Décès du preneur à bail rural : une résiliation par tout moyen, aux destinataires déterminés
Lorsque le preneur décède sans laisser de conjoint, de partenaire ou d’ayant droit ayant effectivement pris part à l’exploitation, la demande de résiliation du bailleur peut se faire par tout moyen, mais doit impérativement être adressée à tous les ayants droit du preneur.
Conformément au droit commun du bail (C. civ., art. 1742), le décès du preneur ne met pas fin au bail rural. Toutefois, la transmission à cause de mort de ce contrat obéit à un régime original, fruit de la nécessité de concilier le caractère intuitu personae du bail rural, avec celle de « préserver le caractère familial » que peut revêtir l’exploitation (v. Rapport d’information n° 3233 sur le régime juridique des baux ruraux de la XVe législature de l’Assemblée nationale présenté par MM. Terlier et Savignat ; v. égal., L. Lorvellec, Le bail rural, contrat familial, in Transmettre, hériter, succéder, PUL, 1992, p. 55 s., spéc. p. 57).
Aussi, le législateur, au sein de l’article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime, a distingué deux situations : celle où le conjoint ou le partenaire ou l’un des ayants droit a participé effectivement à l’exploitation au cours des cinq années précédant le décès du preneur, de celle où cette condition de participation effective fait défaut (sur cette distinction des héritiers, v. not., B. Peignot, qui oppose les héritiers dits « privilégiés », aux héritiers dits « ordinaires », obs. ss. Civ. 3e, 18 févr. 2021, Des conditions de poursuite du bail au décès du preneur, Rev. loyers 2021, n° 1016).
Dans la première situation, le bail continue au profit de l’ayant droit remplissant la condition de participation effective (C. rur., art. L. 411-34, al. 1er), tandis que dans la seconde, le bail est transmis aux ayants droit à moins que le bailleur n’ait, dans le délai de six mois courant à compter de sa connaissance du décès, demandé la résiliation du bail (v. not., Civ. 3e, 27 sept. 2011, n° 10-23.242 ; 7 sept. 2022, n° 21-19.188 ; v. égal., R. Le Guidec et H. Bosse-Platière, Le décès du bailleur ou du preneur, Defrénois 2015.1128, spéc. p. 1131).
Cette demande obéit-elle à un formalisme particulier ? À qui doit-elle être adressée ? Telles étaient les questions auxquelles la Haute juridiction a apporté des réponses claires dans l’arrêt de l’espèce.
Un preneur à bail rural est décédé en laissant pour lui succéder son épouse et quatre enfants qui n’avaient pas pris part à l’exploitation au cours des cinq années précédentes. Cinq mois et demi plus tard, le bailleur a envoyé une lettre à l’EARL dont le défunt était l’unique associé, et à laquelle les parcelles louées avaient été mises à disposition, afin de solliciter la résiliation du bail. L’un des fils du preneur a alors assigné le bailleur en constat de la continuation du bail à son profit.
La cour d’appel ayant constaté la résiliation du bail, l’ayant droit a formé un pourvoi arguant, dans la première branche de son moyen, que la résiliation opérée « par lettre simple équivaut à une absence de résiliation » et, dans la seconde branche, que la demande de résiliation, ayant été adressée non pas aux héritiers mais à l’EARL, ne pouvait produire effet.
Si la Cour de cassation estime que la première branche du moyen n’est pas fondée puisqu’« aucune condition de forme » n’est posée pour cette demande de résiliation, de sorte que cette dernière « peut être faite par tout moyen », elle censure l’arrêt de la cour d’appel au regard de la seconde branche. Elle rappelle que « la demande de résiliation adressée par le bailleur à une personne autre que celle des ayants droit du preneur est sans effet à leur égard ».
Une résiliation pouvant être faite par tout moyen
En l’espèce, la Cour de cassation énonce que l’article L. 411-34, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime ne posant « aucune condition de forme », la demande en résiliation « peut être faite par tout moyen ». Aussi, par cet arrêt, la Haute juridiction entérine son choix de la souplesse. En effet, si la lettre de l’article L. 411-34 précité (v. « demande de résiliation ») pouvait assurément être comprise comme exigeant le recours au juge, ce n’est pas l’interprétation retenue par la troisième chambre civile. Depuis plusieurs années déjà, elle considère que cette disposition n’oblige pas le bailleur à agir en justice (v. not., Civ. 3e, 1er oct. 1997, n° 95-18.151, D. 1997. 213
). Elle a ainsi admis que la demande en résiliation pouvait résulter de la notification d’un congé (Civ. 3e, 18 mars 1998, n° 95-19.135) ou encore d’une signification (Civ. 3e, 12 mai 2015, n° 13-21.198, AJDI 2015. 533
; RD rur. 2015, n° 180, obs. S. Crevel ; JCP N 2015. Actu. 742, obs. F. Collard).
