Décision de gel d’un meuble corporel : alignement sur le régime applicable à une saisie « interne »

La décision de gel d’un bien meuble corporel se trouvant dans un autre État membre obéit au même régime que la saisie à visée confiscatoire d’un tel bien. L’appel n’est donc pas permis, seules pouvant être formées une requête en nullité et/ou une demande de restitution. Pour statuer sur la demande de restitution, la chambre de l’instruction doit démontrer à travers les mentions de son arrêt que le requérant a eu accès aux pièces utiles, notamment à la décision de gel, selon les formes officielles prévues à l’article 197 du code de procédure pénale, et pas seulement au certificat transmis aux autorités étrangères.

L’évolution du droit de l’Union européenne en matière de gel de biens

Sur la base du principe de reconnaissance mutuelle, la décision-cadre du 22 juillet 2003 avait créé la possibilité, pour un État membre A (État d’émission) qui émet une décision de gel d’un bien confiscable, de faire exécuter cette décision dans un État membre B (État d’exécution), grâce à la double transmission de cette décision accompagnée d’un « certificat » aux autorités judiciaires. Ce certificat – qui contient les informations nécessaires à la reconnaissance de la décision – était « présenté comme une espèce d’annexe à la décision nationale et non comme un acte distinct de celle-ci » (D. Rebut, Droit pénal international, Dalloz, coll. « Précis », n° 716).

Le droit de l’Union européenne a ensuite évolué jusqu’au règlement (UE) n° 2018/1805 du Parlement et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation, d’applicabilité directe.

Ce règlement pose en principe l’exécution transfrontière de la décision de gel sur la base de la transmission du certificat uniquement (art. 4). La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a précisé les autorités de transmission compétentes (C. pr. pén., art. 695-9-30-1) et les recours disponibles, mais seulement lorsque la France agit comme État d’exécution (C. pr. pén., art. 695-9-30-1, renvoyant aux art. 695-9-22 et 695-9-24).

L’exécution d’une décision de gel française sur un navire situé en Grèce

En l’espèce, dans le cadre d’une information judiciaire, le juge d’instruction avait rendu en octobre 2021 une «â€¯ordonnance de gel de biens mobiliers susceptibles de confiscation », visant un navire situé en Grèce appartenant à une société tierce à la procédure et considéré comme ayant servi à un transport de produits stupéfiants. En application du règlement précité, le magistrat instructeur avait adressé aux autorités grecques un certificat de gel, en leur demandant également d’aliéner ce bien pour éviter sa dépréciation. Ce certificat avait été notifié dès le lendemain aux autorités grecques qui avaient mis à exécution la décision de gel et vendu le navire. La société propriétaire de ce bateau avait à la fois interjeté appel contre la décision de gel et déposé une demande de restitution auprès du juge d’instruction en France. En l’absence de réponse à cette demande dans le délai d’un mois, elle avait directement saisi la chambre de l’instruction. Cette juridiction avait à la fois confirmé la décision de gel et rejeté la demande de restitution.

Dans le cadre du pourvoi, le premier moyen de cassation reprochait, en substance, l’absence de notification de la décision de gel (en complément de celle du certificat) et l’absence de preuve de l’accès aux éléments utiles pour la contester par la requérante. Le deuxième moyen critiquait la confirmation de la décision d’aliénation, en faisant valoir l’inapplicabilité de celle-ci à l’exécution à l’étranger d’une décision de gel prise par les autorités judiciaires françaises et la compétence exclusive des autorités étrangères pour en décider. Selon le troisième moyen de cassation, la requérante reprochait à la chambre de l’instruction de s’être appuyée dans sa décision, pour écarter la preuve de sa bonne foi, sur des éléments de l’instruction qui ne lui avaient pas été communiqués.

