De l’exclusion des contrats de crédit sans intérêt et sans autres frais de la directive 2008/48/CE
Dans un arrêt Riverty GmbH c/ MI rendu le 17 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne précise les contours de l’exclusion du champ d’application de la directive 2008/48/CE concernant les contrats de crédit « sans intérêt » et sans « autres frais » au sens de l’article 2, § 2, f).
 
                            La directive 2008/48/CE du 23 avril 2008 sur les crédits à la consommation continue d’occuper la Cour de justice de l’Union européenne avec un certain nombre de renvois préjudiciels chaque année (v. par ex., sur les services accessoires, CJUE 21 mars 2024, S.R.G. c/ Profi Credit Bulgaria EOOD, aff. C-714/22, Dalloz actualité, 29 mars 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 597  ; sur le délai de réflexion, CJUE 9 mars 2023, aff. C-50/22, Dalloz actualité, 15 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 500
 ; sur le délai de réflexion, CJUE 9 mars 2023, aff. C-50/22, Dalloz actualité, 15 mars 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 500  ). Le 17 octobre 2024, la Cour de justice a rendu un arrêt Riverty GmbH c/ MI permettant d’approfondir une question liée au champ d’application de la directive, à savoir celle de l’exclusion des contrats de crédit sans intérêt et autre frais qui résulte de l’article 2, § 2, f), du texte. Or, l’emprise de cette exclusion est importante en ce qu’elle fait varier le niveau de protection des consommateurs qui est l’un des objectifs poursuivis par la directive 2008/48 (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 255, n° 177).
). Le 17 octobre 2024, la Cour de justice a rendu un arrêt Riverty GmbH c/ MI permettant d’approfondir une question liée au champ d’application de la directive, à savoir celle de l’exclusion des contrats de crédit sans intérêt et autre frais qui résulte de l’article 2, § 2, f), du texte. Or, l’emprise de cette exclusion est importante en ce qu’elle fait varier le niveau de protection des consommateurs qui est l’un des objectifs poursuivis par la directive 2008/48 (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 255, n° 177).
Reprenons les faits à l’origine du renvoi préjudiciel. L’affaire s’est nouée aux Pays-Bas. Tout débute autour d’un fournisseur de service de paiement différé proposé lors d’achats en ligne contre une commission d’un euro. Le 27 février 2019, un consommateur achète trois produits en ligne pour 37,97 € en recourant à cette modalité de paiement. Le même jour, le service dédié envoie un récapitulatif de paiement pour un montant de 37,97 € (le montant de la commande) + 1 € (montant de la commission du service de paiement différé). L’échéance du paiement est fixée au 13 mars 2019. Il est indiqué par l’opérateur que le défaut de paiement entraînerait une augmentation de 40 € du montant dû pour couvrir les frais de recouvrement extrajudiciaire. Mais voici que notre consommateur ne règle pas le fournisseur de service de paiement différé : ainsi six rappels de paiement sont envoyés entre le 15 mars 2019 et le 6 décembre suivant, sans succès.
C’est dans ce contexte que la société créancière a saisi le Kantonrechter te Arnhem (le juge cantonal d’Arnhem) pour voir condamner le consommateur au paiement d’une somme totale de 80,20 € calculée sur la base des 38,97 € dus avec intérêts au taux légal. Incertain de l’interprétation de certaines règles du droit néerlandais ayant transposé la directive 2008/48/CE, le juge cantonal saisit le Hoge Raad der Nederlanden (la Cour suprême des Pays-Bas) pour obtenir plusieurs réponses à ses interrogations grâce à un mécanisme de renvoi préjudiciel interne. La Cour suprême hésite à son tour. Elle considère notamment qu’il existe un doute important concernant l’exclusion de l’article 2, § 2, f), de la directive s’agissant des intérêts et des frais de recouvrement extrajudiciaire qui, s’ils étaient inclus dans le domaine de cet article, videraient de sa substance l’exception posée.
