De l’usage de l’article 1112-1 du code civil en matière de réservation de voyage

Dans un arrêt rendu le 25 septembre 2024, la première chambre civile rappelle que l’obligation d’information précontractuelle de droit commun est applicable aux contrats de voyages à forfait et aux prestations de voyage.

L’entremêlement du droit spécial et du droit commun est une thématique récurrente ces dernières années au sein des différentes chambres de la Cour de cassation appliquant les nouvelles dispositions issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des obligations et de sa loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 (v. par ex., sur l’art. 1171 c. civ., Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 , note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216) ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ; sur l’art. 1165 du même code, Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783 , note T. Gérard ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki ; RTD civ. 2023. 862, obs. H. Barbier ; ibid. 919, obs. P.-Y. Gautier ). La réglementation liée aux voyages à forfait et aux prestations de voyages liées de la directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015 ne fait pas exception à ce constat avec un arrêt rendu le 25 septembre 2024 promis tant aux honneurs d’une publication au Bulletin qu’à une sélection au sein des Lettres de chambre. La décision étudiée concerne le champ d’application de la fameuse obligation d’information précontractuelle de l’article 1112-1 du code civil.

Reprenons brièvement les faits pour comprendre l’origine du problème. Une société spécialisée dans les voyages sur-mesure propose à un couple le 9 janvier 2019 un projet de voyage à Hawaï pour un prix de 19 300 €. Les clients acceptent la proposition et règlent ce même jour l’intégralité du prix pour un départ prévu le 25 janvier suivant, soit seulement seize jours plus tard. Le projet a été élaboré à la suite de plusieurs courriels et il a été surtout dessiné spécifiquement selon les besoins des futurs voyageurs. Voici que les choses ne se passent malheureusement pas comme prévu. L’ESTA (pour Electronic System for Travel Authorization, la demande d’autorisation de voyage aux États-Unis d’Amérique) du couple est refusé car les voyageurs avaient besoin préalablement d’un visa en raison d’un précédent voyage en Iran. Ces derniers ne parviennent pas à obtenir ledit visa à temps en raison de la date rapprochée de leur départ. Ils assignent ainsi la société de voyage en indemnisation de leur préjudice subi. En cause d’appel, les juges du fond décident de condamner la société à des dommages-intérêts en retenant que celle-ci aurait dû informer le couple de la spécificité de sa situation et des délais nécessaires pour l’élaboration du visa en question.

La société voyagiste se pourvoit en cassation. Elle estime avoir donné le conseil nécessaire à ses clients tout en avançant que la cour d’appel aurait méconnu la force obligatoire s’attachant aux conditions de vente du contrat conclu. L’arrêt rendu le 25 septembre 2024 n’aboutira qu’au rejet du pourvoi mais par substitution de motifs. Étudions pourquoi.

Une application raisonnée du droit commun

La décision débute par deux paragraphes assez fournis sur la directive (UE) 2015/2302 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées (pts nos 6 et 7). Il s’agit, en effet, du point de départ du raisonnement puisqu’il y avait bien un contrat de prestation de voyage au sens de ce texte. Or, on peut légitimement se demander à quel point le droit spécial ainsi applicable peut faire échec au droit commun. Dès lors, la référence faite par l’arrêt étudié à l’article 2, § 3, de la directive est bienvenue puisque celui-ci précise que « la présente directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive » (repris au pt n° 7 de l’arrêt, nous soulignons).

Ce triomphe du droit commun est logique puisque le droit des contrats n’a pas vocation à être systématiquement gommé même au sein d’architectures aussi délicates et spéciales comme c’est le cas en l’espèce. La directive ne prévoyant aucune spécificité sur la question, le retour au droit commun n’en est que plus justifié (v. sur l’opposition entre principe et exception entre droit commun et droit spécial, P. Malinvaud et N. Balat, Introduction à l’étude du droit, 24e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2024, p. 49, n° 50).

Vu que la directive (UE) 2015/2302 ne régit pas l’incidence du droit commun des contrats, les plaideurs sont libres de pouvoir mobiliser les règles issues du code civil dans les aspects classiques des voyages à forfait et des prestations de voyage liées. L’exemple tiré de l’arrêt étudié porte sur l’obligation d’information précontractuelle de l’article 1112-1 du code civil lequel est issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. Cette affaire permet, par conséquent, à la Cour de cassation de continuer son œuvre d’interprétation de cette disposition. La principale question pouvant faire douter les spécialistes reste, en effet, son domaine d’application par rapport aux droits spéciaux.

