De l'exclusion de l'obligation d'information précontractuelle en matière d'aval
Dans un arrêt rendu le 5 avril 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise que l’aval constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque bénéficiaire du billet à ordre pour manquement à un devoir d’information au titre de l’article 1112-1 du code civil.
Après un arrêt fort intéressant sur l’interruption de la prescription rendu en janvier dernier (Com. 25 janv. 2023, n° 21-16.275, Dalloz actualité, 3 févr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 172
; RTD civ. 2023. 144, obs. C. Gijsbers
), la Cour de cassation continue de préciser le régime juridique de l’aval. On sait, en effet, que cette technique constitue une variété cambiaire de cautionnement très appréciée du milieu bancaire (M. Mignot, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, N. Eréséo et J.-P. Kovar, Droit bancaire, Dalloz, coll. « Précis », 3e éd., 2021, p. 1132, n° 2344). L’arrêt de la chambre commerciale du 5 avril 2023 permet d’interroger une question connexe liée à la théorie générale même du contrat à travers l’obligation précontractuelle d’information de l’article 1112-1 du code civil. Faut-il appliquer cette disposition au profit de l’avaliste qui rechercherait la responsabilité de la banque, bénéficiaire du billet à ordre garanti, pour manquement au devoir d’information précontractuelle ? La décision commentée permet de répondre à cette interrogation par la négative en renforçant l’autonomie de l’aval une fois de plus. Rappelons brièvement les faits ayant donné lieu au pourvoi. Un établissement bancaire consent le 20 juillet 2017 à une société un crédit de trésorerie de 70 000 € matérialisé par l’établissement d’un billet à ordre sur lequel le dirigeant de la société débitrice a porté son aval. Cette dernière devient défaillante de sorte que la banque assigne l’avaliste en paiement. Celui-ci argue que le créancier était tenu d’une obligation précontractuelle d’information au titre de l’article 1112-1 du code civil. Les juges du fond ordonnent la levée de la garantie bancaire pour le prêt de 70.000 euros correspondant au billet à ordre impayé et annulent l’aval consenti. La banque se pourvoit en cassation en estimant que l’aval est régi exclusivement par les règles propres du droit du change.
La cassation pour violation de la loi opérée par l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2023 implique de revenir sur la motivation employée et sur sa conséquence sur l’absence d’application de l’article 1112-1 du code civil dans le fonctionnement de l’aval.
Une motivation connue
Le double visa des articles L. 511-21 et L. 512-4 du code de commerce permet à la chambre commerciale de la Cour de cassation de rappeler sa solution désormais bien établie selon laquelle « il résulte de ces textes que l’aval, en ce qu’il garantit le paiement d’un titre dont la régularité n’est pas discutée, constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change » (nous soulignons). Cette phrase a déjà été employée dans un certain nombre d’arrêts précédemment, notamment en matière de refus d’application de la disproportion du cautionnement à l’aval bancaire (Civ. 1re, 19 déc. 2013, n° 12-25.888, Dalloz actualité, 13 janv. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2014. 518, obs. V. Avena-Robardet
, note G. Piette et J. Lasserre Capdeville
; ibid. 1610, obs. P. Crocq
) et pour l’absence d’information annuelle mais sous une forme rédactionnelle différente (Com. 16 juin 2009, n° 08-14.532 P, Dalloz actualité, 30 juin 2009, obs. X. Delpech ; D. 2009. 1755, obs. X. Delpech
; RTD civ. 2009. 759, obs. P. Crocq
; RTD com. 2009. 605, obs. D. Legeais
; ibid. 798, obs. D. Legeais
). On peut donc remarquer que l’arrêt du 5 avril 2023 n’étonnera guère dans les mots choisis puisqu’ils sont calqués sur la lignée jurisprudentielle assez stable de ces dernières années (M. Mignot et al., op. cit., p. 1132 et 1133, n° 2344).
L’arrêt commenté renforce une autonomie bienvenue mais qui peut questionner. Il faut se rappeler que la jurisprudence n’a pas hésité à parfois étirer les règles dessinées pour le cautionnement au profit du donneur d’aval notamment en matière de droit des régimes matrimoniaux (v. par exemple, sur le jeu de la restriction du gage des créanciers en matière de régime de communauté de l’article 1415 du code civil, Com. 4 févr. 1997, n° 94-19.908, D. 1997. 478
, note S. Piédelièvre
; ibid. 261, obs. M. Cabrillac
; RTD civ. 1997. 728, obs. B. Vareille
; JCP 1997. II. 22922, note Beignier ; ibid. I. 4047, n° 19, obs. Simler ; Defrénois 1997. 1440, obs. Champenois ; Civ. 1re, 3 mai 2000, Bull. civ. I, n° 125 ; D. 2000. Jur. 546, note Thierry ; ibid. 2001. Somm. 693, obs. Aynès ; RTD civ. 2000. 889, obs. Vareille ; JCP 2000. I. 257, n° 5, obs. Simler ; JCP N 2000. 1615, note Piedelièvre). Il faut probablement y voir une certaine exception qui s’explique par l’impératif de protection de l’époux non contractant et de la masse commune dans le cadre du gage des créanciers. L’autonomie de l’aval n’est donc pas tout à fait absolu.
Quoi qu’il en soit, outre ces questions à la marge, l’arrêt du 5 avril 2023 vient parfaitement s’inscrire dans la droite lignée des décisions rendues. Elle ajoute un point sur lequel on pouvait raisonnablement se questionner quand il s’agit non de droits spéciaux mais de théorie générale du contrat. C’est ce que nous allons étudier maintenant.
L’absence d’application de l’obligation d’information précontractuelle
En raison de la motivation déployée précédemment, la chambre commerciale refuse le jeu de l’article 1112-1 du code civil au profit de l’avaliste recherchant la responsabilité de la banque bénéficiaire du billet à ordre pour manquement au devoir d’information. C’est une solution nouvelle qui méritait d’être posée dans un arrêt publié au Bulletin. Nouvelle mais probablement pas inattendue pour autant. Comme nous l’avons dit précédemment, la lignée jurisprudentielle de l’autonomie de l’aval pouvait laisser présager qu’une telle solution serait prise un jour. Il faut tout de même y voir une percée significative de l’autonomie de l’aval car cette fois-ci, c’est la théorie générale de l’obligation qui est en cause.
Les solutions précédemment rendues par la Cour de cassation portaient, en effet, davantage sur les rapports entre le droit du cautionnement et celui de l’aval. Or l’article 1112-1 du code civil est l’armature de droit commun de l’obligation d’information précontractuelle. Ceci donne à l’arrêt du 5 avril 2023 une certaine originalité en termes de force de cette autonomie de l’aval non seulement sur les droits spéciaux concurrents (du cautionnement par exemple) mais maintenant aussi sur le droit commun lui-même. Les juges du fond avaient estimé qu’aucune règle dérogatoire du code de commerce ne vient déroger à l’article 1112-1 du code civil en matière d’aval et de billet à ordre. C’est ici que le bât blesse, car la nature même de ces opérations peut conduire à une certaine incompatibilité avec l’obligation d’information précontractuelle elle-même. L’arrêt commenté viendra rassurer les établissements bancaires qui, bien souvent, ne délivrent pas réellement d’information particulière à celui qui donne son aval à un effet de commerce.
Voici donc un arrêt très intéressant en ce qu’il continue à, un peu plus encore, approfondir l’autonomie de l’aval même par rapport au droit commun. Sa solution intéressera la pratique bancaire qui y verra une souplesse garante du bon fonctionnement des effets de commerce mais également des sûretés s’y greffant.
© Lefebvre Dalloz