La Cour de cassation déclare irrecevables les moyens dirigés contre la confirmation de l’ordonnance de gel. Elle rappelle qu’il résulte de l’article 2 du règlement du 14 novembre 2018 que la décision de gel est une décision émise ou validée par une autorité d’émission dans le but d’empêcher la destruction, la transformation, le déplacement, le transfert ou la disposition de biens en vue de permettre leur confiscation. Selon elle, il s’en déduit que la décision de gel constitue une notion autonome du droit de l’Union européenne qui correspond, dans l’ordre juridique interne, à une décision de saisie pénale destinée à garantir l’exécution de la confiscation du bien objet de la mesure. Or, on sait qu’à même objectif confiscatoire, la différenciation du régime juridique applicable se fait, en droit interne, en considération de la nature du bien saisi. En l’espèce, la chambre criminelle poursuit donc en réaffirmant que « la décision de saisie du juge d’instruction, en ce qu’elle porte sur un bien meuble corporel confiscable comme étant susceptible d’être l’instrument des faits objet de l’information, s’analyse en un acte d’instruction prévu par l’article 97 du code de procédure pénale » (v. en ce sens déjà, Crim. 7 août 2019, n° 18-87.174 P, Dalloz actualité, 20 sept. 2019, obs. C. Fonteix ; D. 2019. 1654  ; AJ pénal 2019. 512, obs. M. Hy  ; RSC 2019. 895, obs. J.-F. Renucci  ; Dr. pénal 2019, n° 174, note Maron et Haas). Elle en déduit que la régularité de la saisie ne se conteste pas par la voie de l’appel, mais par voie de requête en nullité. La Cour ajoute qu’il est par ailleurs loisible à la personne mise en examen, à la partie civile ou à toute autre personne qui prétend avoir un droit sur l’objet saisi, de saisir le juge d’instruction d’une requête aux fins de restitution de celui-ci sur le fondement de l’article 99 du code de procédure pénale.

Le défaut d’accès aux éléments utiles pour soutenir la demande de restitution

La requérante avait formé une telle demande de restitution au cas d’espèce. Et le pourvoi, frappant également l’arrêt en ce qu’il avait refusé cette demande, était partiellement recevable. Les magistrats de la Cour de cassation relèvent d’office un moyen tiré de la violation de l’article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit au respect des biens. Il résulte de ce texte que dans le cadre de la règlementation de l’usage des biens, les intéressés doivent bénéficier d’une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l’instance. Il s’en déduit que la chambre de l’instruction directement saisie d’une demande de restitution d’objet saisi présentée par un tiers est tenue de s’assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s’il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie et l’ordonnance de saisie, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires (Crim. 5 avr. 2023, n° 22-80.770 P, Dalloz actualité, 2 juin 2023, obs. C. Fonteix ; AJ pénal 2023. 297, obs. C. Fauchon ). Les mentions de l’arrêt doivent énoncer que le tiers requérant a eu accès à ces pièces et identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, auquel l’article 194, alinéa 1er, du code de procédure pénale confie la mise en état de l’affaire, chacune des pièces mises à la disposition de l’avocat du tiers requérant (v. en matière de contestation de saisie, Crim. 8 mars 2023, n° 22-80.896, Dalloz actualité, 20 mars 2023, obs. C. Fauchon ;  ; AJ pénal 2023. 149 et les obs.  ; 17 mai 2023, n° 22-81.058).

En l’occurrence, l’arrêt attaqué constatait que le procureur général avait déposé le dossier au greffe de la chambre de l’instruction et y avait joint ses réquisitions écrites pour être tenues à la disposition des avocats, que l’ordonnance de gel n’avait pas été notifiée à la société requérante, mais que l’avocat de celle-ci avait admis dans un courrier qu’elle avait eu accès à l’ordonnance. Il ajoutait que le certificat de gel comportait de nombreuses mentions notamment les motifs de la décision de gel, la nature et la qualification juridique des faits qui la justifiait, ainsi que le résumé des faits connus de l’autorité judiciaire qui en était l’auteur. Et enfin, que la société requérante et son conseil avaient eu accès au dossier de la cour et aux réquisitions de l’avocat général.

Ces mentions sont jugées insuffisantes. Selon la Cour de cassation, la chambre de l’instruction aurait du être en mesure de constater (et constater) que la société s’était vu communiquer l’ordonnance de gel dans les conditions de l’article 197 du code de procédure pénale, et identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, chacune des pièces mises à la disposition de l’avocat de cette société. La cassation est donc prononcée avec renvoi, à charge pour la cour statuant post-cassation d’organiser les débats dans le respect du contradictoire et du principe d’utilité du recours.

 

© Lefebvre Dalloz