Décret du 5 août 2025 : justice surbookée, refus d’embarquement des passagers

On le sait depuis des années, la justice française n’a plus les moyens de traiter toutes les actions dont elle est saisie. Pour y remédier, le choix a été fait depuis 2016 d’imposer des obligations de recourir à un mode amiable avant de saisir le juge. Le décret n° 2025-772 du 5 août 2025 s’inscrit dans cette voie, mais innove en y ajoutant des restrictions supplémentaires, touchant aux modalités d’introduction de l’instance et à la faculté d’engager une action conjointe. Après la maltraitance des passagers aériens par les compagnies, voici le temps de l’indifférence de la justice à leur sort.

Au cœur de l’été, alors que flottait l’espoir d’une pause estivale bien méritée après la déferlante de décrets juilletistes, voilà que fut publié un inattendu décret n° 2025-772 du 5 août 2025 relatif à la procédure applicable au contentieux de l’indemnisation des passagers en cas de refus d’embarquement, d’annulation ou de retard important d’un vol. Sans doute guidé par la préoccupation de réduire l’empreinte carbone des justiciables, ce texte complique l’indemnisation des passagers aériens en cas d’annulation ou de retard de leur vol.

Ce décret, constitué d’un seul véritable article (complété par un second relatif aux mesures transitoires), est en apparence plus anecdotique que ceux publiés le mois précédent (Décr. n° 2025-619 du 8 juill. 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile, Dalloz actualité, 8 sept. 2025, obs. G. Maugain ; Recueil Dalloz, à paraître, obs. M. Barba ; Gaz. Pal. 2025, n° 25, p. 9, obs. C. Bléry et N. Reichling ; Décr. n° 2025-660 du 18 juill. 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends, Dalloz actualité, à paraître, obs. M. Barba ; JCP 2025. 958, obs. S. Amrani Mekki ; Décr. n° 2025-653 du 16 juill. 2025 désignant les tribunaux judiciaires compétents en matière d’action de groupe ; Décr. n° 2025-734 du 30 juill. 2025 relatif à la procédure applicable aux actions de groupe et au registre des actions de groupe, Dalloz actualité, 10 sept. 2025, obs. K. Castanier). Pourtant, dès lors que l’on se trouve en présence d’un véritable contentieux de masse (ce contentieux représente déjà 65 % des saisines du Médiateur tourisme voyage [MTV], soit près de 12 000 dossiers par an, Rapport 2023 du MTV), il aura des conséquences pratiques importantes.

Depuis plusieurs années, le règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol constitue le fer de lance de la protection des passagers de transports aériens. Il fait peser sur les compagnies aériennes des obligations d’assistance, de prise en charge et – surtout – d’indemnisation (sur le sujet, J. Heymann [dir.], Règlement [CE] n° 261/2004 sur la protection des passagers aériens. Commentaire article par article, Bruylant, 2021 ; N. Balat, J. Jourdan-Marques et L. Siguoirt, L’indemnisation et l’assistance des passagers du transport aérien. Regards civilistes sur le règlement n° 261/2004, LexisNexis, 2019). Il est précieux pour les passagers, notamment en ce qu’il leur ouvre le droit à des indemnisations de 250, 400 ou 600 € (en fonction de la distance orthodromique et de la destination) en cas d’annulation ou de retard du vol. Si le règlement est relativement complet d’un point de vue substantiel (sauf à être interprété par une abondante jurisprudence de la CJUE. Il a récemment été complété par des orientations interprétatives relatives au règl. [CE] n° 261/2004, publiées au JOUE le 25 sept. 2024), il est silencieux sur les aspects procéduraux de sa mise en œuvre.

Ainsi, d’un point de vue procédural, les actions intentées par les passagers aériens sont soumises au droit commun, dont le contenu résulte d’une combinaison entre le règlement (UE) n° 1215/2012 (Bruxelles 1 bis) et le code de procédure civile (sur le sujet, J. Jourdan-Marques, L’indemnisation du passager – aspects procéduraux, in N. Balat, J. Jourdan-Marques et L. Siguoirt, op. cit., p. 113). C’est le caractère totalement « banal » de ce contentieux que vient remettre en cause le décret du 5 août 2025. Son article 1er, qui entrera en vigueur le 5 février 2026, énonce :

