De l’appel d’une décision du JLD par le majeur placé sous curatelle en matière d’hospitalisation sans consentement

Dans un arrêt rendu le 31 janvier 2024, la première chambre civile de la Cour de cassation rappelle que le majeur sous curatelle n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour interjeter appel de la décision statuant sur la mesure de soins psychiatriques sans consentement le concernant.

Au mois de juillet dernier, nous commentions dans ces colonnes une décision rendue par la première chambre civile de la Cour de cassation ayant précisé que le majeur placé sous une mesure de curatelle n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour remettre en question la décision de maintien de soins psychiatriques sans consentement à son égard (Civ. 1re, 5 juill. 2023, n° 23-10.096 FS-B, Dalloz actualité, 12 juill. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1498 , note J.-J. Lemouland et G. Raoul-Cormeil  ; AJ fam. 2023. 466, obs. V. Montourcy  ; RTD civ. 2023. 599, obs. A.-M. Leroyer ). Un arrêt rendu le 31 janvier 2024 vient réitérer le fond de cette solution avec une nouvelle publication au Bulletin. Nous allons examiner pourquoi ces deux décisions forment un diptyque important pour les professionnels pratiquant les textes du code de la santé publique.

À l’origine du pourvoi, on retrouve une situation débutant le 21 août 2022 par l’admission d’un majeur placé sous curatelle en soins psychiatriques sans consentement par décision du préfet de police de Paris. La mesure initiale, une hospitalisation complète, a été modifiée en un programme de soins qui a conduit par la suite à une nouvelle hospitalisation complète. Le préfet de police saisit le juge des libertés et de la détention pour poursuivre la mesure, poursuite ordonnée le 1er septembre 2022. Le 12 septembre suivant, le majeur hospitalisé interjette appel. Par ordonnance du 16 septembre 2022, le premier président de la cour d’appel saisie du dossier déclare irrecevable l’appel formé puisque le majeur n’avait pas été assisté par son curateur. L’intéressé se pourvoit en cassation en reprochant à l’ordonnance une violation de la loi dans la mesure où il pouvait interjeter appel sans l’assistance de son curateur.

Le pourvoi aboutit, en effet, à la cassation de l’ordonnance du premier président pour violation de la loi. Nous allons étudier pourquoi.

La recevabilité du pourvoi comme amorce de la solution au fond

Le problème de l’assistance du curateur, qui était posé au moment de la procédure d’appel, rejaillit lors du pourvoi en cassation puisque le préfet de police avance l’irrecevabilité dudit pourvoi pour absence de l’assistance du curateur. Il arrive assez peu régulièrement que la question soit soulevée, de sorte que cette partie préliminaire de l’arrêt présente un intérêt certain. La première chambre civile trahit déjà la solution du pourvoi au moment de répondre à cette première interrogation procédurale. Par combinaison des articles 415 et 459 du code civil avec l’article L. 3211-12 du code de la santé publique, il faut en effet conclure que le pourvoi en cassation contre une ordonnance maintenant une mesure de soins psychiatriques sans consentement est « un acte personnel » que le majeur protégé peut donc conclure seul. Par conséquent, ledit majeur vulnérable pouvait parfaitement introduire le recours sans l’assistance de son curateur. Ce motif des actes personnels est, nous le verrons, crucial en la matière.

Dans un second arrêt rendu le 31 janvier 2024 et commenté dans ces colonnes de manière séparée, la première chambre civile a pu préciser également que « le patient peut seul former une requête en mainlevée de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12 du code de la santé publique, relever appel de la décision du juge des libertés et de la détention et s’en désister » (Civ. 1re, 31 janv. 2024, n° 23-15.969, Dalloz actualité, 7 févr. 2024, obs. C. Hélaine). On peut ainsi remarquer un tableau désormais complet autour de ces thématiques procédurales en matière de soins psychiatriques sans consentement. Cette autonomie de l’intéressé, quant à l’assistance ou la représentation de son avocat, pour introduire le recours, interjeter appel ou se désister se retrouve parfaitement dans la précision du pourvoi en cassation concernant le majeur sous curatelle et l’absence d’assistance obligatoire de son curateur. C’est une bonne chose dans le contexte de cette partie du code de la santé publique où l’intéressé doit, très rapidement, pouvoir contester la décision le maintenant dans une telle mesure. Cette remarque, juste pour la première instance et pour l’appel, ne l’est pas forcément pour la cassation car les soins psychiatriques sans consentement ont presque toujours cessé quand l’arrêt est rendu, ce qui explique les très nombreuses cassations sans renvoi en la matière (v. sur la thématique des cassations sans renvoi, A. Tani, Cassation avec ou sans renvoi ?, RTD civ. 2023. 517 ).

