De l’étendue de l’effacement des dettes en cas de rétablissement personnel sans liquidation

Dans un arrêt rendu le 31 mai 2024, le Conseil d’État vient préciser que le texte de l’article L. 741-2 du code de la consommation ne distingue pas entre les dettes déclarées à la commission et celles qui ne l’ont pas été pour déterminer quelles créances sont effacées au moment du rétablissement personnel du débiteur surendetté.

Les décisions relatives au droit du surendettement permettent de comprendre à quel point le dispositif imaginé par le code de la consommation recèle certaines subtilités. Citons, par exemple, une décision croisant la thématique avec l’article 910-4 du code de procédure civile (Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-12.797 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 677 ) ou un autre arrêt ayant examiné la question des recours après paiement en rappelant que la caution qui a payé après l’adoption du plan de surendettement et qui exerce son recours personnel ne peut pas se voir opposer les mesures de rééchelonnement des dettes du débiteur (Civ. 1re, 4 avr. 2024, F-B, n° 22-18.822, Dalloz actualité, 24 avr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 676 ). Aujourd’hui, c’est une décision du Conseil d’État rendue le 31 mai 2024 qui permet de revenir sur l’étendue du rétablissement personnel sans liquidation et, ce faisant, sur l’effacement des dettes qui en résulte. La problématique sous-tendue est assez rarement l’objet d’arrêts de la Cour de cassation de sorte que son examen s’avère intéressant à plus d’un titre.

Commençons par rappeler brièvement les faits ayant donné lieu à l’affaire.

Une personne physique saisit la commission de surendettement des particuliers des Pyrénées-Orientales. Le 30 janvier 2020, ladite commission prononce une mesure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Le débiteur est, dans ce contexte, informé le 28 avril 2020 de l’effacement de toutes ses dettes puisqu’aucune contestation n’a été formée dans le délai de trente jours. Le 23 novembre 2020, le directeur de la caisse d’allocations familiales des Pyrénées-Orientales (la CAF dans la suite du commentaire) met à la charge du débiteur concerné un indu d’aide personnalisée au logement, d’allocation adulte handicapé et de prime de naissance pour un montant total de 2 412,70 € pour une période du 1er juillet 2019 au 31 octobre 2019. L’allocataire avait, en effet, quitté la France dès le 1er juillet pour aller se marier au Maroc. Ce dernier sollicite la remise gracieuse de la somme de 2 412,70 € mais le directeur refuse implicitement un tel recours. C’est dans ce contexte que le Tribunal administratif de Montpellier a été saisi. Par jugement du 9 juin 2022, la décision d’indu d’aide personnalisée au logement mis à la charge du débiteur est confirmée. Précisons d’emblée que, sur les autres aides, le tribunal a tout simplement rappelé qu’il n’était pas compétent pour en connaître. La confirmation concernant l’aide personnalisée au logement repose, d’après la motivation employée, sur l’absence d’éléments produits prouvant que cet indu aurait été effacé dans le cadre du rétablissement personnel sans liquidation.

Le Conseil d’État est saisi par pourvoi du 22 juin 2022. L’allocataire et son épouse demandaient l’annulation du jugement du 9 juin 2022 et le règlement de l’affaire au fond. L’arrêt du 31 mai 2024 offre une lecture respectueuse des textes sur fond d’hésitation sur la réelle portée quant aux faits d’espèce eu égard aux dates rappelées précédemment.

Le nœud du problème : une difficulté quant à l’étendue du rétablissement personnel

Un développement assez bref concernant la qualification des faits de l’espèce est inséré dans l’arrêt étudié comme à l’accoutumée (pt n° 2). Le Conseil d’État rappelle, en effet, que l’allocataire n’établissait pas un cas de force majeure qui l’aurait conduit à ne pas disposer d’une résidence principale en France sur la période considérée. Par conséquent, sur le fond, le tribunal a pu légitimement formaliser que les conditions de l’article R. 823-12 du code de la construction et de l’habitation n’étaient plus remplies. On comprend assez rapidement que ce n’était donc pas la difficulté principale de l’arrêt.

Le problème se cristallise sur l’étendue du rétablissement personnel qui entraîne l’effacement des dettes. Le tribunal avait considéré que « le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire entraînait l’effacement des seules dettes ayant été déclarées à la commission de surendettement et a relevé qu’en l’espèce, il ne résultait d’aucun des éléments produits que cet indu aurait été effacé dans le cadre de la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire dont a bénéficié M. E » (pt n° 4, nous soulignons). Le pourvoi critiquait ce raisonnement. C’est donc de l’application de l’article L. 741-2 du code de la consommation dont il est question (v. sur la thématique, J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Dépincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 704, n° 663). Cette même hésitation peut rappeler utilement une décision que nous avons pu croiser dans ces colonnes à la fin de l’année 2023 selon laquelle l’effacement des dettes non professionnelles lors d’un rétablissement personnel sans liquidation s’apprécie au jour de la date de la décision de la commission de surendettement (Civ. 2e, 23 nov. 2023, n° 22-11.535 F-B, Dalloz actualité, 5 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2084 ; Rev. prat. rec. 2023. 3, chron. A. Alexandre Le Roux, O. Cousin, A.-I. Gregori et C. Simon ; RCJPP 2024. 55, chron. V. Valette ). On peut ainsi apprécier assez aisément à quel point le dispositif du code de la consommation peut s’avérer complexe pour les plaideurs.