« Les demandes présentées sur le fondement du règlement du 11 février 2004 susvisé sont formées par assignation.
À peine d’irrecevabilité que le juge relève d’office, l’assignation ne peut être délivrée qu’au nom d’un seul demandeur ou conjointement par les passagers d’un même vol, dès lors qu’ils sont ascendants ou collatéraux jusqu’au quatrième degré, ou conjoints, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins, et après avoir été précédée d’une tentative de médiation devant un médiateur de la consommation dans les conditions prévues par les articles L. 612-1 à L. 612-3 et R. 612-1 à R. 612-5 du code de la consommation.
L’irrecevabilité pour absence de tentative de médiation préalable ne peut être opposée au demandeur lorsque cette absence est justifiée par un motif légitime tenant soit aux circonstances de l’espèce qui ont rendu impossible la saisine du médiateur dans le délai d’un an prévu au 4° de l’article L. 612-2 du code de la consommation, soit à l’indisponibilité du médiateur de la consommation laquelle n’a pas permis que l’issue de la médiation intervienne dans un délai de six mois à compter de sa saisine ».

D’emblée, soulignons qu’aucune codification du texte n’est prévue. Ce choix interroge, en ce qu’il présente le risque pour le justiciable de passer à côté de la règle spéciale s’il s’en tient au code de procédure civile. Cela dit, on peut penser qu’il sera connu des principaux spécialistes de la matière (not., les avocats et les sociétés spécialisées dans ce contentieux). Surtout, il révèle sans doute que, dans l’esprit de la Chancellerie, l’accès à l’information juridique pour le justiciable « lambda » se fait désormais le plus souvent via Google ou, éventuellement, le site service-public.fr. De ce point de vue, un décret bien nommé ou correctement référencé est potentiellement plus accessible qu’une disposition codifiée.

Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger sur les motivations qui ont mené à la rédaction de ce texte. La notice du décret indique qu’il « prévoit des dispositions de procédure civile afin d’améliorer le traitement des demandes d’indemnisation liées aux retards et annulation de vols en privilégiant leur règlement extrajudiciaire ». En réalité, au moins trois préoccupations ont pu, directement ou indirectement, conduire à cette réforme. Primo, la volonté de privilégier un règlement extrajudiciaire de ce contentieux. Si l’on n’est pas face à une véritable déjudiciarisation, le texte s’inscrit dans la tendance plus large de retarder la saisine du juge en imposant le recours à un mode de résolution du litige extrajudiciaire en amont. Secundo, le souhait de décharger les conciliateurs d’un contentieux de masse en le redirigeant vers des médiateurs de la consommation (sur la hausse des saisines des conciliateurs, M. Belarouci, L’activité des conciliateurs en forte hausse depuis 2015, Infostat Justice, n° 201, août 2025). Tertio, la nécessité de retirer aux greffes le poids de la transmission de la demande en justice aux compagnies aériennes, activité chronophage et coûteuse, d’autant que le défendeur est souvent situé à l’étranger.

Parmi ces préoccupations, l’amélioration de la situation du passager est absente. Le décret du 5 août 2025 constitue une régression des droits procéduraux des passagers. Pire, il est à l’origine de nombreuses incertitudes qui pourraient avoir des effets délétères pour l’indemnisation des victimes de retard et d’annulation de vols.

Une régression des droits procéduraux des passagers

Le décret du 5 août 2025 offre aux passagers des transports aériens un régime systématiquement moins favorable que celui autorisé par le droit commun.

Le premier alinéa impose aux passagers de former la demande par voie d’assignation. Cette obligation suscite deux remarques.

D’abord, le recours à l’assignation dépend non pas de la demande, mais des moyens qui la fondent, ce qui est relativement original. En effet, en l’état, l’obligation de recourir à l’assignation dépend du litige ou de la matière, mais pas des fondements juridiques (on retrouve toutefois cette logique pour certaines compétences spécialisées, par ex., à l’art. D. 442-2 c. com.).

