l’exercice de sa profession ni ne se trouvait en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles, même accessoire » (§ n° 10). La violation de la loi qui en résulte montre à elle seule l’importance des critères de qualification dans un conflit aussi âpre qu’une action en nullité pour dol avec demande reconventionnelle en paiement de la caution qui oppose un moyen de défense comme la disproportion. La rédaction des écritures reste donc décisive.

Cette absence d’application du régime de la disproportion peut paraître sévère pour la caution dans une situation où l’associé cédant ses parts est dans le même temps le gérant de ladite société. On comprend bien que le débat qui a animé le pourvoi aurait très bien pu être réglé en choisissant la solution inverse, et ce dans le sillage de la quête d’extension des dispositions sur la disproportion. Le choix de raison qui a été arbitré permet d’éviter d’étirer de manière déraisonnée le tissu de la loi même si l’on peut se demander si une cohérence d’ensemble se dessine. Il peut paraître douteux, en effet, que le vendeur n’agisse pas dans cette situation en rapport direct avec l’une de ses activités professionnelles. L’argument qu’avait avancé la cour d’appel ayant rendu l’arrêt frappé du pourvoi n’était pas inintéressant puisque à l’époque de la conclusion du cautionnement, le vendeur n’était pas encore à la retraite.

Voici donc un arrêt à l’enseignement important. La cession de droits sociaux détenus dans le capital d’une société par un associé ne caractérise pas en elle-même l’exercice d’une activité professionnelle au sens des textes du code de la consommation. L’argument selon lequel le cédant a été le dirigeant de la société ne peut pas non plus faire pencher la balance dans le sens inverse. La pratique devra en tenir compte car en pareille situation, il faudra donc démontrer la qualité de professionnel autrement à l’aide d’éléments supplémentaires. Sinon, la disproportion du cautionnement se retrouve purement et simplement inefficace. Et ce même pour le texte issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 qui utilise le même critère du créancier professionnel. Gare donc à la qualification des parties !

 

© Lefebvre Dalloz