De l’exigence du contrôle de l’engagement à titre personnel de l’avaliste

Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2024, la chambre commerciale rappelle la portée de la signature qui figure au recto du billet à ordre dans la partie « bon pour aval ». L’aval résulte, en effet, de la seule signature de l’avaliste sauf quand il s’agit de celle du souscripteur de ce billet.

L’actualité du billet à ordre et de l’aval le garantissant est décidément très dense ces derniers mois (Com. 9 oct. 2024, n° 22-14.743 F-B, Dalloz actualité, 16 oct. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1773 ; 23 mai 2024, n° 22-12.736 FS-B, Dalloz actualité, 28 mai 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1012 ; RCJPP 2024. 43, chron. S. Piédelièvre et O. Salati ; 12 juin 2024, n° 22-21.573 F-B, Dalloz actualité, 18 juin 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1124 ; ibid. 1793, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; ibid. 1793, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers). Les arrêts publiés au Bulletin sur la thématique ont en commun leur importance cruciale pour une pratique toujours très attentive au cadre légal des effets de commerce. Aujourd’hui, nous retrouvons une décision du 23 octobre 2024 permettant de s’appesantir sur la pratique consistant pour le donneur d’aval à signer au recto du billet à ordre sans mention supplémentaire. L’article L. 511-21 du code de commerce relatif à la lettre de change, et applicable au billet à ordre par le jeu de l’article L. 512-4 du même code, permet d’acter l’aval en pareille situation sauf quand il s’agit de la signature du souscripteur du billet. Le problème trouve une acuité originale dans l’affaire étudiée comme nous allons le voir.

Reprenons les faits pour comprendre l’enjeu du problème. Un billet à ordre est souscrit le 30 janvier 2019 par une société auprès d’un établissement bancaire. Le billet est signé par le gérant de ladite société avec le cachet de cette dernière tant dans la partie « souscription du billet à ordre » que dans la partie « bon pour aval ». La banque n’obtient pas le remboursement du billet à ordre et décide d’assigner le gérant en qualité d’avaliste. Or, celui-ci conteste avoir avalisé à titre personnel cet effet de commerce. En cause d’appel, les juges du fond considèrent que le gérant ne s’était pas engagé à titre personnel en qualité d’avaliste. La banque se pourvoit en cassation en estimant que les dispositions de l’article L. 511-21 du code de commerce permettent de considérer que la signature du billet à ordre en qualité d’avaliste, sans autre mention, engage personnellement son auteur sans rechercher en quelle qualité le signataire a voulu intervenir.

La chambre commerciale rejette le moyen développé par l’établissement bancaire dans son arrêt rendu le 23 octobre 2024. La situation était, en effet, très loin d’être évidente dans le cas d’espèce. Le choix opéré est celui de la prudence, étudions pourquoi.

Double signature, double cachet, double doute

La difficulté du pourvoi réside dans une pratique assez courante, celle de la double signature portée par le gérant à la fois dans la partie « souscription du billet à ordre « (ou plus généralement de tout effet de commerce) et dans celle liée à l’aval. La chambre commerciale a pu, par le passé, être déjà confrontée à des situations où un doute réside dans la véritable portée de l’aval ainsi souscrit (v. par ex., Com. 15 févr. 2023, n° 21-22.990, « en l’absence de tout élément accompagnant la signature d’un avaliste sur un billet à ordre, celui-ci est seul engagé comme avaliste, sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il a agi en qualité de mandataire », not. cité par J. Lasserre-Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 1198, n° 2413, note 1). La jurisprudence exige alors des juges du fond un contrôle des mentions portées à côté de la signature de l’avaliste sous peine de dénaturation de l’acte juridique (v. par ex., Com. 14 mars 2018, n° 16-27.869, « qu’en statuant ainsi, alors que la mention manuscrite portée par M. X… sous sa signature à la rubrique « Bon pour aval » précise clairement qu’il donne cette garantie « en tant que président de DWA SAS », ce dont il résulte que M. X… ne s’est pas engagé comme avaliste à titre personnel, la cour d’appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé », nous soulignons).