Ensuite, cette exigence impose des contraintes juridiques et financières accrues pour le justiciable. Juridiquement, déjà, cette exigence nécessitera une prise de date auprès du greffe après présentation du projet d’assignation (C. pr. civ., art. 751), un exposé des moyens en fait et en droit ainsi qu’un bordereau de pièces (C. pr. civ., art. 56). On est ainsi loin de la simplicité de la requête, qui pouvait être rédigée au moyen d’un Cerfa (Formulaire 16042*02). Financièrement, l’obligation de recourir à l’assignation imposera le recours à un commissaire de justice. Pour le justiciable, cela conduit à l’obligation de payer les émoluments du commissaire de justice, notamment les 18,28 € HT pour l’assignation et les 7,67 € HT de frais de déplacement, voire 35,47 € HT lorsque l’acte doit être transmis à l’étranger. Autrement dit, le justiciable en aura pour 30 à 65 € TTC à avancer de sa poche pour une demande qui sera le plus souvent comprise entre 250 et 600 €. Ces obstacles juridiques et financiers pourraient désinciter de nombreux passagers à saisir la justice ou à accepter des propositions défavorables des compagnies aériennes.

Le deuxième alinéa ajoute deux exigences supplémentaires.

D’une part, la faculté pour les justiciables de regrouper leurs demandes dans une seule et unique action en justice est réduite. Il est ainsi précisé que « l’assignation ne peut être délivrée qu’au nom d’un seul demandeur ou conjointement par les passagers d’un même vol, dès lors qu’ils sont ascendants ou collatéraux jusqu’au quatrième degré, ou conjoints, partenaires liés par un pacte civil de solidarité ou concubins ». L’exigence de se limiter à des demandes relatives à un même vol a du sens. En revanche, l’interdiction de se réunir au-delà du cercle familial est difficilement compréhensible. Si l’on peut imaginer que certains sites spécialisés ont recours à une seule assignation pour de nombreux passagers, on peine à comprendre ce qui soulève des difficultés pour les tribunaux dans cette hypothèse. En effet, la spécificité du règlement (CE) n° 261/2004 est de placer l’intégralité des passagers dans la même situation et de pouvoir prétendre à la même indemnisation. En cas de retard ou d’annulation, 100 % des passagers a droit ou – en fonction des circonstances – n’a pas le droit à une indemnisation pour un montant prévu par le règlement. Il est donc, a priori, dans l’intérêt de la justice de statuer par une seule décision sur le sort de l’ensemble des passagers. S’il ne fait aucun doute que les professionnels de l’indemnisation sauront adapter leurs pratiques à cette exigence, elle aura pour conséquence de compliquer la vie des passagers souhaitant se dispenser des services de ces prestataires. On pense en particulier aux voyages entre amis, qui devront faire l’objet d’assignations distinctes, et aux difficultés probatoires auxquelles pourront être confrontés les concubins pour se prévaloir de leur statut. De nouveau, les victimes d’annulation et de retard pourraient être découragées dans leurs démarches d’indemnisation.

D’autre part, le deuxième alinéa de l’article 1er du décret du 5 août 2025 impose la saisine préalable d’un médiateur de la consommation à peine d’irrecevabilité de la demande. La nouveauté ne réside pas dans l’obligation de recourir à un préalable amiable avant la saisine du juge. Sauf cas exceptionnel, cette obligation découle déjà de l’article 750-1 du code de procédure civile. En revanche, là où le décret innove, c’est que ce préalable doit désormais se faire devant un médiateur de la consommation ce qui, a contrario, interdit de saisir un conciliateur de justice. On imagine sans peine que les conciliateurs établis dans le ressort des aéroports étaient submergés par des demandes relatives à l’indemnisation de passagers. De ce point de vue, le basculement du contentieux vers les médiateurs de la consommation fait sens. Il n’en demeure pas moins que ce choix est révélateur d’un système à bout de souffle. La conciliation n’est plus en mesure d’absorber l’extension récurrente du périmètre de l’obligation de recourir à un mode amiable avant la saisine du juge. On passe ainsi d’une solution reposant sur le bénévolat des conciliateurs à une autre où les médiateurs sont indemnisés par les professionnels. Si, pour le demandeur, cela reste gratuit, il faut tout de même y voir un signe. Les modes amiables ont un coût et il faut s’attendre à ce que l’État n’hésite pas à le faire peser de plus en plus sur les justiciables dans les prochaines années.

Le troisième alinéa concerne quant à lui les hypothèses où le demandeur peut échapper à l’irrecevabilité consécutive au défaut de tentative de résolution amiable du différend. Deux motifs légitimes sont prévus : (i) l’indisponibilité du médiateur pour une durée de plus de six mois ; (ii) l’impossibilité pour le justiciable de saisir dans le délai d’un an prévu à l’article L. 612-2 du code de la consommation.