La Cour suprême décide, par conséquent, de renvoyer à la Cour de justice de l’Union européenne les questions préjudicielles ainsi formulées :
« 1) Les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire font-ils partie du coût total du crédit pour le consommateur, au sens de l’article 3, sous g), de la directive [2008/48], et doivent-ils être pris en considération pour déterminer s’il est question d’un contrat de crédit “sans intérêt et sans autres frais” ou d’un contrat de crédit “pour [lequel] ne sont requis que des frais négligeables”, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous f), de cette directive ?
2) Le fait que les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire soient dus en vertu de la loi ou du contrat a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? S’il est question d’intérêts moratoires et de frais de recouvrement extrajudiciaire prévus par une clause du contrat, le fait que ceux-ci soient supérieurs à ce qui serait dû en vertu de la loi en l’absence d’une telle clause a-t-il une incidence sur la réponse à la première question ? »
Notons, à titre préliminaire, que le droit néerlandais a choisi d’étendre l’application de la directive 2008/48/CE aux crédits inférieurs à un montant de 200 €, seuil qui avait été choisi comme limite dans l’article 2, § 2, c) (comp. en France, art. L. 312-1 c. consom.). Toutefois, les réponses apportées dans l’arrêt du 17 octobre 2024 ont une vocation générale qui peuvent être intéressantes peu importe les spécificités de transposition de chaque État membre sur ce seuil.
Nous verrons que seules les interrogations sur l’exclusion opérée seront abordées par la Cour de justice, celles sur le coût global du crédit n’ayant pas d’intérêt après les premières réponses apportées. Étudions pourquoi.
Comparaison linguistique pour des notions protéiformes
L’article 2, § 2, f), opère une exclusion du champ d’application de la directive 2008/48/CE concernant les crédits « sans intérêt et sans autre frais ». Ce sont, par conséquent, les vocables « intérêt » et « autres frais » qui posent précisément difficulté dans le renvoi préjudiciel afin de déterminer si les intérêts moratoires et les frais de recouvrement extrajudiciaire doivent intégrer ces dénominations. La réponse ne va pas de soi pour plusieurs raisons. La première repose sur les choix opérés par la directive qui démultiplie les définitions sans pour autant s’intéresser à ces deux notions précises (Dir. 2008/48/CE, art. 3). En l’absence de définition, on retrouve donc la méthodologie habituelle de la Cour de justice à savoir le recours non seulement à l’argumentation littérale mais également à celle issue du contexte, des objectifs et de la finalité que poursuit la directive dans son ensemble (pt n° 39). C’est pour cette raison, très classique, que plusieurs arguments d’inégale intensité vont se succéder pour tenter de trouver une réponse cohérente à la difficulté pointée par le renvoi préjudiciel.
Au titre des définitions que l’on peut prêter à ces deux notions, la Cour de justice retient :
- le caractère protéiforme de la notion d’intérêts qui peut à la fois renvoyer aux « intérêts accumulés ou dus sur un capital placé ou prêté et les intérêts compensatoires ou moratoires » (pt n° 41). Il s’agit donc de réalités très différentes qui peuvent toutefois être rangées sous une même bannière ;
- le caractère « générique » de la notion d’autres frais (pt n° 42). Il est, en effet, tout à fait possible de faire rentrer dans cette catégorie un certain nombre de dépenses que la directive n’énumère pas précisément.
La lecture de l’arrêt C-409/23 conduit nécessairement à conclure que l’argumentation littérale n’est d’aucun secours pour résoudre le problème. La Cour de justice ne fait que de composer avec un texte renvoyant une exclusion du champ d’application à deux notions aux contours pluriels qui auraient peut-être mérité une définition au sein de l’article 3 de la directive.
Ainsi, la Cour de justice mobilise la comparaison linguistique des différentes versions traduites de l’article 2, § 2, f), de la directive. Il est proposé une analyse entre deux blocs de traduction :
- les versions allemande, grecque, française et néerlandaise où la référence s’opère sans ancrage notamment temporel. L’exclusion est simplement celle des contrats de crédit sans intérêt et sans autres frais ;
- mais dans les versions espagnole, anglaise, croate, anglaise, italienne et roumaine, il s’infère de la traduction que cette exclusion doit être examinée « en tenant compte des intérêts et des autres frais prévus, au moment de la conclusion du contrat du crédit » (pt n° 44, nous soulignons). Il existe ici un bornage temporel particulièrement intéressant et exclusif à ces traductions.