La motivation du jugement du 9 juin 2022 semblait utiliser l’absence de déclaration pour empêcher les effets du rétablissement personnel et de son effacement des dettes concernant l’indu prononcé par le directeur de la CAF. Faut-il lier, en d’autres termes, la procédure de déclaration des créances devant la commission à l’effacement des dettes lui-même ? Il est vrai que l’interrogation est très rarement mise en lumière et des hésitations ont pu se nouer au lendemain de l’adoption des textes du code de la consommation (v. l’étude d’ensemble du professeur Piedelièvre, Le droit à l’effacement des dettes, Defrénois 2004, p. 14 s.).

Une lecture respectueuse des textes à la finalité hésitante

On peut ainsi lire dans l’arrêt du 31 mai 2024 que « les dispositions de l’article L. 741-2 du code de la consommation citées au point 3, si elles prévoient que l’effacement des dettes du débiteur par l’effet de la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire porte sur les dettes arrêtées à la date de la décision de la commission de surendettement des particuliers, n’ont cependant ni pour objet ni pour effet de limiter la portée de cet effacement aux seules dettes ayant été déclarées à cette commission » (pt n° 4, nous soulignons). Le rétablissement personnel entraîne, en effet, l’effacement de toutes les dettes (v. J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 508, n° 366). Le texte de l’article L. 741-2 du code de la consommation vise à atteindre, en effet, une certaine généralité à travers le mot employé « toutes ». Des exclusions sont toutefois égrenées par cette disposition, à savoir les « dettes mentionnées aux articles L. 711-4 et L. 711-5 et (les) dettes dont le montant a été payé au lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé, personnes physiques » mais cette liste a une vocation par nature limitative. On retrouve donc une précision intéressante qui pouvait cristalliser une forme de doute dans la pratique (v. pour un synthèse des arguments en présence, J.-Cl. Com., v° Surendettement des particuliers – Mesures de traitement des situations de surendettement et rétablissement personnel, par S. Gjidara-Decaix, fasc. 1712, spéc. n° 134). Peu importe la déclaration ou l’absence de déclaration à la commission, le Conseil d’État considère que l’effacement des dettes a une portée générale aux dettes arrêtées à la date de la décision. Cette lecture paraît être, en effet, la seule permise par le texte. Il aurait fallu, sinon, préciser le contraire dans la disposition légale.

Il existe un certain sentiment d’insatisfaction à la lecture de la décision étudiée. Le directeur de la CAF avait notifié sa décision d’indu le 23 novembre 2020 à l’allocataire pour la période comprise entre le 1er juillet 2019 et le 31 octobre suivant. Le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire datait, quant à lui, du 30 janvier 2020. L’effacement des dettes ne pouvait donc pas, en toutes hypothèses, concerner des dettes postérieures. Ledit rétablissement sans liquidation ne vient pas, en effet, assurer une sorte de totem d’immunité pour les dettes à venir. Il ne fait que d’effacer les dettes déjà nées afin d’apurer une situation qui est irrémédiablement compromise. L’annulation n’intervient donc que pour sanctionner l’erreur de droit commise dans les motifs par le tribunal administratif.

Mais tout ceci s’avèrera, in fine, assez vain. Si la notification de l’indu a bien été réalisée postérieurement au rétablissement personnel, celle-ci ne pourra pas en tout état de cause être comprise dans l’effacement des dettes litigieux. Le Tribunal administratif de renvoi de Montpellier pourrait donc aboutir finalement au même résultat mais avec une motivation expurgée de l’erreur de droit selon laquelle seules les dettes déclarées doivent être effacées. Il en devient presque étonnant que ce moyen relatif aux dates n’ait pas été relevé devant le tribunal. Le directeur de la CAF avait tenté de soulever celui-ci à hauteur de cassation mais le moyen étant nouveau et en dehors du cercle de l’ordre public, il a été écarté à juste titre par le Conseil d’État (pt n° 4). Reste à savoir si l’on peut considérer que l’indu est né dès 2019 et donc dès le fait générateur de la somme mise à la charge de l’allocataire. Une telle lecture paraît bien critiquable car seule la décision du directeur de novembre 2020 a pu faire naître la créance elle-même.

En tout état de cause, voici une belle décision où le Conseil d’État ne joue pas sur son terrain de prédilection. L’application du droit de la consommation reste toutefois parfaitement juste en ce que les textes prévoient une forme de généralité là où le tribunal avait interprété l’importance de la déclaration à la commission de surendettement à la lumière de l’effacement lui-même. Reste à savoir le dénouement final que connaîtra l’affaire. 

 

CE 31 mai 2024, n° 465197

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