La singularité du cas d’espèce forçait le doute sur la garantie souscrite. Les différentes parties de l’effet de commerce avaient été remplies de la même manière avec le cachet de la société d’une part et avec, d’autre part, la signature de son représentant légal. L’hésitation peut, en effet, perdurer au sein des formulaires pré-imprimés où la mention « bon pour aval » n’est pas écrite de la main du donneur d’aval mais figure directement sur le document actant l’effet de commerce. C’était le cas en l’espèce (v. pt n° 2, moyen de la banque reprenant la motivation critiquée de la cour d’appel). L’avis de l’avocate générale permet de particulièrement bien mettre en lumière la nécessité de clarifier la position de la jurisprudence pour garantir une interprétation uniforme de la norme en la matière (v. spéc. p. 3, n° 6 de l’avis, disponible en libre accès sur le site internet de la Cour).

Mme l’avocate générale a rendu un avis de rejet dans cette affaire en mettant en exergue tant la gravité de l’engagement de l’avaliste que la sécurité juridique du billet à ordre (avis préc., p. 4, n° 7). Elle sera suivie dans cette position par l’arrêt commenté qui précise qu’« ayant constaté qu’à côté de sa signature apposée sur le cachet de la société souscriptrice du billet à ordre litigieux, M. [T] l’avait également apposée sur le cachet de la même société dans la partie concernant l’aval, la cour d’appel en a exactement déduit que M. [T] ne s’était pas engagé à titre personnel en qualité d’avaliste » (pt n° 4, nous soulignons). Voici une nouvelle preuve de l’exigence de la jurisprudence pour acter un engagement cambiaire, ici la souscription d’un aval sur l’effet de commerce souscrit par la société. 

Une recherche malaisée d’un engagement personnel

Le rejet du pourvoi dans l’arrêt du 23 octobre 2024 s’explique donc par l’absence de certitude que les juges du fond ont pu avoir en contrôlant les deux signatures portées sur le billet à ordre. En reportant par deux fois le cachet de la société et en signant par-dessus, le gérant n’a pas opéré de distinction permettant d’acter que la société s’était engagée pour le billet à ordre et que sa propre personne avait souscrit un aval pour garantir cet effet de commerce. Pour identifier une telle dissociation, des mentions supplémentaires auraient dû être ajoutées afin de clarifier la situation. Mais le plus simple aurait été tout simplement de ne pas apposer le cachet de la société dans la partie dédiée à l’aval ! La banque créancière aurait assurément dû s’en inquiéter au stade de la souscription du billet à ordre. 

La solution a pour principal mérite de ne pas engager la qualité d’avaliste de manière trop aisée. Elle évite de tirer des conséquences extensives d’une mention pré-imprimée qui ne préjuge absolument pas de la personne qui donne son consentement. On pourra toujours penser, qu’en l’espèce, l’acte n’a aucune portée pour la partie « bon pour aval » dans la mesure où l’établissement bancaire n’a finalement pas d’avaliste au sens strict. Si le gérant n’est pas ici donneur d’aval, sa signature ne peut plus s’expliquer que par son mandat de gérant.  En l’état, la souscription d’aval est une coquille vide puisque la société ne peut pas être à la fois à l’origine du billet à ordre et garantir son paiement ! Par conséquent, la banque perd le bénéfice de la garantie personnelle qu’elle pensait avoir obtenu.

La sécurisation de la garantie de l’effet de commerce doit donc passer par des mentions assurant la certitude sur l’auteur de l’engagement. À ce titre, une simple distinction entre les différentes cases du billet à ordre peut suffire puisqu’ici c’est la similitude absolue entre les deux parties qui a conduit à disqualifier l’aval personnel du gérant. Dont acte, la pratique doit en être avertie. Ainsi faut-il contrôler méticuleusement le billet à ordre dès sa souscription pour éviter des mauvaises surprises à son dénouement. Un cachet à une place inappropriée peut venir, en ce sens, ruiner l’efficacité de l’acte juridique conclu.

Voici un arrêt intéressant en ce qu’il clarifie une lignée jurisprudentielle pouvant paraître parfois délicate. La publication de la décision et son accompagnement de l’avis de l’avocate générale en libre accès s’expliquent par la fréquence importante de l’interrogation devant les juges du fond. Le choix d’une certaine exigence dans la matérialisation de l’engagement personnel du gérant pour avaliser le billet à ordre respecte l’esprit contractuel de l’aval. Si aucune mention dans l’effet de commerce ne vient assurer que le gérant s’est engagé en son nom propre, il est impossible de présumer l’existence d’une telle garantie personnelle souscrite par celui-ci.

 

Com. 23 oct. 2024, FS-B, n° 22-22.215

© Lefebvre Dalloz