Le jeu est habile pour la Cour de justice, chemin faisant. Elle explique, dans cette optique, que les frais d’inexécution et les intérêts pointés précédemment ne peuvent pas intégrer la catégorie des contrats « sans intérêt » et « sans autre frais » puisque l’inexécution par le consommateur et la durée de celle-ci ne peuvent pas être prévisibles au stade de la conclusion du crédit (pt n° 44). Nous verrons qu’en dépit du caractère intéressant de cette argumentation, l’analyse peut être aisément remise en question en cas de modèle économique de l’opérateur reposant sur l’exigibilité des frais d’inexécution.
Ce raisonnement tenu sur la comparaison entre les versions linguistiques reste un pari risqué eu égard aux difficultés de traduction inhérentes à tous les textes. En tout état de cause, la technique employée demeure fort utile en ce qu’elle démontre le flottement sémantique qui peut exister entre les différentes langues concernant une notion indéterminée ou floue.
Mais la technique de comparaison linguistique ne peut pas se suffire à elle-même dans la mesure où elle ne donne qu’un indice sur l’objectif poursuivi. Encore fallait-il donc vérifier le contenu dudit objectif régissant l’exception de l’article 2, § 2, f), de la directive étudiée.
C’est ce que nous allons examiner maintenant.
De l’objectif de la directive 2008/48/CE
Si l’article 2, § 2, f), de la directive tend à définir le champ d’application du texte, la Cour de justice note tout le paradoxe qu’il y aurait à faire intégrer les intérêts et les frais d’inexécution dans la prise en compte des « intérêts » et « autres frais » au sens de ce texte. La disposition serait, selon l’arrêt, « largement vidée de sa substance et de son effet utile » (pt n° 47). En somme, l’exclusion ne s’appliquerait jamais ou presque jamais. Il est vrai que l’on ne comprendrait pas vraiment quand le texte aurait un réel intérêt pratique, laissant l’exclusion ne couvrir que des situations à la marge et rendant l’article 2, § 2, f), sans portée réelle. La situation devant la juridiction de renvoi pourrait être rapidement expédiée en suivant cette méthodologie. Les intérêts moratoires légaux réclamés (calculés sur la base de 37,97 € seulement car la société prestataire a finalement renoncé à sa commission de 1 €) et les frais de recouvrement extrajudiciaire légaux (40 €) ne sauraient être intégrés aux notions évoquées pour déterminer s’il faut appliquer ou non la directive 2008/48/CE à ce contrat précis. La solution aurait pu être particulièrement claire s’il n’existait pas une dernière difficulté.
Reste, en effet, un dernier point pouvant paraître (fort) épineux. La Cour suprême des Pays-Bas, tout comme le gouvernement néerlandais devant la Cour de justice, estiment que les frais d’inexécution sont un élément important du « modèle commercial du prêteur » dans l’affaire au principal (pt n° 49).
La Cour est donc contrainte d’en arriver à la conclusion que ledit modèle économique a, peut-être, pour but de contourner les obligations découlant de la directive 2008/48/CE. Autant dire que, finalement, la réponse apportée est loin d’être certaine. Elle dépendra très grandement des conséquences tirées par la juridiction de renvoi pour déterminer si ces frais n’anticipent pas l’inexécution du consommateur pour en tirer un bénéfice économique (pt n° 51). En ce sens, il ne serait pas opportun de faire application de l’exclusion de la directive de l’article 2, § 2, f).
Voici, en somme, un arrêt intéressant sur les causes d’exclusion de la directive 2008/48/CE. La comparaison linguistique menée montre à quel point il aurait été, peut-être, utile de prévoir davantage de définitions au sein de l’article 3. Toutefois, cette idée souffre de ses propres limites comme la démultiplication excessive des délimitations qui peut rendre peu lisibles les textes de l’Union (v. par ex., sur la garantie légale de conformité, ord. n° 2021-1247 du 29 sept. 2021, relative à la garantie légale de conformité pour les biens, les contenus numériques et les services numériques, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Hélaine).
CJUE 17 oct. 2024, Riverty GmbH c/ MI, aff. C-409/23
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