Le cas de l’indisponibilité du médiateur fait écho à l’exception tirée de l’article 750-1, 3°, du code de procédure civile. On remarquera simplement que le délai de carence est doublé, puisqu’il passe de trois mois dans le code de procédure civile à six mois pour les passagers aériens. Ce long délai laisse d’ailleurs entendre que les médiateurs de la consommation ne sont pas toujours en mesure de respecter le délai de 90 jours prévu à l’article R. 612-5 du code de la consommation (le rapport 2023 du MTV indique d’ailleurs un délai de traitement de 116 jours).

Le cas de l’impossibilité pour le justiciable de saisir dans le délai d’un an prévu à l’article L. 612-2 du code de la consommation est en revanche beaucoup plus problématique. Il semble consacrer un délai de forclusion complémentaire au délai de prescription applicable à l’action du passager. On glisse là vers les incertitudes résultant du décret.

Les incertitudes résultant du décret du 5 août 2025

Si le cadre général du décret du 5 août 2025 est plutôt clair, il suffit de creuser un peu pour soulever certaines difficultés, sans que l’on sache très bien si elles ont été anticipées ou non.

Premièrement, on vient d’évoquer le cas de l’exception à la médiation préalable tirée de l’impossibilité pour le justiciable de saisir dans le délai d’un an le médiateur. En effet, l’article L. 612-2, 4°, du code de la consommation prévoit que le litige ne peut pas être examiné lorsque le consommateur a introduit sa demande auprès du médiateur de la consommation dans un délai supérieur à un an à compter de sa réclamation écrite auprès du professionnel. Il y a ainsi deux délais qui s’écoulent en parallèle. D’un côté, le délai de prescription de droit commun, qui est de cinq ans et qui court à compter de l’annulation ou du retard à l’atterrissage. De l’autre, le délai d’un an pour saisir le médiateur de la consommation, qui court à compter de la réclamation écrite adressée au professionnel (étant précisé que la saisine du professionnel est un préalable imposé par l’art. L. 612-2, 1°, c. consom.).

Antérieurement, ce délai d’un an pouvait être contourné par la saisine d’un conciliateur de justice. Désormais, cette voie est fermée. En effet, l’alinéa 3 de l’article 1er du décret précise bien que pour échapper à l’irrecevabilité en cas de non-respect de ce délai, il faut justifier d’un motif légitime. Il faut donc s’attendre, a priori, non seulement à une avalanche d’irrecevabilités pour tous les passagers étourdis qui auront saisi le service client et omis pendant un an de saisir le médiateur, mais encore un contentieux nourri sur la caractérisation de la saisine du service client et sur la qualification du motif légitime (le rapport 2023 du MTV indique d’ailleurs un taux d’irrecevabilité proche de 33 % [6 700 dossiers non recevables], avec près de 64 % [environ 4 200 dossiers] pour défaut de saisine du service client et 10 % [environ 650 dossiers] pour expiration du délai d’un an).

Deuxièmement, le renvoi des parties devant le médiateur de la consommation soulève une double difficulté supplémentaire.

D’abord, le transport aérien de passagers n’est pas, tant s’en faut, réservé aux seuls consommateurs. Le règlement (CE) n° 261/2004, s’il est clairement d’inspiration « consumériste », bénéficie également aux passagers voyageant à titre professionnel. Or, l’article L. 611-3 du code de la consommation est très clair : la médiation des litiges de la consommation ne s’applique pas « aux litiges entre professionnels ». Il y a donc un risque sérieux que les médiateurs de la consommation rejettent systématiquement les demandes formées par les professionnels, faute pour eux de constituer les sujets naturels de la médiation de la consommation. Le décret n’envisage aucunement cette hypothèse, qui pourrait générer un contentieux important.

Ensuite, et de façon encore plus fondamentale, le décret ignore totalement le champ d’application de la médiation de la consommation. Cette difficulté se subdivise en deux branches.

