De l’articulation des délais en matière de recours cambiaires
Dans un arrêt rendu le 12 juin 2024, la chambre commerciale rappelle que l’action cambiaire contre l’avaliste d’un billet à ordre est soumise à la prescription de trois ans édictée par l’article L. 511-78, alinéa 1er, du code de commerce.
Le contentieux autour du billet à ordre continue d’occuper la chambre commerciale de la Cour de cassation. Nous avons croisé il y a quelques jours, dans ces colonnes, un arrêt ayant précisé les conséquences d’une première date raturée sur un tel effet de commerce, la seconde étant ajoutée par une personne différente du souscripteur. Le titre cambiaire est alors, selon la Cour de cassation, irrégulier, tout comme l’aval qui le garantit (Com. 23 mai 2024, n° 22-12.736 FS-B, Dalloz actualité, 28 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1012
). Aujourd’hui, c’est une décision du 12 juin 2024 qui nous intéresse. La thématique n’est pas fréquemment à l’honneur dans une décision publiée au Bulletin puisqu’elle croise à la fois les effets de commerce, le droit des sûretés et celui de la prescription extinctive. Un redoutable carrefour, en somme.
Reprenons les faits pour comprendre là où le problème s’est cristallisé. Une société souscrit, le 1er août 2016, un billet à ordre à échéance du 5 septembre suivant au profit d’une banque. L’échéance est prorogée jusqu’au 15 septembre 2016. L’opération est avalisée par le gérant de la société ayant souscrit le billet à ordre. Voici que cette dernière est placée en redressement judiciaire en janvier 2017. Le 7 février 2018, la banque assigne l’avaliste en paiement du montant du billet à ordre. En cause d’appel, les demandes au titre de l’aval du billet à ordre sont déclarées irrecevables. Les juges du fond estiment, en effet, que l’action du porteur à l’encontre de l’avaliseur d’un billet à ordre suit le même régime de prescription que l’action du porteur à l’encontre du tireur prévu par le deuxième alinéa de l’article L. 511-78 du code de commerce (soit un an à compter du protêt ou de la date de l’échéance quand il existe une clause de retour sans frais). L’action ayant été engagée le 7 février 2018, le délai d’un an ainsi rappelé était dépassé puisque le billet arrivait à échéance le 15 septembre 2016. L’établissement bancaire se pourvoit en cassation en estimant que cette lecture viole les dispositions du code de commerce.
Il existait, en effet, un problème dans la motivation des juges du fond concernant la nature même de l’aval en tant que sûreté personnelle accessoire (v. sur le caractère de simple variété cambiaire du cautionnement, P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 12, n° 9). Une cassation pour violation de la loi est donc prononcée dans l’arrêt du 12 juin 2024. Nous allons étudier pourquoi la question posait difficulté et comment celle-ci est réglée finalement assez simplement par la chambre commerciale de la Cour de cassation.
Transposition explicite des délais entre les effets de commerce
L’action cambiaire contre l’avaliste d’un billet à ordre est source d’une certaine complexité concernant les textes qui sont applicables, notamment en matière de prescription. Le code de commerce opère, en effet, par renvois successifs. C’est précisément cette réglementation en mille-feuilles qui a pu perdre les juges du fond.
Est en cause, notamment, l’article L. 511-78 du code de commerce – applicable au billet à ordre par le jeu de l’article L. 512-3 du même code – et ses différents délais de prescription concernant les recours cambiaires de la lettre de change :
- les actions contre l’accepteur se prescrivent par trois ans à compter de la date d’échéance ;
- les actions du porteur contre les endosseurs et contre le tireur suivent une prescription annale à partir de la date du protêt (ou à partir de la date d’échéance quand il existe une clause de retour sans frais) ;
- les actions des endosseurs entre eux et contre le tireur suivent une prescription encore plus courte de six mois à partir du moment du remboursement par l’endosseur ou du moment où l’endosseur a été lui-même actionné.
