De l’omission d’une sûreté dans la déclaration de créances en matière de droit du surendettement

Dans un arrêt rendu le 4 juillet 2024, la deuxième chambre civile précise que l’omission d’une sûreté par un créancier dans sa déclaration doit conduire à l’irrecevabilité de cette dernière par application de l’article R. 761-1 du code de la consommation applicable au droit du surendettement.

L’interprétation des règles du droit du surendettement continue d’occuper la Cour de cassation. Après plusieurs décisions intéressantes ces dernières semaines (Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-12.797 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 677 ; Civ. 1re, 4 avr. 2024, n° 22-18.822 F-B, Dalloz actualité, 24 avr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 676 ; RCJPP 2024. 34, obs. J.-D. Pellier ; ibid. 61, chron. S. Piédelièvre et O. Salati ; Civ. 2e, 8 févr. 2024, n° 22-18.080 F-B, Dalloz actualité, 14 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 260 ), l’arrêt rendu le 4 juillet 2024 par la deuxième chambre civile explore cette même thématique à travers le rétablissement personnel. Cette fois-ci, c’est le motif particulier de la déclaration de créances des articles R. 742-11 et suivants du code de la consommation qui se retrouve sur le devant la scène. Bien évidemment, la décision intéressera tout particulièrement la pratique en ce qu’elle peut conduire à des conséquences funestes pour le créancier omettant une précision sur les éventuelles sûretés garantissant son obligation.

Les faits débutent par un jugement du 15 janvier 2019 prononçant l’ouverture d’un rétablissement personnel avec liquidation judiciaire des biens d’une personne physique. La décision est publiée au BODACC le 24 janvier suivant. Dans un second jugement du 10 novembre 2020, le juge des contentieux de la protection déclare irrecevable la déclaration de créances d’une société car cette dernière a omis de déclarer l’hypothèque qu’elle avait obtenue de son débiteur pour garantir son obligation. En cause d’appel, la déclaration est également jugée irrecevable.

C’est dans ce contexte que la société créancière se pourvoit en cassation en avançant que cette sanction n’est pas adaptée à la seule omission de la sûreté dont elle bénéficie.

Le moyen ne parviendra pas à décrocher une cassation dans l’arrêt du 4 juillet 2024 que nous étudions aujourd’hui. Nous allons expliquer pourquoi une hésitation pouvait se concevoir.

L’hésitation autour de la seule omission de la sûreté

L’article R. 742-12 du code de la consommation exige que la déclaration de créances indique le cas échéant « la nature du privilège ou de la sûreté dont elle (ndlr : la créance) est éventuellement assortie ». Or, aucune sanction n’est spécifiquement prévue par le texte lui-même quand seulement la sûreté est omise dans ladite déclaration. Le moyen avançait, donc, que lorsque le créancier oublie une telle précision, sa créance redeviendrait seulement chirographaire et celui-ci ne devrait perdre que le bénéfice de sa sûreté. En d’autres termes, la déclaration de créances serait valable puisque les autres mentions ne font pas, quant à elles, défaut.

Une telle argumentation peut paraître non déterminante car un texte vient spécifiquement régir la question des sanctions de la déclaration de créances. L’article R. 761-1 du code de la consommation explique, en effet, que les formalités de l’article R. 742-12 sont « prescrites à peine d’irrecevabilité de la demande » (nous soulignons). La seule hésitation possible réside dans le contenu dudit article R. 742-12 qui prévoit de manière globale les mentions indispensables de la déclaration, à savoir le montant en principal et en intérêts, les accessoires, les frais, l’origine et, donc, l’existence éventuelle d’une sûreté ou d’un privilège. On peut donc utilement se questionner sur la possibilité d’obtenir une irrecevabilité de la déclaration entière pour une omission d’une sûreté seulement là où cette sanction pourrait être réservée à un défaut d’autres éléments comme le montant en principal et en intérêts, par exemple.