Cette interprétation de l’alinéa 3 de l’article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime doit être approuvée. En effet, cette disposition confère un droit discrétionnaire au bailleur en l’absence d’héritiers dits « privilégiés » (v. supra). Aussi, interpréter le terme « demande » comme impliquant le recours à un juge aurait été non seulement disproportionné, mais également inadapté au regard de la procédure suivie devant le tribunal paritaire des baux ruraux (C. pr. civ., art. 887, la procédure débute par une conciliation). En effet, ici, la résiliation n’est pas la conséquence d’une inexécution contractuelle qu’il conviendrait d’apprécier, mais celle de l’exercice d’un droit discrétionnaire.
En l’espèce, la demande en résiliation avait été formulée par lettre simple. En faisant le choix d’affirmer que l’alinéa 3 de l’article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime ne prescrit aucun formalisme particulier, alors qu’elle aurait pu se contenter d’énoncer que la demande en résiliation pouvait valablement prendre cette forme, soit ajouter cette possibilité à celles déjà admises, la Haute juridiction manifeste sa volonté d’asseoir son interprétation.
Si la demande en résiliation peut donc se faire par tout moyen, il convient tout de même de souligner que la Cour de cassation veille d’une part à ce que la volonté du bailleur soit manifeste et, d’autre part, qu’elle intervienne dans les six mois de sa connaissance du décès du preneur (Civ. 3e, 24 juin 2009, n° 08-15.386, Dalloz actualité, 9 juill. 2009, obs. D. Chenu ; AJDI 2010. 52
, obs. S. Prigent
; Rev. loyers 2009, n° 901, obs. B. Peignot ; v. les arrêts cités supra). Par ailleurs, il faut garder à l’esprit qu’en cas de litige, il reviendra au bailleur d’apporter la preuve qu’il a exprimé sa volonté avant d’être forclos (C. civ., art. 1353). Si en l’espèce cette preuve n’aurait pas suscité de difficulté, l’ayant droit ayant reconnu par écrit avoir reçu la lettre émanant du bailleur, il convient cependant de déconseiller à un bailleur de manifester sa volonté de résilier le contrat par lettre simple. En effet, cette forme ne lui permet pas de se ménager une preuve.
Si la Haute juridiction opte pour une souplesse bienvenue en excluant tout formalisme, elle se montre, en revanche, intransigeante s’agissant des destinataires de la demande en résiliation.
Une résiliation devant être adressée à tous les ayants droit
Dans cet arrêt, la troisième chambre civile énonce que « la demande de résiliation adressée par le bailleur à une personne autre que celle des ayants droit du preneur est sans effet à leur égard ». Cette solution ne surprend pas. Tout d’abord, parce que l’article L. 411-34 du code rural et de la pêche maritime évoque la transmission du bail à cause de mort, soit traite du lien entre le bailleur et les ayants droit du preneur. En conséquence, il apparaît naturel que ces derniers, continuateurs de la personne du preneur défunt, soient les destinataires de la manifestation de volonté du bailleur d’anéantir ce lien. Ensuite, parce la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser que la signification au notaire chargé de la succession ne pouvait être opposée à l’ayant droit du preneur (Civ. 3e, 12 mai 2015, n° 13-21.198, AJDI 2015. 533
; v. égal., Amiens, 25 mai 2021, n° 20/01477 qui a retenu que « la lettre […] adressée à la « succession » laquelle est dépourvue de personnalité morale n’a donc pas valablement permis de résilier le bail »). Enfin, parce que retenir une autre solution serait incohérent au regard de la jurisprudence relative aux destinataires du congé lorsque le bail a été transmis aux ayants droit du preneur. Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a affirmé, à plusieurs reprises, que le bailleur doit impérativement délivrer le congé à tous les ayants droit (Civ. 3e, 19 févr. 2003, n° 01-16.473, pour un congé pour reprise, AJDI 2003. 435
, obs. J.-M. Plazy
; ou encore, Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-21.814, pour un congé pour cause d’âge, AJDI 2017. 129
).
Aussi, en l’espèce, la résiliation adressée à l’EARL, dont le preneur défunt était l’unique associé, ne pouvait qu’être inefficace. En effet, le fait que les parcelles aient été mises à disposition de cette EARL est sans incidence sur les destinataires de la demande en résiliation et ce, pour deux raisons. Premièrement, parce que le preneur demeure seul titulaire du bail lorsqu’il met des parcelles, objet d’un bail, à disposition d’une EARL (C. rur., art. L. 323-14, al. 2). Secondement, parce qu’une EARL est, comme toute personne morale, une personne distincte de celle de son ou ses associés. Aussi, envoyer une demande en résiliation à une EARL n’équivaut pas à envoyer cette demande aux associés ou aux héritiers de l’un d’eux.
En définitive, le régime de la demande de résiliation prévue à l’article L. 411-34, alinéa 3, est clairement posé par la Cour de cassation dans cet arrêt : la demande n’est soumise à aucun formalisme particulier, mais doit impérativement être adressée à tous les ayants droit du preneur pour être efficace.
Civ. 3e, 30 mai 2024, FS-B, n° 22-22.158
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