De l’influence de l’isolement et de la contention sur la mesure de soins psychiatriques sans consentement

Dans un arrêt rendu le 25 septembre 2024, la première chambre civile rappelle quelques constantes autour de l’indépendance de l’architecture générale des soins psychiatriques sans consentement par rapport à la mesure d’isolement et de contention s’y ajoutant.

L’hospitalisation sans consentement continue d’occuper la première chambre civile de la Cour de cassation. L’actualité est, il faut bien le dire, assez dense sur le sujet chaque année. On peut récemment se souvenir d’une décision sur la déclaration d’appel motivée (Civ. 1re, 15 mai 2024, n° 22-22.893 F-B, Dalloz actualité, 28 mai 2024, obs. M. Barba ; réitérée d’ailleurs dernièrement, Civ. 1re, 25 sept. 2024, n° 23-17.705) mais également d’un autre arrêt du mois de juin dernier sur la computation des délais applicables à l’isolement au sein de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (Civ. 1re, 26 juin 2024, n° 23-14.230 F-B, Dalloz actualité, 3 juill. 2024, obs. C. Hélaine). C’est, d’ailleurs, de nouveau l’isolement et la contention qui ont précisément posé difficulté dans l’arrêt rendu le 25 septembre 2024. Il est question des suites de l’avis rendu en 2021 que nous avions commenté dans ces colonnes à propos du lien entre d’éventuelles irrégularités de la mesure d’isolement ou de contention sur l’architecture générale de l’hospitalisation sans consentement. La première chambre civile était alors d’avis de ne pas faire ricocher ces irrégularités pour entraîner la mainlevée de la mesure entière (Civ. 1re, avis, 8 juill. 2021, n° 21-70.010 B, Dalloz actualité, 19 juill. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 864, obs. A.-M. Leroyer ). Désormais, c’est une formation de jugement de la Cour de cassation qui est confrontée à cette thématique récurrente.

Reprenons la situation ayant donné lieu au pourvoi. Les faits débutent autour de l’admission en soins psychiatriques, sans consentement, d’une patiente le 8 novembre 2022. La mesure prend la forme d’une hospitalisation complète par décision du directeur d’établissement et à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-1, II, 1°, du code de la santé publique. Pour des raisons que l’arrêt n’évoque pas, la patiente se voit placée à l’isolement du 8 au 17 novembre 2022. Le 10 novembre 2022, soit pendant ledit isolement de la patiente, le juge des libertés et de la détention est saisi par le directeur d’établissement pour poursuivre la mesure d’hospitalisation complète. En cause d’appel, le premier président ainsi compétent décide d’autoriser la poursuite de la mesure en rejetant les diverses exceptions de nullité soulevées. La patiente se pourvoit alors en cassation en arguant qu’une telle décision viole les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en raison des différentes irrégularités affectant la procédure ayant régi son isolement.

L’arrêt du 25 septembre 2024 aboutit à un rejet du pourvoi en suivant les lignes directrices tracées en juillet 2021. Étudions pourquoi cette solution mérite l’approbation.

Confirmation de la position issue de l’avis

La motivation de la décision étudiée est d’une clarté limpide puisque la première chambre civile précise « qu’à l’occasion du contrôle systématique d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète, d’une demande de mainlevée de cette mesure ou d’une saisine d’office, le constat, par le juge des libertés et de la détention, d’une irrégularité affectant une mesure d’isolement ou de contention ne peut donner lieu à la mainlevée que de l’une ou l’autre de ces dernières mesures » (pt n° 5, nous soulignons). On retrouve d’ailleurs la citation de la référence de l’avis du 8 juillet 2021 qui avait déjà pu préciser cette idée d’indépendance de la mesure d’isolement ou de celle de contention avec l’architecture générale des soins psychiatriques sans consentement. Nous avions, à l’époque, parlé dans ces colonnes d’une orientation heureuse. Mais il était possible que les juridictions du fond ne suivent pas cette solution en raison du caractère non contraignant des avis rendus par la Cour de cassation permettant de préserver l’interdiction des arrêts de règlement (S. Guinchard, A. Varinard, S. Jobert, E. Verny, et T. Debard, Institutions juridictions - Grands enjeux de la justice, organes et acteurs de la justice, 17e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 952, n° 786)

Il est donc particulièrement utile et intéressant qu’une telle solution soit réitérée, cette fois-ci en formation de jugement. Le premier président de la cour d’appel saisie avait refusé de faire ricocher l’éventuelle irrégularité de l’isolement sur la mesure de soins psychiatriques elle-même. Cette position est, selon nous, la seule à pouvoir éviter les critiques dans la mesure où l’architecture de droit spécial de l’isolement et de la contention ne saurait pouvoir faire effondrer celle plus générale de la mesure de soins psychiatriques sans consentement qui la sous-tend. En l’espèce, la situation est d’autant plus exacte que la mesure d’isolement avait expiré pendant la procédure d’appel.