Nous l’aurons compris, le fond du pourvoi est déjà réglé avec les textes cités pour la question du pourvoi en cassation.

L’absence d’assistance du curateur concernant l’acte introductif d’appel

On retrouve dans l’arrêt du 31 janvier 2024 exactement la même méthodologie que dans celui du 5 juillet 2023 (Civ. 1re, 5 juill. 2023, n° 23-10.096 FS-B, préc.). Le visa comporte, par ailleurs, les mêmes dispositions. Il faut bien se rendre compte que cette décision de juillet avait déjà précisé que « tant la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins d’obtenir la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement que l’appel de sa décision maintenant une telle mesure constituent des actes personnels que la personne majeure protégée peut accomplir seule ». La solution était donc déjà rappelée mais elle n’était bien évidemment pas encore publiée au moment de l’ordonnance rendue par le premier président dans l’affaire commentée aujourd’hui, laquelle datait du 21 août 2022.

Si le majeur protégé n’a pas besoin de l’assistance de son curateur pour interjeter appel dans ce contexte, c’est pour une double raison que dessine par ailleurs le visa de l’arrêt étudié :

  • en matière de soins psychiatriques sans consentement, la saisine du juge, l’appel contre une décision du juge des libertés et de la détention ou un pourvoi en cassation ne peuvent qu’être des actes personnels au sens de l’article 458 du code civil. Ce statut particulier des actes personnels est fondamental dans le cadre du droit des majeurs vulnérables (v. F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil - Les personnes, 8e éd., 2012, Dalloz, p. 682, n° 643).
  • l’article L. 3211-12 du code de la santé publique prévoit que la personne qui fait l’objet de soins sans consentement peut saisir le juge des libertés et de la détention. Là où un certain nombre de dispositions de ce code viennent apporter des éclairages quand le majeur est placé sous une mesure de protection, l’article L. 3211-12 est silencieux sur la question. Il faut donc en conclure que le législateur n’a pas distingué et là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer. Le majeur protégé peut donc diligenter, seul, une telle action même s’il est placé sous curatelle, et ce sans l’assistance obligatoire de son curateur. On aurait pu s’attendre à ce que l’article L. 3211-12-4, relatif précisément à l’appel, soit cité pour renforcer la solution apportée dans le visa.

L’arrêt du 31 janvier 2024 reste toutefois beaucoup plus concentré sur l’appel seulement, ne venant pas réaffirmer la généralité de la décision du 5 juillet 2023 qui englobait tant la saisine initiale du juge des libertés et de la détention puis celle de l’appel. Quoiqu’il en soit, la cassation prononcée permet d’appuyer, pour la première chambre civile, sa solution rappelée à l’été dans ce second arrêt publié au Bulletin.

Le but est, évidemment, d’éviter que l’interprétation ayant suscité le pourvoi se répande afin de permettre au majeur hospitalisé sans consentement et, dans le même temps, placé sous curatelle, de pouvoir interjeter appel seul de la décision statuant sur la mesure. L’orientation choisie par cette jurisprudence désormais constante n’était pas évidente eu égard à l’âpreté du terrain mais elle se comprend en raison des arguments avancés précédemment et que l’on déduit du visa employé par l’arrêt étudié. L’ensemble contribue à sauvegarder l’autonomie de l’intéressé, privé de sa liberté temporairement, pour contester le soin psychiatrique qu’il n’a pas consenti et ce même sous curatelle.

Voici donc un arrêt qui intéressera les avocats dont on ne pourra pas reprocher, au titre de leur responsabilité professionnelle, de ne pas avoir associé le curateur à l’acte introductif d’appel en matière de soins psychiatriques sans consentement.

 

Civ. 1re, 31 janv. 2024, F-B, n° 22-23.242

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