Ces derniers mois, la première chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation ont pu explorer plusieurs affaires concernant l’application de l’article 1112-1 du code civil dans cette même optique :

  • en droit de la consommation avec un arrêt du 20 décembre 2023 étudiant les fondements sur lesquels un contrat peut être annulé quand les obligations précontractuelles d’information n’ont pas été respectées (Civ. 1re, 20 déc. 2023, n° 22-18.928 FS-B, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 404 , note J.-D. Pellier ; ibid. 650, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2024. 92, obs. H. Barbier ) ;
  • en droit bancaire avec un arrêt du 5 avril 2023 sur l’obligation d’information précontractuelle en matière d’aval (Com. 5 avr. 2023, n° 21-17.319 F-B, Dalloz actualité, 21 avr. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 684 ). La chambre commerciale de la Cour de cassation a pu ainsi préciser que l’aval constitue un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change de sorte que l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque bénéficiaire d’un billet à ordre pour manquement à un devoir d’information au titre de l’article 1112-1 du code civil.

L’arrêt étudié aujourd’hui permet d’aboutir à la même trame de fond commune, à savoir celle du questionnement de l’application de l’article 1112-1 du code civil. La réponse donnée n’est pas identique en fonction de la matière spéciale envisagée comme nous venons de la rappeler en comparant droit de la consommation et droit bancaire. Pour les voyages à forfait et les prestations de voyage liées toutefois, rien n’empêche le droit commun des contrats de trouver pleine application. L’obligation d’information précontractuelle peut donc déployer ses effets en la matière.

C’est cette obligation de droit commun qui permet, à l’aune d’une substitution de motifs, d’éviter une cassation.

Multiplication des obligations d’information

Si le droit commun trouve application, il faut alors déterminer comment articuler l’article 1112-1 du code civil avec l’article L. 211-8 du code du tourisme qui institue une obligation propre imposant à l’organisateur ou au détaillant une information « des caractéristiques principales des prestations proposées relatives au transport et au séjour, des coordonnées du détaillant et de l’organisateur, du prix et des modalités de paiement, des conditions d’annulation et de résolution du contrat, des informations sur les assurances ainsi que des conditions de franchissement des frontières ». Les juges du fond avaient considéré qu’une telle obligation avait été respectée en l’espèce : il s’agissait, en quelque sorte, du nerf de la guerre car la première branche du moyen critiquait le dépassement de cette seule obligation par un devoir de conseil excédant les articles L. 211-8 et R. 211-4 du code du tourisme (pt n° 5). On remarquera utilement que la cour d’appel n’avait pas utilisé l’article 1112-1 du code civil, du moins pas explicitement selon la décision étudiée. L’arrêt examiné procède par voie de substitution de motifs pour sauver la décision de la cassation. En l’état, la justification apportée par les juges du fond (pt n° 9) semblait en effet être plus hésitante et, surtout, moins axée sur le devoir d’information précontractuel de droit commun

La violation de l’obligation issue de l’article 1112-1 réside dans l’insuffisance de l’information délivrée au titre des « risques de ne pas obtenir les documents administratifs (…) permettant d’entrer aux États-Unis d’Amérique en raison de la date rapprochée du départ envisagé » (pt n° 10). Ce dépassement des contours de la seule obligation issue du droit spécial s’explique d’une manière plutôt satisfaisante puisque l’article 1112-1 du code civil évoque bien une information dont « l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » (nous soulignons). C’est bien le cas avec l’obtention du visa dans les délais forts restreints entre la proposition acceptée et le vol programmé seize jours plus tard. Le lien « direct et nécessaire », exigé par l’alinéa 3 de ce même article, est nécessairement ici identifié puisque le risque de ne pas obtenir les documents administratifs était intrinsèquement lié avec le contenu du contrat du voyage. Les voyageurs ne pouvaient, en effet, tout simplement pas entrer sur le sol américain sans un ESTA. L’obligation d’information précontractuelle permet, ainsi, de justifier la responsabilité ainsi déclenchée par les juges du fond, à condition de modifier les motifs employés pour parvenir à cette fin.

Les voyagistes en seront donc avertis. Les dispositions générales issues du droit commun des contrats, comme l’obligation d’information précontractuelle, s’appliquent à leurs prestations. Tout ceci aboutit à une sorte d’empilement des obligations d’information lesquelles peuvent paraître bien lourdes pour les sociétés spécialisées en la matière. Au contraire de l’article L. 211-8 du code du tourisme qui cite explicitement le contenu de l’information à délivrer, l’architecture de l’article 1112-1 du code civil donne une méthodologie pouvant faire naître des obligations d’information différentes pour chaque contrat. La géométrie variable qui en résulte peut être redoutable pour les voyagistes préparant des prestations millimétrées en fonction de chaque voyageur. Mais il n’y a ici que l’application d’un droit commun ayant vocation à régir ces situations faute de textes spéciaux empêchant une telle emprise du droit des contrats.

Voici donc, en définitive, un bien bel arrêt sur les contours de l’article 1112-1 du code civil. La Cour de cassation n’a sans doute pas terminé de questionner le domaine exact de cette disposition d’origine prétorienne codifiée en 2016.

 

Civ. 1re, 25 sept. 2024, FS-B, n° 23-10.560

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