De quelques inefficacités du licenciement en matière de rupture conventionnelle

Lorsqu’en l’absence de rétractation de la convention de rupture, le salarié est licencié pour faute grave en raison de faits survenus ou révélés entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet stipulée, le licenciement ne remet en cause ni la validité de la convention, ni par suite la créance d’indemnité de rupture conventionnelle née au jour de l’homologation par l’autorité administrative.

La multiplicité des modes de ruptures et la complexité de leurs procédures peuvent quelquefois engendrer des situations inextricables. La rupture conventionnelle et le licenciement, meilleures illustrations de cette complexité, ne peuvent se produire en tout état de cause et ne s’affectent pas de la même manière en sorte que l’employeur doit être vigilant dans la mise en œuvre des sanctions, au prix du versement d’indemnités. L’arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le 25 juin 2025 en témoigne manifestement.

En fait, le directeur commercial d’une société d’équipements industriels passe deux entretiens en décembre 2017 en vue d’obtenir une rupture conventionnelle. La convention est signée le 15 janvier 2018 à effet du 30 juin 2018, puis homologuée par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, le 20 février. Par courrier du 11 avril, le salarié a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, lequel s’est tenu le 19 avril 2018, et licencié pour faute grave par courrier du 23 avril 2018 en raison de faits constitutifs de harcèlement sexuel survenus à compter d’avril 2017.

C’est dans ces circonstances que le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une requête aux fins de paiement de dommages-intérêts pour licenciement nul et de diverses sommes. La cour d’appel a rejeté l’ensemble de ses demandes, à l’instar des premiers juges. Elle considère la rupture conventionnelle comme non avenue et dit bien fondé le licenciement pour faute grave aux motifs que l’employeur avait eu connaissance des faits fautifs au cours de la période située entre la date d’expiration du délai de rétractation, le 30 janvier 2018, et la date à laquelle la rupture conventionnelle devait produire ses effets, le 30 juin 2018. Le salarié conteste à hauteur de cassation cette décision dès lors qu’une faute commise par le salarié ou révélée à l’employeur postérieurement à l’expiration du délai de rétractation n’est pas susceptible de remettre en cause la convention de rupture, cette faute ne pouvant qu’empêcher la poursuite du contrat de travail jusqu’à la date d’effet de la convention.

Censurant l’arrêt attaqué mais seulement en ce qu’il dit non avenue la rupture conventionnelle et déboute le salarié de sa demande d’indemnité de rupture conventionnelle, outre les dépens et l’indemnité pour frais irrépétibles, la Cour de cassation reprend l’analyse développée par le demandeur au pourvoi au visa des articles L. 1237-11, L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail. Elle rappelle, en premier lieu, que l’employeur peut, en l’absence de rétractation de la convention de rupture, licencier son salarié pour des faits survenus ou révélés entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue par la convention. Et, en second lieu, que la créance d’indemnité de rupture conventionnelle naît au jour de l’homologation de la convention par l’autorité administrative mais n’est exigible qu’au jour de la rupture. Le licenciement n’affectant pas la validité de la convention de rupture, il s’ensuit que l’indemnité de rupture conventionnelle due conformément à la convention doit être versée au salarié.

L’inefficacité du licenciement sur la validité de la convention de rupture

La Cour de cassation considère en premier lieu que le licenciement du salarié, quoique prononcé pour des faits survenus ou révélés entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue de la rupture conventionnelle, n’affecte pas la validité de la convention de rupture.

Cette possibilité de licenciement est en tous points conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour, suivant laquelle « en l’absence de rétractation de la convention de rupture, un salarié ne peut prendre acte de la rupture du contrat de travail, entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet prévue de la rupture conventionnelle, que pour des manquements survenus ou dont il a eu connaissance au cours de cette période » (Soc. 6 oct. 2015, n° 14-17.539 P, Dalloz actualité, 16 nov. 2015, obs. B. Ines ; D. 2015. 2081 ; ibid. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2015. 1033, obs. J. Mouly ; RJS 12/2015, n° 772). Ce qui vaut en matière de prise d’acte de la rupture doit naturellement valoir mutatis mutandis à l’égard du licenciement.

Elle est de surcroît tout à fait logique. D’une part, si les faits étaient advenus avant la date d’expiration du délai de rétractation de la convention de rupture, fixé à quinze jours calendaires à compter du lendemain de la signature de la convention, l’employeur pouvait utiliser son droit de rétractation (v. C. trav., art. L. 1237-13, al. 3 ; Circ. DGT, n° 2008-11, 22 juill. 2008, p. 3, in fine, Dalloz actualité, 1er août 2008, obs. S. Lavric). D’autre part, la survenance de faits postérieurs à la date d’effet de la rupture conventionnelle prive l’employeur du pouvoir de licencier son auteur, lequel n’est juridiquement plus son salarié. La question d’un mode de rupture du contrat de travail autre que la rupture conventionnelle ne peut, de manière tant concrète qu’abstraite, se poser qu’à l’égard de faits qui se sont déroulés entre la date d’expiration du délai de rétractation et la date d’effet de la convention de rupture.

