De l’indemnité d’occupation due au vendeur en cas d’annulation de la vente

Dans un arrêt rendu le 5 décembre 2024, la troisième chambre civile précise que la créance de restitution due au vendeur, laquelle inclut la valeur de jouissance, n’est pas subordonnée à l’absence de mauvaise foi ou de faute de celui-ci.

L’entrecroisement entre le droit de la vente et le régime général des obligations permet de faire fleurir de belles questions concernant les nouveaux textes issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Un arrêt rendu le 5 décembre 2024 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est l’occasion d’apporter quelques précisions sur la créance de restitution due au vendeur concernant l’occupation du bien cédé après annulation du contrat de vente. Cette thématique a fait couler beaucoup d’encre avant la réforme de 2016 dans la mesure où l’état du droit positif était jugé peu clair (F. Collart Dutilleul, P. Delebecque et P.-E. Bucher, Contrats civils et commerciaux, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2023, p. 292, n° 276).

Reprenons les faits les plus importants pour comprendre comment est apparue la difficulté. Par acte authentique du 15 septembre 2017, deux personnes font l’acquisition d’une maison d’habitation pour un prix de 390 000 €. En juin 2018, les acquéreurs subissent un important dégât des eaux. Ils se prévalent d’un dol des vendeurs et assignent ceux-ci en nullité de la vente. L’annulation est prononcée sans qu’il soit précisé, dans l’arrêt étudié, la motivation choisie pour y aboutir. Les juges du fond décident de condamner les vendeurs à une somme de 20 000 € en réparation du préjudice subi par les acquéreurs résultant de l’augmentation du prix du marché de 21,50 %. Ils refusent toutefois d’octroyer à ces mêmes vendeurs une indemnité d’occupation en raison de la réticence dolosive dont ces derniers sont à l’origine.

Les vendeurs se pourvoient en cassation tant concernant les dommages et intérêts prononcés que s’agissant du refus de condamner les acquéreurs à une indemnité d’occupation consécutive à l’annulation de la vente. Leur pourvoi sera couronné de succès seulement sur ce dernier point. Nous examinerons en détail uniquement ce moyen compte tenu de son importance, expliquant la publication de la décision au Bulletin.

Une difficulté récurrente

Procédons à quelques rappels afin de contextualiser le problème soulevé par le pourvoi.

L’article 1352-3 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, a pris le contrepied de l’état ancien de la jurisprudence concernant la restitution de la valeur de la jouissance en matière de vente afin de répondre à une exigence d’équité (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1990, n° 1816). Un arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 9 juillet 2004 avait, en effet, précisé au visa de l’ancien article 1234 du code civil que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble » (Cass., ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302, nous soulignons, D. 2004. 2175 , note C. Tuaillon ; AJDI 2005. 331 , obs. F. Cohet-Cordey ; RTD civ. 2005. 125, obs. J. Mestre et B. Fages ).

Toutefois, cette position n’était pas transposable à tous les contrats spéciaux. Le contrat de bail y échappait, par exemple, à la faveur d’un nouvel arrêt de chambre mixte rendu en 2007 qui soulignait que « c’est sans méconnaître les effets de l’annulation du contrat de bail et dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que les juges du fond ont évalué le montant de l’indemnité d’occupation due par (le preneur) en contrepartie de sa jouissance des lieux » (Cass., ch. mixte, 9 nov. 2007, n° 06-19.508, nous soulignons, Dalloz actualité, 19 nov. 2007, obs. V. Avena-Robardet ; AJDI 2008. 47 ). Comme l’écrivent les professeurs Gaël Chantepie et Mathias Latina, « la jurisprudence antérieure distinguait selon le type de contrat pour admettre la restitution en valeur de la jouissance procurée par la chose à l’occasion de l’exécution du contrat » (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, 3e éd., Dalloz, 2024, p. 1101, spéc. n° 1068).

L’article 1352-3 a fait, ainsi, œuvre d’une certaine clarification en même temps qu’il a pu simplifier les solutions sous le prisme du régime général de l’obligation. Désormais, le texte prévoit explicitement les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée dans le cadre des restitutions, et ce, quel que soit le contrat concerné. En l’espèce, l’acte authentique de vente date du 15 septembre 2017 et son annulation est, logiquement postérieure. L’article 1352-3 nouveau du code civil peut donc parfaitement régir les restitutions liées à l’anéantissement rétroactif ordonné par les juges. Toutefois, la cour d’appel saisie s’en est éloignée. Sans appliquer strictement la position du droit ancien, les juges du fond ont considéré que la réticence dolosive des vendeurs les priverait de leur créance de restitution (pt n° 8 de l’arrêt commenté, motivation de la décision frappée du pourvoi).

La troisième chambre civile devait donc interpréter le contenu des nouvelles dispositions relatives aux restitutions pour déterminer la pertinence d’une telle position.

Indépendance entre principe de la créance et faute de l’acquéreur

La combinaison des articles 1352-3 et 1352-7 du code civil permet à l’arrêt du 5 décembre 2024 de préciser que « si la mauvaise foi du vendeur ne peut le priver de sa créance de restitution ensuite de l’annulation de la vente, incluant la valeur de la jouissance que la chose a procurée à l’acquéreur, ce dernier, s’il est de bonne foi, ne doit cette valeur qu’à compter du jour de la demande » (pt n° 7, nous soulignons). La cassation ne pouvait, dès lors, qu’intervenir dans la mesure où les juges du fond ont « ajouté à la loi une condition qu’elle ne mentionne pas » (pt n° 9). Voici qui est très clair pour désactiver les dernières hésitations concernant les conséquences de l’annulation de la vente.

Le refus d’opérer toute distinction à ce titre respecte pleinement l’économie de l’article 1352-7 qui ne vient introduire la mauvaise foi que concernant l’étendue temporelle de la restitution. La bonne foi des acquéreurs, qui n’ont commis aucune faute, leur permettra devant la cour d’appel de renvoi de limiter l’indemnité d’occupation ordonnée à partir du jour de la notification des premières conclusions des vendeurs ayant sollicité une telle prétention. En l’état de l’arrêt examiné, impossible d’aller plus loin pour identifier précisément cette date.

Les juges du fond ont toutefois ordonné l’octroi d’une somme de 20 000 € afin de réparer le préjudice subi par les acquéreurs (pt n° 4). Ceci est une nouvelle preuve du lien qui existe entre restitution et réparation afin que la seconde englobe éventuellement ce qui ne peut être inclus dans la première (v. G. Chantepie et M. Latina, op. cit., p. 1109, n° 1073). L’allocation de cette somme viendra, probablement, compenser au moins partiellement l’indemnité d’occupation due par les acheteurs.

Voici, en somme, un bien bel arrêt au croisement du droit de la vente et de la théorie générale de l’obligation. L’article 1352-3 du code civil empêche de sanctionner le vendeur ayant eu recours à une manœuvre dolosive du principe même de sa créance de restitution quant à l’occupation de l’immeuble. Mais les acquéreurs, qui ont pour eux leur bonne foi, ne sont comptables d’une telle indemnité d’occupation qu’à partir de la demande formalisant cette prétention et non depuis le jour de la mise à disposition du bien. En outre, le régime général des obligations équilibre les situations par le jeu de miroir de la créance de restitution du prix tandis que le droit de la responsabilité civile délictuelle vient réparer le préjudice subi par le dol des vendeurs.

 

Civ. 3e, 5 déc. 2024, FS-B, n° 23-16.270

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