En résulte, en tout état de cause, une sorte d’imbroglio de délais en matière de recours cambiaires mêlant un délai de trois ans, une prescription annale et un délai de six mois. C’est pour cette raison que la difficulté est née car les juges du fond n’ont pas correctement transposé l’action de la banque contre l’avaliseur sur la situation d’une lettre de change par les renvois opérés au sujet du billet à ordre. Il faut bien avouer que l’on ne trouve finalement que très peu de jurisprudences à ce titre, du moins ces dernières années. Les hésitations peuvent apparaître très facilement à ce degré de complexité surtout en présence de renvois successifs opérés par le législateur.
Ainsi lit-on dans l’arrêt du 12 juin 2024 que « aux termes de l’article L. 512-6 du code de commerce, le souscripteur d’un billet à ordre est obligé de la même manière que l’accepteur d’une lettre de change et, selon l’article L. 511-21, alinéa 7, de ce code, rendu applicable au billet à ordre en vertu de l’article L. 512-4, le donneur d’aval est lui-même tenu de la même manière que celui dont il s’est porté garant » (pt n° 4, nous soulignons). Voici donc la clef de la lecture qui servira de méthodologie à la détermination du bon délai de prescription dans l’affaire étudiée.
Si la cassation pour violation de la loi vise à remettre un peu d’ordre dans le désordre, sa justification n’est pas nécessairement aussi claire qu’il n’y paraît.
Le caractère accessoire de l’aval comme justification implicite
La présence d’un aval était un élément de complexification supplémentaire dans la détermination du délai applicable. La chambre commerciale arrive, grâce à une formulation assez ramassée, à apporter un peu d’harmonie dans le chaos des délais précédemment cités. Elle précise, en effet, que « l’action cambiaire contre l’avaliste d’un billet à ordre est soumise à la prescription de trois ans édictée par le dernier texte cité (ndlr, l’art. L. 511-78) pour l’action exercée contre l’accepteur » (pt n° 6, nous soulignons). Difficile de faire plus clair, en l’état !
Le choix se justifie assez aisément dans le caractère accessoire de l’aval qui, rappelons-le, est une sûreté personnelle accessoire transposée du cautionnement à la matière cambiaire (v. les références citées ci-dessus). La solution s’inscrit dans le prolongement des textes combinés correctement (v. déjà sur l’importance de ce caractère accessoire s’agissant de la prescription, N. Éréséo, M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, J.-P. Kovar et M. Storck, Droit bancaire, 3e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2021, p. 1139, n° 2362). La justification du caractère accessoire n’est qu’implicite mais elle explique parfaitement l’orientation choisie. L’avaliste garantit ici, en effet, l’obligation du souscripteur du billet à ordre et donc de l’accepteur par transposition à la lettre de change. La prescription de trois ans est, par conséquent, seule pertinente.
C’est donc le délai le plus long qui est celui applicable à la situation de l’action de la banque contre l’avaliste du billet à ordre, ce qui est un avantage important pour elle s’agissant de la mise en mouvement de l’article L. 511-78 du code de commerce. Le délai qu’avait choisi la cour d’appel – un an à compter du protêt ou à partir de la date d’échéance du billet à ordre quand il existe une clause « sans protêt » (ou « de retour sans frais ») – était lié à la proximité pour les juges du fond entre l’action de la banque contre l’avaliste et l’action du porteur d’une lettre de change contre les endosseurs et le tireur. Ce raisonnement n’est pas pertinent eu égard à la nature même de l’aval.
Voici donc un arrêt fort intéressant mais surtout assez rare. Il n’est, en effet, pas commun de croiser une décision publiée au Bulletin permettant de démêler la bobine des délais de prescription de l’article L. 511-78 du code de commerce en matière de recours contre l’avaliste du billet à ordre. La précision est source d’une meilleure sécurité juridique pour le petit monde du droit cambiaire. La bobine étant démêlée, il ne reste plus qu’à coudre !
Com. 12 juin 2024, F-B, n° 22-21.573
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