En tout état de cause, la publication de l’arrêt au Bulletin permet de continuer d’asseoir ce principe en droit positif. Après une période particulièrement agitée au niveau législatif et réglementaire, la stabilité actuelle du cadre de contrôle de l’isolement et de la contention mérite probablement de tels éclaircissements pour que la pratique puisse se saisir utilement des nouveaux textes sans les dénaturer (sur l’absence d’abrogation des nouvelles dispositions, v. Cons. const. 31 mars 2023, n° 2023-1040/1041 QPC, Dalloz actualité, 6 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 762 , note L. Bodet et V. Tellier-Cayrol ; sur les abrogations précédentes, Civ. 1re, QPC, 5 mars 2020, n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, Dalloz actualité, 16 juill. 2020, obs. D. Goetz ; AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1559, et les obs. , note K. Sferlazzo-Boubli ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer ; sur les décis. de 2021, Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2021. 380, obs. A.-M. Leroyer ; Cons. const. 4 juin 2021, nos 2021-912/913/914 QPC, AJDA 2021. 1176 ; D. 2021. 1324, et les obs., note K. Sferlazzo-Boubli ; RTD civ. 2021. 619, obs. A.-M. Leroyer ).

En résulte nécessairement une certaine indifférence de la gravité de l’atteinte subie par le patient en matière d’isolement quand la mesure expire pendant le renouvellement du cadre général des soins psychiatriques sans consentement.

Conséquences et nuances de l’indépendance

En creux, la décision du 25 septembre 2024 refuse d’octroyer une certaine force aux arguments de la demanderesse au pourvoi. Pourtant, ceux-ci ne manquaient pas d’intérêt puisqu’elle estimait que le juge des libertés et de la détention n’avait pas été saisi avant la 72e heure d’isolement. La demanderesse considérait ainsi que « toute la procédure d’hospitalisation sans consentement s’en trouve radicalement viciée » (pt n° 4 de l’arrêt étudié, 2e branche du moyen, nous soulignons). Les termes sont, probablement, excessifs mais l’idée n’est pas saugrenue. L’isolement peut, en effet, conduire à ne pas pouvoir permettre la comparution à l’audience concernant la mesure d’hospitalisation elle-même. Les motifs liés à cette mesure spéciale peuvent, souvent, être calqués sur les motifs médicaux faisant obstacle à l’audition du patient considéré au sens du deuxième alinéa de l’article L. 3211-12-2 du code de la santé publique dans le cadre du contrôle de la mesure de soins en elle-même. L’indépendance peut alors laisser place à un certain sentiment d’interdépendance.

Aussi intéressante que puisse être cette position sur le plan théorique, elle n’en reste pas moins en contradiction avec la jurisprudence développée ces dernières années. Même si les textes régissant l’isolement et la contention ont connu quelques heurts, il n’existe pas de réelle et complète interdépendance entre la mesure spéciale et la mesure générale ou, du moins, un certain seuil à atteindre pour qu’une difficulté dans le cadre du contrôle de l’isolement puisse rebondir sur l’architecture générale. La méconnaissance de la procédure d’isolement ou de contention ne doit pouvoir conduire qu’à la mainlevée de la mesure spéciale elle-même. Il n’y a ici qu’une application raisonnée et plutôt raisonnable de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique qui n’évoque que ladite mesure et non les soins psychiatriques eux-mêmes.

Voici donc un arrêt intéressant à bien des titres. Il vient confirmer la direction donnée à la question de l’indépendance de l’isolement et de la contention avec l’architecture générale des soins psychiatriques sans consentement à la suite de l’avis de 2021. La solution est heureuse pour permettre une application cohérente des différents textes du code de la santé publique.

 

Civ. 1re, 17 sept. 2024, F-B, n° 23-12.515

Lefebvre Dalloz