D’une part, première branche, quel médiateur de la consommation ? La notice du décret laisse entendre que la réponse est évidente et renvoie explicitement au « Médiateur du tourisme et du voyage ». Pour autant, la compétence de ce médiateur est conditionnée à une adhésion du professionnel. Si de très nombreuses compagnies aériennes sont adhérentes, ce n’est pas le cas de l’ensemble d’entre elles. Sans que l’on puisse établir une liste exhaustive des adhérents, il est certain que certaines font défaut (Delta Airlines, Qatar Airways, TAP, Turkish Airlines, etc.). Ainsi, le décret délivre une information trompeuse et le MTV pourrait se retrouver régulièrement saisi de demandes ne relevant pas de sa compétence (le Rapport 2023 du MTV indique d’ailleurs que 25 % des irrecevabilités [environ 1 500 dossiers] prononcées résultent d’une saisine en dehors de son champ de compétence).

D’autre part, deuxième branche de la question, quid d’une compagnie ne proposant aucun médiateur de la consommation ? En effet, en matière de transport aérien, les contrats sont très souvent internationaux et conclus avec des compagnies étrangères. Cela n’exclut pas pour autant toute indemnisation fondée sur le règlement (CE) n° 216/2004 (l’art. 3 [a] du règl. prévoit notamment qu’il s’applique « aux passagers au départ d’un aéroport situé sur le territoire d’un État membre soumis aux dispositions du traité »). Il faut donc s’attendre à un nombre non négligeable de litiges fondés sur le règlement mais qui ne relèvent ni du MTV ni d’aucun autre médiateur de la consommation. Là encore, une telle hypothèse n’est pas prévue par le décret et pourrait laisser les passagers dans l’embarras avant une intervention jurisprudentielle.

Troisièmement, il faut revenir à l’obligation d’introduire la demande par voie d’assignation. Celle-ci emporte des effets qui vont au-delà de la seule saisine du juge ; l’obligation est de nature à interdire le recours à certains types d’action en justice. Ainsi en est-il de l’injonction de payer et de l’injonction de payer européenne. En effet, l’article 1407 du code de procédure civile prévoit que l’injonction de payer est introduite par voie de requête et l’article 1424-2 du même code invite les parties à remettre au greffe le formulaire de la demande d’injonction de payer européenne. Dans un cas comme dans l’autre, l’assignation est exclue, notamment en raison du caractère non contradictoire de la première phase de la procédure. L’obligation désormais consacrée de recourir à l’assignation conduit tout simplement à priver le justiciable de ces voies de droit.

Quatrièmement, dans la lignée de cette précédente remarque, l’interdiction des demandes conjointes au-delà du cercle familial soulève la question de la compatibilité de ce contentieux avec l’action de groupe. Alors que cette dernière vient d’être réformée par la loi du 30 avril 2025 (K. Castanier, L’action de groupe entre dans une nouvelle ère : la réforme tant attendue est promulguée, Dalloz actualité 14 mai 2025 ; ibid. 15 mai 2025 ; O. Kafi Cherrat, La réforme de l’action de groupe française, ou l’art de « couper la poire en deux », Gaz. Pal. 2025, n° 26, p. 10), la rédaction actuelle de l’alinéa 2 de l’article 1er du décret du 5 août 2025 soulève de véritables interrogations sur la faculté laissée aux passagers (et aux associations de consommateurs) de mobiliser cet outil pour la réparation de leurs préjudices. Si, à notre connaissance, cette voie n’a pas véritablement été utilisée (v. néanmoins, Accord UFC-Que Choisir – Ryanair), elle pourrait l’être d’autant eu égard aux risques d’irrecevabilité.

En définitive, le décret du 5 août 2025 est à l’origine d’un recul important des droits des passagers aériens. Le règlement (CE) n° 261/2004, s’il était respecté à la lettre par les compagnies, ne devrait donner lieu à aucun contentieux : les modalités d’indemnisation sont claires et ne laissent la place, dans la majorité des hypothèses, à aucune discussion. Pourtant, chacun a sans doute pu faire l’expérience des difficultés à faire valoir ses droits en cas d’annulation ou de retard substantiel d’un vol. Pour les compagnies aériennes, chaque obstacle érigé sur le chemin du passager vers l’indemnisation constitue un espoir de le voir renoncer à son droit ou accepter une offre moins favorable. Ainsi, si la préoccupation de décharger les greffes et les conciliateurs de justice d’un contentieux de masse répond à des préoccupations légitimes, la résolution de la difficulté ne devrait pas se faire au détriment des passagers.

 

Décr. n° 2025-772, 5 août 2025, JO 7 août

par Jérémy Jourdan-Marques, Professeur de droit privé chez Université Lumière Lyon 2

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