Ce flottement, léger mais réel, dans le texte de l’article R. 761-1 du code de la consommation est utilisé comme clef de voute du moyen en opérant implicitement, à cette occasion, un certain parallèle avec le droit des entreprises en difficulté (P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 9e édition, Dalloz, coll. « Précis » 2022, p. 562 s., nos 834 s.). Cette difficulté ne sera toutefois pas suffisante pour permettre de tordre les textes.

Une réponse claire : l’irrecevabilité de la déclaration

La deuxième chambre civile refuse dans l’arrêt du 4 juillet 2024 de distinguer dans l’article R. 761-1 du code de la consommation, prévoyant l’inopposabilité, certaines formalités qui emporteraient cette sanction d’autres qui ne feraient que de provoquer une sanction moins sévère pour le créancier comme la dégénérescence de la créance assortie d’une sûreté en créance simplement chirographaire. La décision n’est pas rédigée sous la forme d’une motivation dite « enrichie » de sorte qu’il convient de recomposer les maillons intermédiaires du raisonnement.

L’argument le plus convaincant reste, sans doute, que le texte réglementaire ne distingue pas entre les différentes formalités de l’article R. 742-12 du code de la consommation. Or, il paraîtrait étonnant que, sans qu’un texte ne vienne le prévoir explicitement, le juge puisse hiérarchiser les formalités de la déclaration de créances. Plus encore, le rapprochement implicitement souhaité entre la jurisprudence du droit des entreprises en difficulté et le droit de la consommation n’est pas réellement possible eu égard à l’architecture des textes du code de la consommation. On pourra toujours arguer que, récemment, la chambre commerciale a pu tordre la lettre d’un texte pour lui donner sa véritable portée à l’issue d’un long débat doctrinal concernant sa finalité (Com. 26 juin 2024, n° 23-11.020 FS-B, Dalloz actualité, 3 juill. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1230 ). Cette décision a pu, en effet, préciser que l’absence d’inscription au registre des marques n’entraîne pas la nullité de la cession de la marque mais l’inopposabilité de la sûreté portant sur le fonds de commerce incluant celle-ci, et ce, contrairement à la rédaction de l’article L. 143-17 du code de commerce avant l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 réformant le droit des sûretés. Toutefois, l’article R. 761-1 n’offre pas, dans l’affaire étudiée aujourd’hui, les mêmes possibilités d’interprétation refermant ainsi toute possibilité d’une interprétation contraire à sa lettre.

Le choix opéré par l’arrêt du 4 juillet 2024 n’en reste pas moins sévère. Dès lors que le créancier omet de déclarer la sûreté garantissant sa créance, sa déclaration est purement et simplement irrecevable là où le moyen postulait que l’on pouvait admettre alors la créance à titre chirographaire. La pratique doit être très vigilante quand le débiteur est placé sous une mesure de rétablissement personnel. L’exigence que fait peser le code de la consommation par le biais de l’article R. 761-1 impose de vérifier minutieusement toutes les mentions de l’article R. 742-12 du même instrument puisque chacune d’entre elles peut, en tout état de cause, suffire à provoquer l’irrecevabilité de la déclaration. Une omission initiale peut, par ailleurs, être réparée en pratique dans le délai de deux mois de la publication du jugement au BODACC (pt n° 7). C’est passé ce délai que l’avenir peut s’assombrir pour le créancier qui oublie sa sûreté.

Même si le droit du surendettement entretient un certain lien avec celui des entreprises en difficulté (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 4e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2024, p. 507, n° 366), la deuxième chambre civile livre un arrêt conforme aux seuls textes du code de la consommation. Si le législateur estimait la solution trop exigeante, il suffirait de modifier par voie réglementaire le texte de l’article R. 761-1 en opérant une distinction qui, aujourd’hui, ne figure pas dans le droit positif.

 

Civ. 2e, 4 juill. 2024, F-B, n° 22-16.021

© Lefebvre Dalloz