Aussi, l’originalité de l’arrêt siège dans l’indication faite par la Cour que le licenciement n’affecte pas la validité de la convention. La portée de cette précision doit être bien circonscrite. Le licenciement per se n’a justement aucun effet à l’égard de la convention de rupture conclue au préalable : il se borne à anticiper une rupture déjà prévue par l’employeur et le salarié, comme le juge la chambre sociale. Mais il en va autrement des faits fautifs qui ont fondé le licenciement. La validité de la convention peut, en effet, être affectée en particulier par les vices du consentement, tels que l’erreur, en vertu de l’article 1130 du code civil. Or, l’employeur qui n’avait pas connaissance au moment de la signature de la convention d’une faute commise par le salarié est victime d’une erreur justifiant que l’errans sollicite l’annulation de la convention de rupture (Metz, 6 mai 2013, n° 13/00173, JCP S 2013. Act. 300). En l’espèce, une telle sanction aurait pu être mobilisée par l’employeur : les faits fautifs se sont produits dès avril 2017, soit avant la signature de la convention de rupture, mais ils se sont révélés à lui postérieurement à cette signature. Il eût fallu, en l’espèce, demander au juge d’annuler la convention de rupture puis licencier le salarié pour faute grave, pour peu que l’employeur eût voulu éluder le paiement de l’indemnité de rupture conventionnelle, sur laquelle le licenciement n’a aussi aucun effet.

L’inefficacité du licenciement sur l’indemnité de rupture conventionnelle

La Cour régulatrice rappelle en second lieu que la créance d’indemnité de rupture conventionnelle naît au jour de l’homologation de la convention de rupture mais ne devient exigible qu’au jour de la prise d’effet de la rupture.

Une telle position n’est effectivement pas nouvelle et a été affirmée par la chambre sociale à l’occasion d’une affaire dans laquelle un salarié est décédé après l’homologation de la convention de rupture, de sorte que ses ayants droit sont fondés à réclamer le paiement de l’indemnité de rupture conventionnelle née antérieurement au décès (Soc. 11 mai 2022, n° 20-21.103 B, Dalloz actualité, 21 juin 2022, obs. E. Clément ; D. 2022. 998 ; RJS 7/2022, n° 366).

Elle s’explique par des mécanismes tirés du régime général des obligations, en ce que l’obligation contractuelle de verser l’indemnité de rupture est assortie à la fois d’une condition et d’un terme suspensifs. La condition, « évènement futur et incertain » (C. civ., art. 1304, al. 1er), consiste en l’homologation : l’obligation naît pourvu que la convention de rupture soit homologuée par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités en dépit de sa conclusion préalable. En effet, « la validité de la convention est subordonnée à son homologation » (C. trav., art. L. 1237-14, al. 3). Or, cette homologation demeure, par définition, objectivement incertaine dans sa réalisation si bien qu’elle constitue une condition suspensive afférente à l’obligation contractuelle de verser l’indemnité de rupture. Mais surtout, cette obligation est non moins assortie d’un terme suspensif affectant son exigibilité, laquelle est repoussée à la date d’effet de la rupture. Le paiement de l’obligation, nonobstant qu’elle soit née, ne peut être exigé par le créancier (v. C. civ., art. 1305-2), en l’occurrence le salarié. Dès lors que le licenciement n’ébranle pas la validité de la convention, la naissance de la créance d’indemnité de rupture conventionnelle par l’homologation reste intacte. En conséquence, elle sera encore exigible en dépit du licenciement prononcé.

Il subsiste néanmoins une zone d’ombre, que la cour de renvoi devra trancher : à quel moment l’indemnité de rupture devient-elle exigible ? Lors de la prise d’effet de la rupture fixée dans la convention toujours valable ou bien à l’issue du licenciement qui met un terme au contrat de travail « avant la date d’effet prévue par les parties dans la convention » ? Les modalités de calcul dépendent de cette réponse, laquelle semble devoir privilégier « la date fixée par la rupture », c’est-à-dire la prise d’effet de la rupture conventionnelle. Car si le licenciement anticipe l’extinction du contrat de travail, la convention de rupture non remise en cause constitue la loi des parties.

 

Soc. 25 juin 2025, FS-B, n° 24-12.096

par Alexandre Nivert, Docteur en droit privé, Consultant indépendant, Chargé d’enseignement vacataire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Université Paris Nanterre, Ex-juriste assistant, Cour d’appel de Paris

© Lefebvre Dalloz