De l'importance de ne pas étendre les cas de courtes prescriptions
Dans un arrêt rendu le 29 mars 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que les dispositions relatives aux courtes prescriptions sont d'application stricte et ne peuvent pas être étendues hors des cas qu'elles visent expressément. Ainsi, l'article 34-2 du code des postes et des communications électroniques ne s'applique pas à une demande de paiement d'indemnité de résiliation.
Certains arrêts rendus par la Cour de cassation peuvent étonner en ce qu’un pourvoi portant sur une question fort précise, et fort technique au demeurant, permet parfois de révéler une solution générale et d’opérer ainsi un rappel très utile. C’est exactement, en somme, l’un des enseignements que l’on peut tirer de l’arrêt rendu par la chambre commerciale le 29 mars 2023.
Rappelons-en les faits rapidement. Une entreprise de fourniture de matériaux décide de conclure avec une société de télécommunications un contrat de fourniture de téléphonie fixe et d’accès à internet pour une durée de soixante-trois mois. En juin 2015, le cocontractant de la société de télécommunication interrompt le paiement des factures et conclut un nouveau contrat avec un opérateur différent avec portabilité de son numéro de téléphone. La société de télécommunications initiale adresse donc à son débiteur une mise en demeure le 12 octobre 2016 afin de lui solliciter le règlement de la somme de 14 508,14 € au titre de diverses factures de téléphonie et de indemnité de résiliation du contrat. La somme totale n’étant pas réglée, la société de télécommunications créancière de ces sommes fait signifier le 10 janvier 2017 à son cocontractant une ordonnance d’injonction de payer. L’entreprise de matériaux s’y oppose et soulève la prescription d’une année issue de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques. En cause d’appel, les juges du fond retiennent que l’indemnité de résiliation est régie par la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce de sorte que la demande en paiement de l’indemnité n’était donc pas prescrite. L’entreprise de matériaux qui bénéficiait des prestations de communications électroniques est donc condamnée à payer la somme de 7 000 € au titre de cette indemnité. Mécontente de cette décision, elle se pourvoit en cassation en exposant que la prescription d’une année régit également le règlement des frais de résiliation du contrat.
L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 mars 2023 aboutit au rejet du pourvoi. Son originalité repose sur la généralité de sa motivation qui permet d’opérer un précieux rappel sur la distinction entre les prescriptions spéciales et les prescriptions régissant des cas généraux pour exclure l’indemnité de résiliation du giron de l’article 34-2 du code des postes et des communications électroniques.
Une précision générale pour une prescription spéciale
Ce n’est pas tous les jours que la prescription assez peu connue de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques se retrouve au cœur d’un pourvoi ayant donné lieu à un arrêt publié au Bulletin. Le deuxième alinéa de cet article prévoit une très courte prescription au profit de l’usager d’une année à compter de l’exigibilité des sommes dues en paiement des prestations de communications électroniques d’un opérateur appartenant aux catégories visées au premier alinéa de cet article. À dire vrai, comme nous l’avons dit dès l’introduction, ce n’est pas seulement ce texte finalement assez restreint qui explique la publication de l’arrêt. La formulation du paragraphe 5 de la décision commentée concourt certainement à la sélection de ce mode de publicité de l’arrêt du 29 mars 2023 : « les dispositions relatives aux courtes prescriptions étant d’application stricte et ne pouvant être étendues à des cas qu’elles ne visent pas expressément, il en résulte que la prescription annale des demandes en paiement du prix des prestations de communications électroniques régit le règlement des frais de résiliation du contrat » (nous soulignons).
Il faut louer ce genre de rappels quand on connaît la multiplicité des délais de prescription de droit spécial même après la réforme du 17 juin 2008 qui a eu pour vocation l’unification, mais également la simplification de notre droit de la prescription (v., pour une étude complète de leur diversité, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1933 s., nos 1768 s.). Ce principe méthodologique permet de donner aux praticiens une sorte de boussole : dès lors que l’on sait qu’il ne faut pas étirer outre mesure les prescriptions courtes, c’est qu’il faut revenir aux prescriptions de droit commun quand la situation d’espèce ne correspond pas à celle expressément prévue par le texte. Ceci permet à la prescription quinquennale, qu’elle soit issue de l’article 2224 du code civil ou de l’article L. 110-4 I du code de commerce comme c’était le cas dans le pourvoi, de jouer son rôle pleinement sans assister à un élargissement de l’empire des prescriptions plus courtes comme celle de l’article L. 34-2 du code des postes et des communications électroniques.
L’avantage de cette orientation repose, surtout, sur sa très grande transposabilité aux autres prescriptions issues des droits spéciaux et qui sont d’une durée inférieure au délai quinquennal de droit commun. L’arrêt du 29 mars 2023 permet d’unir sous une même bannière celles-ci en rappelant qu’elles ne peuvent pas être étendues puisque d’application stricte. En somme, c’est une autre façon de dire que les exceptions s’interprètent strictement. Et il faut en approuver la substance sans quoi l’exception devient le principe.
Maintenant, replongeons-nous dans la situation d’espèce pour expliquer ce retour au délai quinquennal.
De l’art de la distinction entre indemnité de résiliation et fourniture de prestations
Pourquoi alors ne faut-il pas appliquer à la situation d’espèce l’article 34-2 du code des postes et des communications électroniques ? Cet article ne prévoit, pour l’application de la prescription d’une année, que les sommes dues en paiement des prestations de communications électroniques. Or il ne s’agissait pas de l’intégralité des sommes en question dans l’affaire portée devant les juges puisque la société de télécommunication avait également poursuivi son débiteur pour lui réclamer une indemnité de résiliation. C’est sur cette somme précisément que l’article 34-2 ne doit recevoir aucune application comme l’avait, par ailleurs, déjà précisé la cour d’appel saisie du dossier.
On ne peut qu’approuver une telle volonté de limitation du champ d’application de cette prescription très courte. L’indemnité de résiliation ne procède pas de la prestation de communication en cause mais d’un mécanisme du contrat en cas de terminaison de celui-ci en présence d’une durée déterminée (en l’espèce, soixante-trois mois). Par conséquent, le retour à une prescription de droit commun semble être le plus pertinent, effectivement. On pourrait rétorquer que l’indemnité de résiliation s’intéresse tout de même, de près ou de loin, aux prestations de communication électronique puisqu’elles concernant la fin du contrat les concernant. Mais, ici, il faut se rappeler le principe méthodologique posé précédemment : les courtes prescriptions ne doivent pas être étendues en dehors de leur champ légal. L’hésitation que suscite donc la question invite, par prudence au moins, à refuser l’application de la prescription annale ici puisque le législateur n’a pas prévu le cas précisément pour cette indemnité.
Voici donc un bel arrêt à la portée tant pratique que théorique. Sous l’angle pratique, il répond à une interrogation régulièrement portée devant les juges du fond en refusant la courte prescription de l’article 34-2 du code des postes et des communications électroniques aux indemnités de résiliation. Sous l’angle théorique, il rappelle l’intérêt de ne pas appliquer les courtes prescriptions en dehors des situations pour lesquelles elles ont été expressément prévues.
© Lefebvre Dalloz